24 avril 2020

Onfray : “Je crois à un défaut d’intelligence doublé d'une suffisance abyssale de la part de ceux qui nous gouvernent”


Valeurs actuelles. Longtemps, la France a cru bon de vouloir nier l'évidence de cette crise sanitaire mondiale, de la minimiser. Comment expliquez-vous ce déni ?

Michel Onfray. C'est tellement énorme que je ne parviens pas à conclure à la bêtise crasse des gens de ce pouvoir ! Pourtant, dès le 28 janvier, j'étais sur un plateau de télévision, muni de mon simple bon sens, sachant ce que tout le monde savait, car je ne bénéficie d'aucun réseau d'informations particulières, réfléchissant sur les faits, et des remarques s'imposaient : la Chine, pays totalitaire s'il en est, n'a que faire d'avoir 100 000 ou 200 000 morts de plus dans son pays de plus d'un milliard et demi d'habitants… Dès lors, si ce gouvernement marxiste-léniniste confinait une ville de 15 millions de résidents, c'est qu'il y avait péril en la demeure planétaire… Pas la peine d'être grand clerc. Il y avait sur ce plateau un médecin, qui défendait l'hypothèse de la grippette, et Jean-Michel Aphatie, qui jouait la partition d'un sous-Minc ou d'un sous-Attali avec sa soupe maastrichtienne convenue. Je crois à un défaut d'intelligence, à un manque de réflexion doublé d'une suffisance abyssale de la part de ceux qui nous gouvernent et qui ont l'habitude de ne pas penser, de ne plus penser, tout au projet qui est le leur de faire fonctionner la machine libérale à plein régime, le peuple dût-il disparaître et avec lui l'État, la nation, la République.

Je crois à un défaut d'intelligence, à un manque de réflexion doublé d'une suffisance abyssale de la part de ceux qui nous gouvernent.

À croire que la première urgence de ce gouvernement était de préserver le modèle libre-échangiste et ce que vous appelez « l'État maastrichtien »…

Oui bien sûr, il n'y a que ça chez ces gens-là, dont le ressort est machiavélique : ils font tout pour avoir le pouvoir et, quand ils l'ont, ils font tout pour le garder. Sans foi ni loi, ils sont prêts à tout pour faire avancer leur projet qui est clair, Jacques Attali l'a écrit noir sur blanc dans Demain, qui gouvernera le monde ? en 2011. Le projet d'Europe de Jean Monnet, issu de la CIA, voulu par tous les hommes d'État au pouvoir depuis Mitterrand, en 1981, suppose des choses précises : supprimer la souveraineté nationale, détruire le pouvoir de l'État, afin de rayer de la carte la nation française et la République, obtenir ainsi une Europe que je dis “maastrichtienne”, qui fonctionne comme le premier rouage d'une machine qui entend produire à terme un État universel avec un gouvernement planétaire qui économiserait les peuples et imposerait, sur le principe saint-simonien, un gouvernement dit “de techniciens”, qui serait en fait celui du capitalisme planétaire. Le même Attali a vanté les mérites des pandémies sous prétexte qu'elles contribueraient à rendre l'idée d'un gouvernement planétaire acceptable pour le commun des mortels. Je crains que, sur ce sujet comme sur le reste, Attali se trompe et que pareille pandémie démontre plutôt le contraire, à savoir la nécessité d'un retour de l'État protecteur, qui ferme les frontières, décide, active la police et l'armée pour imposer ses décisions : c'est le retour du souverainisme qui s'impose et non l'avènement du mondialisme. Le virus est mondialisé, mais la riposte médicale s'avère souverainiste : le mal est identifiable, le bien aussi.

La France aura été le dernier pays européen à maintenir ses frontières ouvertes sous prétexte qu'« un virus ne s'arrête pas aux frontières », selon la formule d'Olivier Véran, le ministre de la Santé. Pour vous, il est clair que les Français ont été exposés au virus par “idéologie européiste” ?

Bien sûr… Ces gens font de la politique tout le temps, ils ne font que ça, d'ailleurs… Et la politique, pour eux, c'est ce que je viens de vous dire : travailler à la destruction des États afin d'imposer le règne sans partage du capitalisme. L'article de Francis Fukuyama, « La fin de l'histoire ? » , est d'ailleurs programmatique : en 1989, il révélait très précisément le projet maastrichtien le triomphe sans partage du capitalisme planétaire. Protéger les Français s'avère le cadet des soucis de Macron, qui est le candidat placé au pouvoir par l'“État profond” banquiers, journalistes, économistes, financiers, politiciens… Il n'a pas été élu pour la France ou pour les Français, mais pour les marchés et le veau d'or. La perpétuelle mise en avant du drapeau européen et de l'hymne de cet État impérialiste chez cet homme et les siens en témoigne : on ne saurait dire qu'ils avancent masqués !

