L’épidémie dansante de 1518
De nombreuses personnes dansèrent sans se reposer durant plus d’un mois, certaines d’entre elles décédèrent de crise cardiaque, d’accident vasculaire cérébral ou d’épuisement, bien qu’aucun auteur contemporain aux faits n’évoque de décès liés à cette épidémie de manie dansante.
La manie dansante, ou chorémanie ou encore épidémie de danse de Saint-Guy, est un phénomène d’hystérie collective principalement observé en Allemagne et en Alsace entre les 14ème et 18ème siècles. Il s’agit d’un groupe de personnes se mettant subitement à danser de façon incontrôlable et étrange. Ce mal affectait des hommes, des femmes ou des enfants, ceux-ci se mettaient à danser jusqu’à s’écrouler de fatigue et continuaient à se tortiller même à terre.
Danser à en mourir d’épuisement
« L’épidémie dansante de 1518 est la première rave party au monde, la plus grande, la plus dingue mais aussi la plus mortelle… », commentait récemment l’écrivain Jean Teulé, invité du Réveil Culturel, à propos d’un cas méconnu de « manie dansante » survenu au 16ème siècle en Alsace. A l’époque, des centaines de personnes s’étaient mises à danser pendant plusieurs jours, à en mourir d’épuisement. L’épidémie s’était répandue tel un virus, sans que rien ne puisse l’arrêter. Ce curieux phénomène épidémique n’est pas uniquement lié à la danse : au cours de l’histoire, on compte aussi des épisodes d’épidémie de rire, voire d’érotomanie attribuées à des possessions démoniaques… Des phénomènes que les spécialistes peinent encore à analyser, à mi-chemin entre des empoisonnements à l'ergot de seigle (LSD) et des crises d’hystérie collective. En psychiatrie et sociologie, ces crises, également nommées « réaction de stress collective » ou « syndrome épidémique de masse », voient tout un groupe de personnes présenter les mêmes symptômes, sans raisons apparentes : l’origine de ces épidémies se trouve souvent dans des conflits d’ordre social, facteurs de stress.
William Shakespeare appelait cet événement « The Dancing plague« , la peste dansante. C’était bien vu. C’est une histoire qui devrait être célébrissime en France mais ça a été tellement une honte pour le clergé, en 1518, qu’il a essayé de gommer cette histoire ou en tout cas la minimiser, racontait Jean Teulé. Quelques années après l’événement, le protestantisme est arrivé et a chassé le catholicisme de Strasbourg pendant 150 ans.
Le vendredi 12 juillet 1518, à Strasbourg, alors partie du Saint-Empire romain germanique, Frau Troffea sort de chez elle, rue du Jeu-des-Enfants, avec son nourrisson, se rend jusqu’au Pont du Corbeau, et jette son nouveau-né dans la rivière. N’ayant plus de lait, elle ne pouvait plus le nourrir. En état de choc, elle retourne dans la rue et se met alors à danser, sans musique, pendant plusieurs jours, les pieds ensanglantés, s’arrêtant parfois pour dormir. La danse devient contagieuse. Une dizaine de jours plus tard, ce sont cinquante personnes de plus qui dansent de façon erratique dans les rues de la ville. Au plus gros de l’épidémie, elles seront près de 400.
Dans A Time to Dance, a Time to Die: The Extraordinary Story of the Dancing Plague of 1518, traduit en français sous le titre « Les Danseurs fous de Strasbourg, une épidémie de transe collective » (éditions Nuée Bleue), l’historien de la médecine de l’Université du Michigan John Waller décrit des scènes terrifiantes, certains des malades appelant à l’aide, incapables de s’arrêter :
« Le regard vague ; le visage tourné vers le ciel ; leurs bras et jambes animés de mouvements spasmodiques et fatigués ; leurs chemises, jupes et bas, trempés de sueur, collés à leurs corps émaciés. »
Des musiciens embauchés pour accompagner les malades
Il faut dire que cette épidémie est extrêmement bien documentée : les archives de l’époque incluent des notes des médecins, des sermons, des chroniques locales, et les billets émis par le conseil municipal de Strasbourg, complètement débordé par la situation. Pour les médecins, cette danse est « un mal naturel, causé par un échauffement excessif du sang ». Les autorités, estimant qu’il fallait que les malades dansent jusqu’à épuisement pour s’arrêter de danser, réquisitionnent le marché au grain, y font construire une scène, et des musiciens sont engagés pour encourager les danseurs… Au plus fort de cette transe collective jusqu’à 15 personnes seraient mortes d’épuisement ou de crises cardiaques en une journée. La scène, loin de régler le problème, amplifie la contagion : l’estrade est démontée. Il faudra encore plusieurs semaines pour que l’épidémie ne s’essouffle.
