"Quel rapport entre la hargne du type à qui vous avez demandé de ne pas
mettre ses pieds sur la banquette du métro et l’horreur de ce qu’a vécu
Philippe Monguillot ? La différence, en fait, n’est que de degré et non
de nature. Et l’ensauvagement de la société française est une
expérience que chacun peut faire", analyse Natacha Polony.
Certains s’acharnent à classer cela au rang des faits divers. Une jeune aide-soignante de 23 ans traînée sur 800 mètres par un chauffard en fuite qui venait d’écraser son chien. Avant cela, Philippe Monguillot, chauffeur de bus massacré pour avoir voulu faire respecter la loi. Ces paroxysmes de violence nous horrifient. Puis nous oublions. Jusqu’au « fait divers » suivant. Dormez tranquilles, bonnes gens, il se trouvera toujours un sociologue pour vous expliquer que le nombre d’homicides a largement baissé depuis le XIXe siècle, et que la violence est un fantasme. Peu importe si le nombre d’homicides, de cambriolages et d’agressions par habitant est supérieur en France à ce qu’il est dans les pays européens comparables, Royaume-Uni, Allemagne ou Italie. Peu importe, surtout, si chacun observe dans sa vie quotidienne une agressivité croissante, un degré parfois hallucinant d’intolérance à l’autre, qui nous raconte quelque chose de la société française.
ENSAUVAGEMENT
Quel rapport entre l’automobiliste qui insulte à tout-va et le chauffard qui laisse crever sa victime sur un trottoir ? Quel rapport entre la hargne du type à qui vous avez demandé de ne pas mettre ses pieds sur la banquette du métro et l’horreur de ce qu’a vécu Philippe Monguillot ? La différence, en fait, n’est que de degré et non de nature. Et l’ensauvagement de la société française est une expérience que chacun peut faire.
Comment expliquer une dérive généralisée, qui touche autant les gens censément élégants que les racailles, autant la cycliste sûre de son bon droit que le client irascible d’un restaurant de plage ? Nous sommes ici à la croisée des comportements individuels et collectifs, où se conjuguent des phénomènes de long terme.
Ce n’est pas un hasard si Philippe Monguillot était connu de ses collègues pour être un homme soucieux de son devoir et du respect des règles.
Il y a d’abord ces décennies d’individualisme forcené, « je fais ce que je veux, vous n’avez pas à me juger ». Des excès du contrôle social à une époque où le qu’en-dira-t-on oppressait quiconque n’entrait pas dans le rang, on est passé à l’oubli de cette évidence : nous vivons en société, et nos actes ont des conséquences sur les autres. Ce n’est pas un hasard si Philippe Monguillot était connu de ses collègues pour être un homme soucieux de son devoir et du respect des règles. Qui enseigne encore aux enfants qu’on ne fraude pas dans les transports car cela revient à faire payer ceux qui sont autour de soi ?
L’éducation, c’est ce travail incessant et difficile pour apprendre à un individu à peu à peu maîtriser ses pulsions et comprendre qu’il n’est pas le nombril du monde, ce qui lui interdit certains comportements. Mais, dans une société consumériste qui valorise les pulsions, la satisfaction immédiate des désirs et la sacro-sainte « émotion », ce long travail de civilisation a des airs donquichottesques.
LA FRANCE, CETTE JUNGLE
Ajoutons à cela les effets délétères de ces années à laisser bafouer l’ordre républicain. Face à l’impunité des trafiquants, celui qui tente de gagner honnêtement sa vie et refuse de tricher passe pour un toquard. Et, de l’autre côté de l’échelle, l’impression qu’une oligarchie s’arroge tous les droits et instrumentalise les règles à son profit achève de tuer toute forme de cohésion sociale. Le respect des lois naît de la conscience d’appartenir à un peuple qui les a délibérément établies.
C’est cela même qui disparaît, réduisant trop souvent ce pays à l’état de jungle, laissant chacun dans un état de malaise ou de dégoût. Recouvrer le sentiment de notre dignité individuelle et collective est possible. Encore faut-il que nous décidions d’ériger en héros, non pas les chantres de la transgression facile, mais ceux qui, comme Philippe Monguillot, refusent la trop lâche indifférence et se sentent responsables des règles communes.
4 juillet
Un refus de s’arrêter, puis deux. Au troisième barrage routier, le chauffard circulant malgré un permis annulé tente d’éviter la herse dressée sur le bitume à Port-Sainte-Marie (Lot-et-Garonne). Il fauche Mélanie Lemée, gendarme d’une vingtaine d’années. Elle meurt.
5 juillet
Philippe Monguillot est aux commandes de la ligne T1 du Tram’bus de Bayonne. Il veut contrôler le titre de transport d’un passager et demande à trois autres de porter un masque. Il est roué de coups, touché gravement à la tête et finit par mourir après cinq jours dans le coma.
14 juillet
Vers 23 h 30, un sapeur-pompier qui intervient sur un feu de véhicule dans le quartier Guinette, à Étampes, est blessé au mollet par un tir d’arme à feu. En 2018, 3.411 sapeurs-pompiers avaient déclaré avoir été victimes d’une agression au cours d’une intervention, selon l’Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale.
15 juillet
Armée d’un couteau, une mère de famille de Cavaillon (Vaucluse) se rend cité du Docteur Ayme pour exiger du chef du point de deal qu’il arrête de faire travailler son fils. Elle est alors prise à partie par le dealer et sa bande, bousculée, délestée de son téléphone et sa voiture est vandalisée.
19 juillet
Le Blanc-Mesnil, 7 heures du matin. Un homme muni d’un sabre et d’un fusil, circulant sur un hoverboard, se dirige vers l’église de la ville. Il a menacé des passants, crie « Allahu akbar ». Un automobiliste le percute pour l’arrêter puis l’immobilise. Le forcené a été placé en garde à vue.
19 juillet
Au petit matin, quatre jeunes femmes quittant une fête à Lyon écrasent un chien. Axelle, 23 ans, tente d’empêcher la voiture de repartir. Des amis de la chauffarde s’interposent, puis renversent Axelle. Elle est traînée au sol sur 800 m et meurt. Le conducteur a été mis en examen et incarcéré.
20 juillet
19 heures, une voiture circulant à Aubervilliers renverse une fillette, projetée à 13 m du lieu du choc. Le chauffard prend la fuite, l’enfant décède de ses blessures vers 22 heures. Une enquête est ouverte.
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