02 avril 2020

Coronavirus: après la cagnotte de Darmanin, un impôt exceptionnel ?


Le coût de la crise sanitaire en France se chiffrera en dizaines de milliards d’euros. Peut-on s’attendre, dans le pays le plus taxé au monde, à une hausse d’impôts afin de compenser les mesures de sauvegarde de l’économie? En 1976, une terrible sécheresse avait déjà poussé Valéry Giscard d’Estaing à majorer l’impôt sur le revenu. Analyse.

Alors que des entreprises se mobilisent pour tenter de pallier le manque de moyens du monde hospitalier, que des citoyens se mobilisent pour soutenir des soignants ou des voisins dans le besoin, Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics a, dans une interview accordée à nos confrères du Figaro le 31 mars, lancé «un grand appel à la solidarité nationale», annonçant le lancement d’une plate-forme en ligne pour récolter des dons, lui valant d’ailleurs bien des railleries.

Est-ce à dire que l’État n’aurait pas les moyens d’aider les entreprises et les particuliers frappés par les conséquences économiques de l’épidémie de coronavirus? Il faut dire que la note serait salée. 60 milliards d’euros de perte pour l’économie française par mois de confinement, soit 2,6 points de PIB annuel, telle est l’évaluation de l’impact du coronavirus sur l’économie française que dresse par l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Son président, Xavier Ragot, a estimé le 30 mars que la situation était «sans commune mesure avec les chocs que l’on a pu connaître» en 2008 ou en 1929.

Une mauvaise nouvelle pour les caisses de l’État… et donc pour le contribuable.


En effet, si on nous répète que l’heure n’est pas à la polémique (sauf à l’encontre de la Chine), il n’est visiblement pas encore temps d’annoncer aux Français qu’ils auront à régler l’ardoise des mesures prises ces dernières semaines pour faire face à la crise sanitaire et sauvegarder l’économie nationale.

Les entreprises étant à l’arrêt, celles-ci sont placées sous perfusion afin de tenter de les faire survivre le temps que l’épidémie soit maîtrisée. Faute d’activité et donc de revenus, ces dernières ne seront pas en mesure de payer d’impôts au sortir de la crise. L’État doit également s’asseoir sur une part non négligeable des revenus fiscaux habituellement générés par la TVA, en forte baisse en période de confinement et de fermeture de magasins. Sur ce point, l’OFCE planche d’ailleurs sur une chute de 18% de la consommation des ménages après un mois de confinement.

De plus, Bercy doit faire face à des décaissements exceptionnels considérables: surcoût de la prise en charge des malades, du chômage partiel de 3,6 millions de salariés confinés chez eux (pour un coût provisoire de 11 milliards d’euros) et de la mobilisation exceptionnelle de moyens d’État.

Pour autant, de l’autre côté, notre système de redistribution n’est pas grippé, les prestations et diverses aides sociales continuent à être reversées à leurs ayants droit, tout comme les salaires des fonctionnaires, créant ainsi un écart de trésorerie qui ne pourra se résorber de lui-même. 
 
Où est donc passé l’argent?

Les prélèvements obligatoires ont beau peser en France pour plus de 48% du PIB (en 2018, selon Eurostat), faisant de l’Hexagone le n° 1 mondial de la pression fiscale, avec un volume de plus de 1.000 milliards de taxes et d’impôts brassés chaque année, ce n’est pas pour autant que ses finances publiques sont en mesure d’encaisser une telle charge exceptionnelle. Un décalage entre des sommes prélevées toujours plus importantes et un État –incapable d’abaisser son train de vie– toujours plus quémandeur, malheureusement logique, mais qui aujourd’hui choque nombre de Français, qui s’interrogent: où est donc passé l’argent?

Lever un impôt pour pallier des pertes économiques majeures? Cela n’a rien d’exceptionnel. Pour nos compatriotes à mémoire courte, ce cas de figure s’est déjà présenté en France. En 1976, une canicule sans précédent frappait l’Europe. Deux semaines de températures record, couplées à une période de sécheresse exceptionnelle, qui avait préalablement eu raison des nappes phréatiques, virent à bout des récoltes. La «solidarité nationale» est alors brandie, l’armée est réquisitionnée pour apporter dans l’urgence du fourrage aux agriculteurs.
Le précédent de l’«impôt-sécheresse» en 1976

L’assèchement des cours d’eau impactera également durement le transport fluvial, ainsi que la production d’énergie, les centrales nucléaires ne pouvant plus être refroidies.

