24 juin 2020

La France et ses alliés remportent une victoire sur l’Allemagne


Emmanuel Macron est parvenu, en usant de diplomatie et de chantage politique, à réaliser ce que Napoléon Bonaparte avait essayé d’obtenir par les armes : l’argent de l’UE est désormais géré par Paris, et le contribuable allemand va payer les dettes de la France ainsi que ses programmes sociaux. La victoire des « coronabonds » remportée par Macron sur Angela Merkel aura dans l’ensemble des conséquences similaires à celles de la première guerre mondiale pour l’Allemagne et les quelques autres pays de l’UE, qui continuent de déployer des politiques fiscales prudentes.

Certes, le drapeau français ne va pas flotter sur la porte de Brandebourg, mais les réparations que l’Allemagne va verser à la France et à ses alliés signifient que la situation ressemble vraiment à une défaite à l’issue d’une vraie guerre. Mais il faut laisser ce crédit aux hommes politiques européens : frontalement, chacun apparaît honorable et bien propre sur soi. Sous prétexte de lutte contre le coronavirus, Angela Merkel, après des années d’opposition acharnée, a cédé sur le sujet des soi-disant « coronabonds » — une dette dont l’UE en tant qu’entité sera responsable (mais dans les faits, ce sera l’Allemagne et les autres pays présentant des économies plus ou moins stables), alors que l’argent va être dépensé par la France, l’Italie, l’Espagne, et d’autres membres de l’UE présentant des idées particulières quant à la discipline budgétaire. La première tranche de « coronabonds » s’élevera à 500 milliards d’euros. Comme l’indique la BBC, « le président français, Emmanuel Macron, et la chancelière allemande, Angela Merkel, ont convenu que les fonds seront débloqués sous forme de subventions. »


Le premier ministre italien, Giuseppe Conte, et Macron

Pour traduire ceci de la langue « bureaucrate » en politique économique, voici ce qu’il faut comprendre : les Allemands, les Hollandais, les Suédois et les Autrichiens vont s’endetter et rembourser la dette, et l’argent sera donné, sans condition, aux pays d’Europe du Sud qui ont réussi à briser la résistance de « la dame de fer Angela », sans doute sous la menace que sans versement d’argent (et ce, sans condition), la zone euro sera purement et simplement détruite. Il n’est pas à exclure que c’est précisément cette menace qui fut évoquée par Macron suivant la capitulation de la chancelière allemande, lorsqu’il a affirmé que les 500 milliards d’euros étaient l’étape (sans doute la première étape) dont « la zone euro a besoin pour rester unie ».

En théorie, la dette sera remboursée sur le budget conjoint de l’Union européen. Mais, pour commencer, les pays membres de l’UE ne contribuent pas tous à égalité à ce budget, et deuxièmement, si, sous prétexte de lutte contre le coronavirus, Macron et ses alliés ont pu vaincre une Merkel jadis inflexible sur le sujet sensible de la création d’un instrument de dette européenne commune, et faire en sorte que la France, l’Italie, l’Espagne, ainsi que d’autres pays du sud de l’Europe contribueront encore moins au budget, cependant que l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark et la Hollande y abonderont bien plus, alors il s’agit sans aucun doute d’une opération politique.


Mark Rutte, le premier ministre hollandais, Sebastian Kurz, le chancelier autrichien, et Angela Merkel, la chancelière allemande

En anticipation de l’immense scandale qui promettait d’éclater à l’issue de sa capitulation sur ce qui constitue une affaire de principe pour les entreprises allemandes, les hommes politiques d’outre-Rhin, ainsi qu’une partie significative de l’électorat de son pays, la chancelière allemande s’est empressée d’énoncer des éclaircissements importants à l’issue des commentaires victorieux du président français.

Elle a avancé que les « coronabonds » sont un instrument à usage unique, nécessaires du fait que l’Union européenne fait face à une crise sans précédent [La crise de 2008 était déjà qualifiée selon les mêmes termes, souvenez-vous… NdT]. Le journal britannique The Guardian a indiqué à ses lecteurs que la position officielle de Berlin présuppose « une durée de vie strictement définie » pour le programme ainsi adopté, ce qui – au moins en théorie – devrait rassurer ceux qui s’opposent à ce que l’argent allemand soit distribué à des bénéficiaires français. Le problème est que ces assurances ne risquent pas d’apaiser grand monde.