Que de temps perdu en France…

Pour la France et les Français, oui, pour les marchés, pas forcément… Je ne crois pas du tout que la France soit le souci du président de la République. Depuis la fin politique du général de Gaulle, en 1969, le projet politique national n'est d'ailleurs plus autre chose que celui du capital destructeur des nations. Le mouvement des “gilets jaunes”, avant la récupération par les partis et les syndicats qui sont les idiots utiles du projet macronien à gauche, ils finissent toujours par voter pour ce projet sous prétexte d'éviter un fascisme qu'ils préfèrent assumé par les maastrichtiens…, ce mouvement, donc, avait confusément vu qu'un populicide était en actes depuis des années.

Le mouvement des “gilets jaunes avait confusément vu qu’un populacière était en actes depuis des années.

Maintenant que le coronavirus se propage en France et que le gouvernement s'est résolu à adopter des mesures de confinement, Emmanuel Macron, le gouvernement et les relais du pouvoir n'ont de cesse d'incriminer les Français, comme si leur incivisme était le grand responsable de la pandémie qui nous frappe. Mais ne faut-il pas plutôt incriminer la communication cacophonique du gouvernement, où se succèdent chaque jour davantage les injonctions contradictoires ?

C'est la vieille théorie du bouc émissaire qui reprend du service ! Dans sa haine des peuples et des gens, tout à son amour du pouvoir et des puissants, l'élite fustige le petit peuple en moquant son délire : elle insiste plus sur les pauvres qui font des provisions de papier toilette, de sucre de farine, de pâtes et de riz que sur les Parisiens venus à l'île de Ré qui dévalisent les magasins avec des Caddie de 500, 600 ou 800 euros ! Les vins fins et le whisky de l'alcoolisme mondain débordant de leurs cartons… Quelques intellectuels du genre Peter Sloterdijk qui par ailleurs avait dit son “admiration” pour Macron ou André Comte-Sponville qui pense politiquement la même chose que son collègue outre-Rhin, voire BHL idem sur le terrain macronien…, sinon de plus petits couteaux encore, estimaient, il y a peu, que le pire dans cette aventure, c'était le délire des gens ! Un sous-BHL dont j'ai oublié le nom a dit, probablement parlant de lui : « Le virus du délire se répand plus vite que le coronavirus » …

N'est-ce pas le “et en même temps” présidentiel qui fait montre de ses limites ?

Ce “en même temps” s'avère en effet une pathologie, c'est celle de la schizophrénie à propos de laquelle Gilles Deleuze et Félix Guattari ont dit qu'elle devrait devenir la règle et la loi, ils ont été entendus au-delà de toute espérance… dont se trouve affecté personnellement le chef de l'État. Ce qui s'avère dommage pour le pays… Mais cette schizophrénie personnelle ne va pas sans un cap politique qui, lui, est bien droit : c'est celui du en même temps Maastricht et Maastricht. Sur ce sujet, il ne divague jamais : il parle en schizophrène, mais il agit en monomaniaque de l'État universel.
Or, le virus invalide profondément le logiciel maastrichtien : fermeture des frontières, souverainisme des États, restauration du pouvoir régalien, protectionnisme, ce qui a été vilipendé comme d'extrême droite, fascistoïde, vichyste se trouve être le meilleur médicament pour lutter contre la peste le libéralisme maastrichtien étant l'une des modalités de la peste…

La France est « en guerre » et elle envoie ses soldats en blouse blanche au front sans masque et sans protection. N'y a-t-il pas là une inconséquence criminelle que le gouvernement est impuissant à masquer sous le vernis de sa propagande ?

Depuis un quart de siècle, les tenants de l'État total planétaire nous ont présenté l'Europe comme une force susceptible de devenir l'une des puissances du monde qui comptent. Son mantra était : l'union fait la force. Je vous rappelle d'ailleurs que la devise de l'État maastrichtien est : “Unie dans la diversité” ! Mon œil… L'Europe a exposé l'Italie à la mort et la laisse errer au milieu de montagnes de cercueils, la République tchèque a volé des masques offerts par la Chine à ce beau pays martyr, l'Allemagne a opté pour une stratégie, la France pour une autre, etc. Où l'on voit que cette Europe n'était qu'un club de riches qui se carapatent dès qu'un problème surgit. Chacun pour soi. Les bobos parisiens quittent la capitale, la Babylone de ce monde-là, pour arriver en pays conquis dans une province dont ils se souviennent d'un seul coup qu'elle existe et à laquelle ils demandent d'accueillir leur misère dorée. Et cette “Europe-puissance”, pour utiliser les concepts creux des thuriféraires de Maastricht, tombe, frappée à mort, faute de pouvoir fournir en masques les médecins qu'elle envoie au contact de la mort au front, pour utiliser le vocabulaire du jeune Macron.