D’importantes grèves marqueront également cette période de fortes chaleurs. Pour compenser les pertes du monde agricole, le Président centriste Valéry Giscard d’Estaing annoncera dès la sortie de la crise, à la fin août, une majoration de 10% de l’impôt sur le revenu (IR) au-dessus d’un certain seuil. Un «impôt sécheresse» qui avait poussé à la démission le Premier ministre d’alors, un certain Jacques Chirac. Depuis, si la solidarité a servi de prétexte à de nombreux nouveaux impôts et taxes, la canicule de 2003 est la seule catastrophe naturelle à avoir eu droit à son propre impôt, la journée de «solidarité». Un impôt déguisé sous forme d’une journée travaillée, mais non payée, prise sur les jours de congé des salariés.

Les propriétaires seront-ils les bonnes poires?

Reste à savoir qui paiera la note, si comme tout le laisse à penser, la cagnotte de Gérald Darmanin ne suffit pas à éponger l’ardoise. Le dilemme est bien sûr plus politique que budgétaire. Si la gauche et l’extrême gauche appellent Gérald Darmanin à rétablir l’ISF, il apparaît peu probable qu’Emmanuel Macron revienne sur une telle mesure-totem de son mandat. Augmenter la TVA? S’il s’agirait-là d’une mesure également répartie sur tous les Français, celle-ci risque par sa dimension universelle d’être la plus impopulaire, exposant par ailleurs le gouvernement aux critiques de sa propre majorité. Rappelons que, tout comme Emmanuel Macron, le gros des marcheurs vient de la gauche de l’échiquier politique. Une hausse qui risquerait d’être d’autant plus impopulaire que ces dernières années les contributions exceptionnelles ont eu la fâcheuse tendance à se pérenniser… Si certaines sont restées momentanées, voire ont abouti à des couacs, comme la surtaxe sur les dividendes de François Hollande qui, après invalidation par le Conseil constitutionnel fin 2017 avait abouti à une surtaxe «exceptionnelle» de 15% à 30% sur l’Impôt sur les sociétés (IS) versés par les grandes entreprises, d’autres ont fait leur bonhomme de chemin jusqu’à nos jours… comme la CSG et la CRDS, dont les taux n’ont par ailleurs pas manqué de croître.

Surtaxer l’impôt sur le revenu, comme son prédécesseur centriste 44 ans plus tôt? Là encore, la mesure paraîtrait électoralement incongrue et contraire aux engagements pris ces dernières années par la majorité pour abaisser le taux d’imposition des tranches les plus hautes. Augmenter la fiscalité des successions paraît également impensable, le taux de l’impôt le plus mal-aimé des Français frisant déjà la confiscation. On voit mal également le gouvernement surtaxer les carburants au risque de réveiller les Gilets jaunes ou toucher à la taxation des entreprises touchées par la crise du coronavirus.

Face à un système fiscal en surchauffe, il existe une catégorie de contribuables sur laquelle Emmanuel Macron pourrait être tenté de se porter à nouveau: les propriétaires. Souvent désignés comme les «dindons de la face» ou les «vaches à lait» des politiques fiscales successives, ces contribuables peu enclins par définition à l’exil fiscal ont vu leurs différents prélèvements obligatoires flamber ces dernières années. Durant la campagne électorale de 2017, déjà, Emmanuel Macron ne cachait pas un certain mépris à leur égard, en les qualifiant de «rentiers» et en les excluant de la suppression de l’ISF. Ces derniers sont d’ailleurs confrontés à l’explosion de leurs charges foncières, pour compenser une autre promesse de campagne d’Emmanuel Macron, bien plus coûteuse pour les caisses de l’État, la suppression de la taxe d’habitation pour les résidences principales… à moins que celle-ci, dont la pleine application ne cesse d’être reportée par Bercy, ne soit finalement celle qui saute pour renflouer les caisses après le confinement? Réponse d’ici quelques semaines.

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