Des origines encore inconnues
Des siècles plus tard, les origines précises de cette mystérieuse contagion restent encore inconnues. Dès 1526, le médecin Paracelse, précurseur de la médecine moderne, se passionne pour ce sujet et vient à Strasbourg. Il nomme alors la maladie chorea lasciva et estime qu’il s’agit d’une révolte des femmes contre la tyrannie conjugale, comme il l’écrivait :
« Rien n’irrite plus un homme qu’une femme qui danse. Et pour que l’affaire parût suffisamment sérieuse et pour confirmer l’apparence de la maladie, elle se mit à sauter, à faire des bonds, chantant, fredonnant, s’effondrant par terre, la danse finie, tremblant un moment puis s’endormant : ce qui déplut au mari et l’inquiéta fortement. Sans rien dire et prétextant cette maladie, elle berna son mari. Or d’autres femmes se comportèrent de la même manière, l’une instruisit l’autre, et tout le monde finit par considérer que la maladie était un châtiment du Ciel. »
Paracelse, cité par Claire Biquard (E.H.E.S.S.) : Le mal de Saint Vit (ou Saint Guy)
A l’époque, le mal est connecté à Saint Guy, objet de culte dans la région et protecteur des malades atteints de chorée, une maladie infectieuse du système nerveux central provoquant des convulsions. Depuis le 5ème siècle, ce genre d’épidémies attribuées à l’influence du diable est d’ailleurs surnommé « Danse de Saint Guy« . L’hypothèse d’une contamination du seigle par un champignon, l’ergot de seigle, a souvent été retenue par la médecine moderne pour expliquer cette étrange épidémie : son ingestion provoque des convulsions et ce champignon, dont le LSD est un dérivé, peut également être à l’origine d’hallucinations et de psychoses.
Mais pour John Waller, cette hypothèse ne suffit pas à expliquer cette psychose collective. Elle tiendrait en réalité du contexte : à l’époque, Strasbourg vient de subir trois ans de famines successives, des épidémies de maladie à répétition, auxquelles s’ajoutent une méfiance envers le clergé et la noblesse. Pour l’historien de la médecine, ces états cumulés de détresse psychologique et de malnutrition, doublés de profondes convictions religieuses auraient conduit les malades à entrer dans cet état de transe.
Si la manie dansante de Strasbourg est l’épisode le mieux documenté, il n’est pourtant pas le seul, relatait le journal Le Monde en 2014 : « Au total, une vingtaine d’épisodes comparables ont été rapportés entre 1200 et 1600. Le dernier serait survenu à Madagascar, en 1863. Une variante, le tarentisme, a aussi été décrite en Italie : la maladie survenait après une hypothétique morsure de l’araignée Lycosa tarentula, et la danse (tarentelle) faisait partie intégrante du traitement ».
Time : 19 mn 17 / [2]
A l’époque, le mal est connecté à Saint Guy, objet de culte dans la région et protecteur des malades atteints de chorée, une maladie infectieuse du système nerveux central provoquant des convulsions. Depuis le 5ème siècle, ce genre d’épidémies attribuées à l’influence du diable est d’ailleurs surnommé « Danse de Saint Guy« . L’hypothèse d’une contamination du seigle par un champignon, l’ergot de seigle, a souvent été retenue par la médecine moderne pour expliquer cette étrange épidémie : son ingestion provoque des convulsions et ce champignon, dont le LSD est un dérivé, peut également être à l’origine d’hallucinations et de psychoses.
Mais pour John Waller, cette hypothèse ne suffit pas à expliquer cette psychose collective. Elle tiendrait en réalité du contexte : à l’époque, Strasbourg vient de subir trois ans de famines successives, des épidémies de maladie à répétition, auxquelles s’ajoutent une méfiance envers le clergé et la noblesse. Pour l’historien de la médecine, ces états cumulés de détresse psychologique et de malnutrition, doublés de profondes convictions religieuses auraient conduit les malades à entrer dans cet état de transe.
Si la manie dansante de Strasbourg est l’épisode le mieux documenté, il n’est pourtant pas le seul, relatait le journal Le Monde en 2014 : « Au total, une vingtaine d’épisodes comparables ont été rapportés entre 1200 et 1600. Le dernier serait survenu à Madagascar, en 1863. Une variante, le tarentisme, a aussi été décrite en Italie : la maladie survenait après une hypothétique morsure de l’araignée Lycosa tarentula, et la danse (tarentelle) faisait partie intégrante du traitement ».
Time : 19 mn 17 / [2]
Source :
https://journals.openedition.org/alsace/2457
https://fr.wikipedia.org/wiki/Manie_dansante
https://fr.wikipedia.org/wiki/Épidémie_dansante_de_1518
https://www.franceculture.fr/histoire/folie-dansante-fous-rires-possession-nonnes-histoires-hysterie-collective
Article :
Pierre Ropert / France Culture
Vidéo :
[1] 1518 : l’épidémie dansant de Strasbourg – #CulturePrime – France Culture / YouTube
[2] DÉBUNK – L’épidémie de danse à Strasbourg (1518) – Thomas Laurent / YouTube
Source
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