On voit que cette Europe n'était qu'un club de riches qui se carapatent dès qu'un problème surgit. Chacun pour soi.

Cette propagande d'État, relayée par nombre d'affidés du pouvoir sur les plateaux de télévision, n'est-elle pas un signe supplémentaire de cette « dictature new-look » que vous avez été le premier à dénoncer ?

Oui, bien sûr. Avec ce virus, comme avec l'usage du révélateur en photographie argentique, le cliché apparaît enfin clairement sous la lumière rouge sang du laboratoire : nous sommes bien dans ce monde que je dénonce chaque jour depuis des années. Quiconque ne voit pas ne veut pas voir ! Le rideau s'est ouvert et sur scène on découvre que le roi maastrichtien est nu. Il y a bien une “fonction heuristique de la peur”, une vertu révélatrice de la peur, pour parler le langage de Hans Jonas, mais pas comme il le croyait : cette heuristique découvre la salle des machines du pouvoir de l'État maastrichtien. On y découvre les boutons : supprimer les peuples, économiser les peuples, mépriser les peuples, contourner les peuples, soudoyer les peuples au choix… Il y a aussi le bouton : exposer les peuples au chômage de masse, à la misère, à la pauvreté, à l'immigration de masse ou bien aux pandémies…

Reste que le chef de l'État débloque des milliards introuvables avant que la pandémie éclate pour limiter les effets dévastateurs de la crise…
Roger Ruel, le père de ma compagne aujourd'hui décédée, avait été résistant. Formé à l'école de la République, il ne disait que des choses frappées au coin du bon sens. Lui qui avait connu la guerre, il disait avec raison que les gouvernements affirmaient qu'il n'y avait jamais d'argent quand il s'agissait d'améliorer la condition ouvrière — le fameux l'« État est en faillite » de François Fillon, Premier ministre de Nicolas Sarkozy —, mais qu'il y en avait toujours pour faire la guerre — le même Fillon en trouvant pour détruire la Libye laïque… Chacun peut voir dans cette situation que, en effet, quand on veut trouver de l'argent, on en trouve…

Emmanuel Macron, dans sa communication, se rêve en “père de la nation”. Avez-vous l'impression que la France est unie derrière le chef de l'État ?

Je suis sidéré par les études qui prétendent que sa cote de confiance remonte de plus de 10 points… La collusion entre les instituts de sondage et les rédactions de presse n'est plus à démontrer. Ils ne disent pas l'état de l'opinion, ils la créent. Je vois mal comment autant d'erreurs d'appréciation, autant de tergiversations, autant de contradictions, autant de volte-face, autant d'erreurs d'action, autant de démonstrations que l'on se moquait de ses décisions, notamment dans les territoires vraiment perdus de la République, autant de collusion de son ancienne ministre de la Santé avec le monde des affaires on dira un jour les très vraisemblables conflits d'intérêts que le mari d'Agnès Buzyn a eus avec le Pr Raoult, un probable savant génial, comment tout cela, donc, pourrait-il être perçu positivement par les citoyens ? La colère gronde bien plutôt et tout est fait pour qu'on ne l'entende pas…

La crise du coronavirus ne révèle-t-elle pas et n'accentue-t-elle pas au contraire les fractures sociales, géographiques de la France ?

Oui, le révélateur agit là aussi. La lutte des classes n'a jamais autant été mise à nu ! Les bobos de Paris qui descendent dans leurs résidences secondaires en province comme des satrapes, le dandysme vulgaire d'auteurs mondains qui racontent leurs misères dorées sans même s'apercevoir de l'obscénité qu'il y a à s'exhiber ainsi auprès des gens confinés dans de modestes appartements. C'est à vomir !

Voyez-vous quelque vertu à cette crise sans précédent que nous vivons ?

Il serait malvenu, alors que des gens souffrent et meurent, que d'autres s'exposent à la mort pour les soigner, de chercher et trouver des vertus à cette pandémie… 

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