En lisant cette étude, vous voyez des chiffres impressionnants sur la chute d’activité. Ils étaient prévisibles. L’INSEE chiffre à 3 points de PIB chaque mois de confinement et leur estimation a été dès le départ la plus crédible. Avec une reprise très lente, et un confinement de deux à trois mois, une saison touristique d’été gâchée, prévoir une récession de 10 à 11 points de PIB me semble hélas l’hypothèse la plus à craindre.
Ce chiffre d’une récession d’environ 10 points du PIB, peut-être moindre si la reprise économique française est rapide et franche, mais je crains que ce ne soit pas le cas, et que la sortie du confinement se fasse lentement, sans oublier la possibilité d’une seconde vague et d’un deuxième pic épidémique nécessitant un nouveau confinement.
Bref, l’économie souffre terriblement et ce n’est pas fini.
Charles SANNAT
Le 26 mars, soit 9 jours après l’entrée en vigueur en France du confinement de la population pour lutter contre la propagation du virus Covid-19, l’Insee proposait une première estimation de la perte d’activité instantanée, de l’ordre d’un tiers, associée à cette « mise en sommeil » d’une partie de l’économie française.
Comme annoncé, cette estimation « en temps réel » est, deux semaines plus tard, actualisée et précisée dans ce nouveau Point de conjoncture. Au 9 avril 2020, compte tenu des informations que l’Insee a pu recueillir, l’ordre de grandeur de cette perte d’activité est confirmé. Elle est évaluée à plus d’un tiers du PIB (–36 %). Dans les branches principalement marchandes (qui représentent 78 % du PIB), la perte d’activité est estimée à –42 %, avec de forts contrastes : certains services sont quasiment à l’arrêt (hébergement et restauration) tout comme certaines branches industrielles ; à l’inverse les industries agro alimentaires, pour ne citer qu’elles, fonctionnent à un niveau relativement proche de la normale. La consommation des ménages subit quant à elle également une perte de l’ordre d’un tiers (–35 %). Sur le champ marchand, la chute de la consommation des ménages est d’ampleur a priori un peu inférieure à celle de l’activité économique, du fait d’un probable fort mouvement de déstockage. Par rapport au Point publié le 26 mars, cette deuxième édition présente par ailleurs des décompositions par branches d’activité à un niveau plus fin, et la méthodologie utilisée y est davantage développée.
Ces estimations s’appuient en effet moins qu’à l’accoutumée sur les résultats des enquêtes de conjoncture de l’Insee. Ces dernières fournissent une information précieuse mais leur collecte est affectée par la crise sanitaire en cours. En outre, les enquêtes de mars reflètent essentiellement l’opinion des chefs d’entreprise recueillie avant la mi-mars (opinion déjà teintée de beaucoup d’inquiétude), et donc avant le confinement. Il est probable que les enquêtes d’avril, à paraître dans deux semaines, indiqueront une chute encore plus lourde du climat des affaires.
Pour mesurer l’intensité de la crise en cours, la méthode utilisée par l’Insee se démarque donc de celle, plus classique, mobilisée pendant la crise de 2008-2009, dont l’ampleur était moindre. Nos estimations s’appuient sur des sources moins conventionnelles : remontées de terrain qualitatives, données à haute fréquence comme par exemple les informations sur les transactions par cartes bancaires ou bien les statistiques issues de moteurs de recherche. Nous remercions à nouveau les organismes très divers qui nous ont transmis des informations : le Groupement Cartes bancaires CB, SNCF Réseau, RTE, la Direction générale des entreprises, France Industrie et différentes fédérations professionnelles. Nous avons également bénéficié d’échanges fructueux avec nos collègues de Rexecode, de l’OFCE et de la Banque de France. Naturellement, nos estimations n’engagent que l’Insee.
Au-delà des organismes français, les organismes internationaux ont également proposé des estimations de perte d’activité pour différents pays dont la France. Par exemple, nos collègues de l’OCDE ou bien de l’IFO (institut de conjoncture allemand) ont publié récemment des estimations qui s’appuient sur des hypothèses de baisse d’activité par secteur uniformes dans les différents pays étudiés. Les différences entre les pays reflètent alors surtout des différences sectorielles. Notre approche, centrée uniquement sur la France, s’appuie davantage sur les données disponibles, de natures très diverses.
Notre estimation nous semble compatible avec les premières statistiques globales disponibles, s’agissant par exemple de la consommation d’électricité ou du fonctionnement du marché du travail.
Selon RTE France, le confinement a ainsi entraîné une diminution de la consommation d’électricité de l’ordre de 15 à 20 % toutes choses égales par ailleurs (à conditions météorologiques équivalentes), avec des baisses marquées dans la grande industrie manufacturière (–27 % sur la deuxième semaine de confinement par rapport à la période d’avant-crise) et dans le transport ferroviaire (–57 %), tandis que la consommation résidentielle a tendance à augmenter.
S’agissant du marché du travail, nos collègues de la DARES publient à un rythme hebdomadaire un tableau de bord retraçant notamment l’évolution du chômage partiel. Au 7 avril 2020, 6,3 millions de salariés seraient concernés par ce dispositif, soit près d’un tiers des salariés du secteur privé. Il est possible que ce chiffre augmente de nouveau à court terme, les entreprises disposant depuis la mi-mars de 30 jours pour déposer leur demande, avec effet rétroactif.
Nous mènerons par la suite des analyses plus poussées pour relier, secteur par secteur, ces statistiques à la baisse d’activité estimée.
À côté des cadrages globaux, les données de cartes bancaires nous permettent également d’analyser, à un niveau fin, les comportements des consommateurs avant puis pendant la période de confinement. Les achats d’anticipation ont été massifs juste avant le confinement : par exemple, les dépenses alimentaires du lundi 16 mars 2020 ont plus que triplé par rapport au lundi correspondant de 2019. La consommation des ménages s’est depuis stabilisée en fort recul par rapport à la normale, mais de manière différente selon les secteurs. La vente à distance chute moins que la vente « physique ». Et même pour les secteurs où les montants de transactions se maintiennent, la fréquence des achats diminue mais le panier moyen tend à augmenter.
Enfin, comme dans l’édition du 26 mars dernier, nous ne proposons pas dans ce Point de conjoncture de prévision de croissance du PIB trimestrielle ni a fortiori annuelle. Les comptables nationaux de l’Insee publieront si possible fin avril la première estimation des comptes du premier trimestre 2020. L’évolution du PIB devrait être nettement négative au premier trimestre et sans doute plus encore au deuxième trimestre, selon la durée et les modalités de sortie du confinement.
Nous maintenons l’estimation d’une perte comptable de 3 points de PIB annuel pour un mois de confinement. La perte effective sera en toute hypothèse supérieure car, comme beaucoup d’économistes l’ont déjà noté, il est très peu probable que la sortie du confinement s’accompagne d’un retour immédiat de l’activité économique à la normale : la sortie de confinement sera progressive, la réouverture des commerces fermés et la reprise des habitudes de consommation ne seront pas instantanées, la disponibilité des personnes actives en charge d’enfants à garder ne sera pas forcément acquise tout de suite. Qui plus est, plus la période de confinement se sera prolongée, plus les chaînes de valeur dans certaines filières mettront du temps à se réorganiser, plus les activités dans certains services aux entreprises seront durablement pénalisées.
Au-delà de leurs effets contemporains, ici estimés, les dispositions prises pour contenir l’épidémie auront donc une ombre portée sur les semaines et les mois qui suivront, ce d’autant plus que la période de confinement sera longue.
Source INSEE ici
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