Symbole de la puissance américaine, la métropole de la côte Est est en proie à l'anarchie. L'épidémie de Covid-19 avait plongé la ville dans une léthargie inédite. Le mouvement Black Lives Matters et la violence sont venus la réveiller.
À l'est de Central Park, trois des plus prestigieuses artères parallèles de New York, la Ve Avenue, Madison Avenue et Park Avenue sont, comme d'habitude, éclairées de mille feux. Mais ce ne sont plus ceux des enseignes lumineuses de la ville qui ne dort jamais. C'est celui des flammes des voitures de police et des boutiques de luxe qui brûlent. Les manifestations anti-police du mouvement Black Lives Matters (BLM) ravagent, depuis le 30 mai dernier, Manhattan, le cœur de la capitale financière des États-Unis. L'ampleur du phénomène est inédite dans la ville. « Porcs dans une couverture, faites-les frire comme du bacon », hurlent les plus excités des “militants” en jetant des objets de toute nature, dangereux de préférence, vers les hommes du département de la police de New York (NYPD). Plusieurs scènes extrêmement violentes ont pu ainsi être filmées. Parmi elles, l'agression de commerçants tentant de défendre leur magasin ou celles de policiers isolés. Le plus souvent, les autres manifestants laissent faire ou encouragent les plus enragés d'entre eux de leurs insultes à la police. Au cœur des affrontements, plus de 60 officiers ont ainsi été transférés aux urgences hospitalières. Les policiers blessés légèrement par des débris de verre et autres n'entrent pas dans cette comptabilité. Les nuits et week-ends de violences se succèdent régulièrement dans une ville déjà mise à genoux par l'épidémie de Covid-19.
Depuis le début de la crise, plus de 500 000 habitants, essentiellement les plus aisés, ont fui le centre de Manhattan. Durant quatre mois, le métro, qui transporte d'habitude 5,7 millions de passagers par jour, est resté sinistrement désert, les restaurants se sont vidés, l'aéroport JFK réduit au silence et les hôtels devenus dignes de ceux d'une ville fantôme. Le chômage comme partout ailleurs a fait son apparition alors que la ville connaissait le plein-emploi. Sur Broadway, le seul spectacle qui était encore visible était celui de l'Armée du salut distribuant des repas.
Sur le plan sanitaire, l'État de New York détient le triste record du plus grand nombre de morts des États-Unis par suite de la Covid-19 avec plus de 32 000 décès, soit près de onze fois le nombre de victimes du 11 septembre et 17 000 de plus que son voisin du New Jersey, à la deuxième place sur ce sinistre podium. Cela alors que la circulation du virus, avec plus de 50.000 nouveaux cas par jour depuis le début du mois de juillet dans le pays, ne ralentit toujours pas et quel'on craint d'être obligé de reconfiner.
Le 28 juin dernier : 11 blessés par balles en moins de douze heures…
Cette combinaison de Covid-19, d'effondrement économique et d'émeutes sociétales aura en quelques semaines ramené New York à son état de coupe-gorge, qu'on aurait préféré voir consigner dans les séries B, de Kojak à l'ambiance poisseuse de Hill Street Blues ou du film Taxi Driver. Celle des années 1970-1990. Celle d'avant l'élection de Rudy Giuliani, en 1994, le maire républicain qui avait, grâce à sa politique de tolérance zéro, refait de la ville un endroit vivable et même la plus sûre des grandes mégapoles des États-Unis.
Les chiffres du NYPD parlent d'eux-mêmes : pour le premier semestre 2020, elle dénombre 176 meurtres, soit une augmentation de 23 % par rapport à 2019. Le nombre de fusillades entre le 1er janvier et le 12 juillet, est de 634, contre 396 à la même période de l'année précédente. Une hausse de 60 %. Entre le 16 mai et le 12 juin, la police de la métropole a enregistré 318 victimes de tirs contre 97 pendant la même période de 2019. Le 28 juin, il y a eu 11 blessés par balles en moins de douze heures. Le seul week-end du 11-12 juillet enregistre 34 nouveaux blessés et le décès d'un enfant âgé de 1 an. Cela alors même que la ville de New York applique la loi “Safe” la plus stricte des États-Unis, promulguée en 2012, après l'attaque de l'école primaire Sandy Hook. Le reste des statistiques est à l'avenant: cette année, la police n'a pu arrêter qu'un tireur sur quatre, contre un sur trois habituellement, on note aussi des hausses de 45 % pour les cambriolages depuis le début de l'année et de 59 % pour les vols de voiture.
Une situation qui n'a pas échappé au président américain, lui-même New-Yorkais. De tweet en tweet, il fustige la politique de Bill de Blasio, le maire démocrate de la Grosse Pomme qui a succédé à Michael Bloomberg en 2014. Il lui reproche d'avoir refusé l'intervention de la garde nationale, qui a fortement limité les dégâts à Washington et dans plusieurs autres grandes villes. Il lui reproche aussi de vouloir réduire le financement de la police de la ville de 1 milliard de dollars sur les 6 alloués au NYPD (le budget municipal est lui-même en baisse du fait de la conjoncture, à 88,1 milliards). Cette coupe annule l'embauche de 1 163 nouveaux officiers. De Blasio le lui rend bien, étant venu mettre lui-même, le 9 juillet, une touche de peinture jaune sur les immenses lettres “Black Lives Matters” peintes sur le trottoir de la Ve Avenue, juste devant la Trump Tower. Mais au-delà de l'opposition entre les deux hommes, c'est toute la politique laxiste de De Blasio qui est aujourd'hui en accusation. Le maire de la ville a toujours eu le cœur à gauche. Étudiant, il a milité aux côtés des sandinistes du Nicaragua et a même passé sa lune de miel à Cuba. Candidat à la primaire démocrate pour la prochaine présidentielle, ce proche de Hillary Clinton s'était rallié à la candidature de Bernie Sanders. Il a détruit quasi tout l'héritage de Giuliani.
