Voici un intellectuel de belle stature, d’une immense culture et d’une pensée d’une réelle qualité. Par rapport à mon point de vue, je dirais que je partage nombre de ces jugements et positions sur les problèmes du temps ; ce qui nous différencie je crois, c’est qu’il fait moins confiance à l’irrationalité et plus à la raison que je ne fais, craignant pour son compte de tomber dans le traquenard de la magie ou de la “foi” du zélote. (Autre différence, il se pense athée et je ne me pense pas athée ; mais c’est, malgré l’apparence, d’une importance secondaire.) Qu’importent les espaces séparant l’un de l’autre, c’est un bel esprit que je salue.
De même, et selon ce qu’on pourrait juger être un caprice de ma part, je ne désire pas lui donner son nom. Peut-être s’agit-il pour moi de ne pas laisser ou faire croire que je le critique, – ce qui n’est le cas en aucune façon, – et dans tous les cas il y a cette raison que son anonymat doit empêcher de lire ce qui suit avec certaines idées toutes faites attachées à un nom, pour ne s’attacher qu’au travail de l’esprit et aux pièges qu’il ménage. Qu’ensuite, certains recherchent son identité et la trouvent, peu me chaut.
Simplement dit enfin, il y a, dans la contradiction que je vais exposer en le citant quelque chose qui doit nous arrêter, qui nous concerne tous.
Pour la bonne forme, qu’on sache que c’est un texte de forme questions-réponses, que l’on cite ici la réponse à la dernière question, qui est de savoir si la capitalisme va devoir complètement se modifier ou s’il pourra continuer comme il le faisait avant. La réponse commence d’une façon catégorique :
« Il est évident qu’on rêve debout quand on s’imagine que “rien ne sera plus comme avant”. Ceux qui souhaitent que rien ne change disposent de moyens énormes pour y parvenir... »
Certes oui mais il y a un “mais”. Suit un développement moins sur la pandémie que sur ce qui l’accompagne et qui va suivre : dévastation de l’économie, faillite, chômage, gigantesque crise économique et sociale, peut-être une crise financière, avec l’effet sur les populations les plus démunies, celles qui, déjà firent les Gilets-jaunes :
« Tout cela devrait aboutir à une colère sociale en comparaison de laquelle le mouvement des gilets jaunes apparaîtra rétrospectivement comme peu de choses. »
Poursuite de la description, évidemment éclairée par les années immédiatement passées, le “malaise français” devenu un symptôme parmi d’autres mais notablement spécifique de la crise du monde, les Gilets-Jaunes qui ont acquis un statut international en s’imposant comme des archétypes d’une nouvelle sorte de colère “sociale”. Il est manifeste que tout cela s’insère dans la tourmente déclenchée par Codiv19, à la fois cause et conséquence, comme autant de facettes de la même crise. Ainsi, les choses seront terribles et énormes, – car c’est exactement le qualificatif employé dans la dernière phrase citée, qui conclut de même l’entretien de notre anonyme.
« Les conséquences sont encore imprévisibles, mais elles devraient être énormes. »
Ce que je veux mettre en évidence, c’est la contradiction, au moins dans l’esprit qui est l’essentiel, entre le “ceux qui croient que ‘rien ne sera plus comme avant’ sont des rêveurs-debout” et la remarque sur les conséquences des événements de la crise avec parties liées entre sanitaire et économique, “encore imprévisibles, mais sûrement énormes”. La première affirmation, de forme théorique, est très largement contredite par la seconde, de forme opérationnelle. Je comprends bien cette contradiction, telle que je la perçois pour mon compte : on ne veut pas céder à un sensationnalisme qu’on peut juger catastrophiste, sinon apocalyptiste, sinon cédant à une sorte de magie éventuellement religieuse, lorsqu’il s’agit de théoriser les choses avec l’aide essentielle sinon exclusive de la raison ; mais on énonce sans crainte de heurter sa raison qui ne prétend à rien de tel, ce que l’on “sent”, ce que l’on “devine”, derrière la protection que forment l’énigme de l’avenir et l’emploi du conditionnel.
Pour ma part, je ne peux me résoudre à ainsi suivre le diktat de la déesse-Raison qui se manifeste en moi sous la forme de “ma-raison”. La seule issue est celle du refus de la connaissance, ou plus justement dit la pseudo-connaissance, la connaissance trompeuse ; autrement dit, la seule issue est ce que je crois être l’inconnaissance. Dès lors que mon intuition m’a autorisé à penser sous ma propre forme (la GCES) ce que mon anonyme dit lui-même (les conséquences “encore imprévisibles, mais sûrement énormes”), il m’est impossible de proscrire ce “rien ne sera plus comme avant” ; d’ailleurs, je ne l’absous pas plus que je ne le proscris, je ne suis maître de rien à cet égard.
Je me réfère à Chestov, décidément bien présent à mon esprit en ce moment, lorsqu’il décrit Pascal dans ses Pensées, comme cheminant au bord de l’abîme pour mieux le décrire (« Un grand miracle se produit sous nos yeux. Pascal s’accoutume à l’abîme, il commence à l’aimer... ») Chestov décrit Pascal qui “commence à aimer l’abîme”, exactement comme il faudrait à un être d’aujourd’hui en arriver à aimer l’inconnu où nous nous abîmons, qui nous présente sa béance dans les événements qui s’accumulent et nous contraignent absolument :
« En effet, quelque chose vient de finir mais autre chose vient de commencer. Des forces nouvelles et incompréhensibles se sont manifestées, des révélations nouvelles ont surgi. Les appuis solides se sont évanouis, marcher comme on marchait naguère est impossible, – il ne faut donc plus marcher, il faut voler. »
Il n’importe certainement pas de résoudre la piètre énigme du “rien ne sera plus comme avant”. L’essentiel est de se ramener assez à l’ontologie de l’être pour ne plus dépendre de sa raison, vaniteusement proclamée productrice de tant d’intelligence, pour se couler dans la crise, pour l’adopter, pour “l’aimer” : “s’accoutumer à la crise, commencer à l’aimer”...