Le parlement européen demande déjà un package de 2.000 milliards d’euros (au lieu des 500 milliards d’euros anticipés jusqu’ici) pour « simuler l’économie », ce qui signifie qu’il est fort probable que l’Allemagne, ainsi que les autres pays de l’UE plus ou moins stables, se verront affublés d’une dette additionnelle d’un montant que nul n’aurait pu imaginer jusqu’ici, pas même dans ses rêves les plus fous. En outre, le premier ministre italien a déjà tweeté que les « dotations » de 500 milliards d’euros constituent une « première étape ». Aussi, il est fort probable que Macron et ses alliés du jour s’emploient à traire encore plus la vache à lait allemande.

Paradoxalement, le dernier espoir de sauver l’argent de l’Allemagne est une union entre l’Autriche, le Danemark, la Hollande et la Suède, sous la direction informelle du chancelier autrichien Sebastian Kurz.

Comme l’indique tout à fait justement Euronews, chaque membre de l’UE doit approuver les « coronabonds » pour qu’ils soient effectivement mis en œuvre, et tous les membres de l’UE ne l’ont pas encore fait : « Sebastian Kurz a laissé entrevoir la difficulté des négociations à venir, en annonçant sur Twitter qu’il a discuté avec les dirigeants danois, hollandais et suédois quant à la proposition, et que leur ‘position reste inchangée’. ‘Nous sommes prêts à consentir à des emprunts pour aider les plus affectés’, a-t-il affirmé. ».


Stefan Lofven, le premier ministre suédois, Mark Rutte, le premier ministre hollandais, et Sebastian Kurz, le chancelier autrichien.

Cependant, en dépit du fait que les pays les plus mécontents d’éponger les dettes des budgets français et italiens [Les auteurs du présent article semblent n’avoir pas à l’esprit que la France est tout de même contributrice nette de plus de 10 milliards d’euros par an dans le budget de l’Union européenne, NdT] disposent chacun de facto d’un droit de veto, les chances sont minces pour que ces quatre « courageuses fourmis » puissent tenir longtemps face à la pression combinée du reste de l’UE, de Paris, de Berlin, et de la commission européenne. Pour les pays qui ont perdu à être membres de la zone euro, et dont les économies sont incapables de défier l’économie allemande sur le marché unique européen, la pandémie de coronavirus constitue une sorte de dernière chance de contraindre Berlin et ses alliés à rendre un peu des profits énormes que la zone euro leur a apportés. D’un autre côté, les votants en Allemagne, en Hollande et en Autriche pourraient soulever des objections raisonnables à une telle redistribution de l’argent, faite à leurs dépens. Les citoyens allemands ne seront pas en mesure d’arrêter Angela Merkel si elle est convaincue que sauver la zone euro vaut bien 2 000 milliards d’euros, qui sortiront en fin de compte du budget allemand. Mais aux prochaines élections, ces électeurs pourront décider qu’il leur faut des hommes politiques qui défendent leurs intérêts nationaux plus catégoriquement. Et il ne faudra pas s’étonner qu’un effet secondaire du « traitement du coronavirus par de la dette » soit de faire monter brutalement le populisme anti-système dans de nombreux pays européens.

Si cela se produit, on ne manquera pas d’accuser soit « les trolls russes des réseaux sociaux » (comme d’habitude) ou « les tentatives de propagande menées par la Chine » (le refrain à la mode). Mais le vrai coupable réside dans la création d’une nouvelle vague de risque politique pour l’Union européenne, ainsi que pour les dirigeants européens qui ont choisi d’emprunter ce chemin.

Note du Saker Francophone : La zone euro s'habitue ici à connaître une crise sans précédent tous les dix ans et à devoir sauver l'euro à chaque occasion, à très grands frais. Reste que les écarts se creusent inexorablement, et que, comme l'avancent divers économistes de premier plan depuis le lancement de l'euro, ce projet de "construction" européenne est voué au naufrage. Paradoxalement, c'est à présent notablement sur l'Allemagne que les tensions sont en train de fortement monter, et c'est donc de là que la fracture pourrait se déclarer : n’en déplaise aux européistes français qui continueront jusqu’à la dernière seconde d’invoquer le couple franco-allemand, le débat sur la viabilité et une possible sortie de l’euro est ouvert depuis plusieurs années dans les grands médias économiques allemands. Qui vivra verra. Quant au lecteur qui croirait que Macron, soudainement, se serait mis à défendre les intérêts des Français, qu’il se détrompe. Macron n’a agi ainsi que par idéologie européiste.

Traduit par José Martí pour le Saker Francophone

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