Cinq cents suspects ont été libérés, commettant 846 nouveaux crimes
La première mesure de sa politique a été de mettre fin à la politique du “Stop and Frisk”, qui permettait aux policiers “d'arrêter et de fouiller” n'importe quel individu sur la base d'une suspicion “raisonnable”. Au plus fort des émeutes, quelque 400 pillards ont pu être interpellés en flagrant délit, mais ils ont été très rapidement libérés après une procédure de comparution immédiate devant un juge. En effet, les réformes du maire ont introduit, début 2020, une modification des cas de caution pour un certain nombre d'infractions avec ou sans violence, y compris le cas d'homicide involontaire au deuxième degré ou encore l'agression aggravée contre un véhicule. La majorité des personnes interpellées qui ont été inculpées de cambriolage au troisième degré d'un immeuble commercial (comprenez pillage) entrent ainsi dans la catégorie D, qui n'oblige pas le suspect à payer une caution. Juste avant le confinement de la ville, les chiffres de mars donnaient les indications suivantes : sur les 58 premiers jours de l'année, près de 500 suspects qui auraient dû rester sous les verrous ont été libérés, commettant à eux seuls 846 nouveaux crimes, dont 300 rentrant dans les catégories de meurtre, viol, agression et cambriolage.
Cette situation alarmante et ces chiffres n'ont pas eu l'air de changer la feuille de route politique du maire démocrate. Bien au contraire, à la mi-juin, il proposait de poursuivre la diminution des budgets alloués au NYPD comme le demandent les militants BLM au profit des « jeunes et des services sociaux » . Plus encore que le budget, de Blasio veut également limiter les prérogatives de police judiciaire des agents new-yorkais, notamment contre les vendeurs à la sauvette. Il est également prévu que le secret du dossier disciplinaire des agents ne soit plus protégé parla loi.
Pour les syndicats de policiers, la situation est non seulement intenable, mais surtout inédite. La police new-yorkaise a connu des heures difficiles au cours des dernières décennies, confrontée en particulier dans certains quartiers de la ville comme le Bronx ou Harlem à des gangs ultraviolents, elle a connu aussi auparavant les mafias des années de prohibition, la corruption au plus niveau, mais jamais elle n'avait été désavouée publiquement par son chef, le maire de New York en personne.
La désillusion est forte chez ceux qui, avec les pompiers de la ville, étaient devenus pour beaucoup les héros du 11 septembre 2001. « Ce que Ben Laden n'a pas réussi à faire, c'est De Blasio qui va y arriver », peut-on lire sur les réseaux sociaux des policiers métropolitains.
“Les politiciens et les médias traitent les policiers comme des animaux”
Ainsi, Michael O'Meara, le patron de la New York State Association of Police Benevolent Associations, une fédération de syndicats de police, demande que les politiciens et les médias cessent de traiter ses collègues comme des « animaux et des voyous » .Il dénonce une campagne idéologique antiflic destinée à faire naître la peur et la haine de la police, en particulier dans la communauté afro-américaine. O'Meara précise que le NYPD a chaque année 375 millions d'interactions avec le public et qu'elles sont positives. « Mais ce que nous lisons dans les journaux toute la semaine, c'est que dans la communauté noire, les mères s'inquiètent que leurs enfants rentrent de l'école sans être tués par un flic. »
Et de fait, de Blasio commence à lasser certaines couches du mille-feuille de la grande ville. Ainsi, en pleine épidémie, il a autorisé et participé personnellement à des manifestations BLM, mais aussi transgenres. Parallèlement, il faisait fermer pour raison sanitaire un parc du quartier de Williamsbug, à Brooklyn, fréquenté par des familles juives orthodoxes, une communauté avec laquelle il est en délicatesse à la différence des juifs libéraux. En avril dernier, il avait fait disperser, parla police justement, un enterrement dans la communauté juive orthodoxe. Deux prêtres catholiques et trois fidèles juifs orthodoxes poursuivent le gouverneur de l'État de New York, Andrew Cuomo, également démocrate, et le maire, pour discrimination religieuse en raison de leur attitude contre les lieux de culte de la ville, qui contraste avec la politique qu'ils ont appliquée à leurs amis. Des mesures qui choquent d'autant plus que les violences commises contre cette communauté historique de New York facilement identifiable se multiplient, elles aussi, ces derniers mois.
Le 12 juillet, le chef du NYPD, Terence Monahan, a lui aussi commenté cette situation de chaos, expliquant que depuis les émeutes BLM, « ses hommes avaient le sentiment d'être menottés et craignaient d'être arrêtés en protégeant la population ».
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