De même, et selon ce qu’on pourrait juger être un caprice de ma part, je ne désire pas lui donner son nom. Peut-être s’agit-il pour moi de ne pas laisser ou faire croire que je le critique, – ce qui n’est le cas en aucune façon, – et dans tous les cas il y a cette raison que son anonymat doit empêcher de lire ce qui suit avec certaines idées toutes faites attachées à un nom, pour ne s’attacher qu’au travail de l’esprit et aux pièges qu’il ménage. Qu’ensuite, certains recherchent son identité et la trouvent, peu me chaut.
Simplement dit enfin, il y a, dans la contradiction que je vais exposer en le citant quelque chose qui doit nous arrêter, qui nous concerne tous.
Pour la bonne forme, qu’on sache que c’est un texte de forme questions-réponses, que l’on cite ici la réponse à la dernière question, qui est de savoir si la capitalisme va devoir complètement se modifier ou s’il pourra continuer comme il le faisait avant. La réponse commence d’une façon catégorique :
« Il est évident qu’on rêve debout quand on s’imagine que “rien ne sera plus comme avant”. Ceux qui souhaitent que rien ne change disposent de moyens énormes pour y parvenir... »
Certes oui mais il y a un “mais”. Suit un développement moins sur la pandémie que sur ce qui l’accompagne et qui va suivre : dévastation de l’économie, faillite, chômage, gigantesque crise économique et sociale, peut-être une crise financière, avec l’effet sur les populations les plus démunies, celles qui, déjà firent les Gilets-jaunes :
« Tout cela devrait aboutir à une colère sociale en comparaison de laquelle le mouvement des gilets jaunes apparaîtra rétrospectivement comme peu de choses. »
Poursuite de la description, évidemment éclairée par les années immédiatement passées, le “malaise français” devenu un symptôme parmi d’autres mais notablement spécifique de la crise du monde, les Gilets-Jaunes qui ont acquis un statut international en s’imposant comme des archétypes d’une nouvelle sorte de colère “sociale”. Il est manifeste que tout cela s’insère dans la tourmente déclenchée par Codiv19, à la fois cause et conséquence, comme autant de facettes de la même crise. Ainsi, les choses seront terribles et énormes, – car c’est exactement le qualificatif employé dans la dernière phrase citée, qui conclut de même l’entretien de notre anonyme.
« Les conséquences sont encore imprévisibles, mais elles devraient être énormes. »
Ce que je veux mettre en évidence, c’est la contradiction, au moins dans l’esprit qui est l’essentiel, entre le “ceux qui croient que ‘rien ne sera plus comme avant’ sont des rêveurs-debout” et la remarque sur les conséquences des événements de la crise avec parties liées entre sanitaire et économique, “encore imprévisibles, mais sûrement énormes”. La première affirmation, de forme théorique, est très largement contredite par la seconde, de forme opérationnelle. Je comprends bien cette contradiction, telle que je la perçois pour mon compte : on ne veut pas céder à un sensationnalisme qu’on peut juger catastrophiste, sinon apocalyptiste, sinon cédant à une sorte de magie éventuellement religieuse, lorsqu’il s’agit de théoriser les choses avec l’aide essentielle sinon exclusive de la raison ; mais on énonce sans crainte de heurter sa raison qui ne prétend à rien de tel, ce que l’on “sent”, ce que l’on “devine”, derrière la protection que forment l’énigme de l’avenir et l’emploi du conditionnel.
Pour ma part, je ne peux me résoudre à ainsi suivre le diktat de la déesse-Raison qui se manifeste en moi sous la forme de “ma-raison”. La seule issue est celle du refus de la connaissance, ou plus justement dit la pseudo-connaissance, la connaissance trompeuse ; autrement dit, la seule issue est ce que je crois être l’inconnaissance. Dès lors que mon intuition m’a autorisé à penser sous ma propre forme (la GCES) ce que mon anonyme dit lui-même (les conséquences “encore imprévisibles, mais sûrement énormes”), il m’est impossible de proscrire ce “rien ne sera plus comme avant” ; d’ailleurs, je ne l’absous pas plus que je ne le proscris, je ne suis maître de rien à cet égard.
Je me réfère à Chestov, décidément bien présent à mon esprit en ce moment, lorsqu’il décrit Pascal dans ses Pensées, comme cheminant au bord de l’abîme pour mieux le décrire (« Un grand miracle se produit sous nos yeux. Pascal s’accoutume à l’abîme, il commence à l’aimer... ») Chestov décrit Pascal qui “commence à aimer l’abîme”, exactement comme il faudrait à un être d’aujourd’hui en arriver à aimer l’inconnu où nous nous abîmons, qui nous présente sa béance dans les événements qui s’accumulent et nous contraignent absolument :
« En effet, quelque chose vient de finir mais autre chose vient de commencer. Des forces nouvelles et incompréhensibles se sont manifestées, des révélations nouvelles ont surgi. Les appuis solides se sont évanouis, marcher comme on marchait naguère est impossible, – il ne faut donc plus marcher, il faut voler. »
Il n’importe certainement pas de résoudre la piètre énigme du “rien ne sera plus comme avant”. L’essentiel est de se ramener assez à l’ontologie de l’être pour ne plus dépendre de sa raison, vaniteusement proclamée productrice de tant d’intelligence, pour se couler dans la crise, pour l’adopter, pour “l’aimer” : “s’accoutumer à la crise, commencer à l’aimer”...
Philippe Grasset
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