La guerre contre le terrorisme est un désastre absolu. Le concept lui-même est absurde. On ne combat pas une idée. On combat un ennemi. L’Afghanistan, la plus longue guerre jamais menée par les États-Unis au coût de 975 milliards de dollars, est la preuve de cette absurdité. Les documents du Pentagone publiés par le Washington Post début décembre dissipent toute illusion à ce sujet. Douglas Lute, un général de l’armée trois étoiles cité dans ce journal a dit : « Nous étions dépourvus d’une compréhension fondamentale de l’Afghanistan… Nous n’avions pas la moindre notion de ce que nous entreprenions. » Ces documents nous rappellent les infâmes papiers du Pentagone dans lesquels il a été admis que l’armée américaine ne savait vraiment pas pourquoi elle se battait au Vietnam sinon pour sauver la face !
Après l’invasion de l’Irak en mars 2003 pour se débarrasser d’armes de destruction massive inexistantes, le pays est désormais gouverné par une majorité chiite, culturellement proche de l’Iran. Cela n’était pas prévu mais cela aurait pu être anticipé étant donné que 80% de la population irakienne est chiite. La Syrie est toujours debout après huit ans d’une guerre des plus destructrices, indirectement soutenue par les États-Unis et l’Arabie saoudite. Le conflit a donné à la Russie l’occasion de réintégrer le théâtre du Moyen-Orient dont elle avait été exclue pendant de nombreuses décennies. Encore une fois, cela aurait pu être anticipé car la Russie a une base navale en Syrie. Les sanctions économiques n’ont pas réussi à faire tomber le gouvernement iranien. Les attaques de missiles de croisière contre deux installations pétrolières saoudiennes le 18 septembre dernier, attribué à l’Iran, souligne la vulnérabilité et la non-pertinence du pacte du Quincy de 1945 par lequel les États-Unis accordaient leur protection à l’Arabie saoudite en échange d’un libre accès à son pétrole.
Outre ses coûts humains et financiers, la guerre contre le terrorisme produit des retours de flamme inattendus et potentiellement désastreux. La Turquie achète le système antiaérien russe S-400 malgré les objections de Washington. Tayyip Erdogan, son président, a annoncé qu’il enverrait des troupes en Libye pour soutenir le gouvernement d’union nationale contre les forces du général Khalifa Haftar. En bref, la Turquie – membre de l’OTAN – mène sa propre politique dans l’arrière-cour de l’Empire. L’Iran mène un exercice naval de quatre jours avec la Russie et la Chine, démontrant que la tentative des États-Unis de l’isoler a échoué. Parallèlement, les États-Unis s’opposent à leurs alliés européens. Le Sénat a voté une loi imposant des sanctions aux sociétés impliquées dans la construction de North Stream II – un gazoduc destiné à acheminer le gaz naturel russe vers l’Allemagne et d’autres pays européens. Les Allemands sont exaspérés. Ils y voient une ingérence dans leurs affaires intérieures. Sanctionner l’un de vos plus importants alliés n’est certainement pas le meilleur moyen de le courtiser. C’est un signe de désespoir.
Si les nouvelles sont mauvaises sur le front étranger, elles ne sont pas meilleures au plan intérieur. Suite à leurs accusations d’ingérence russe dans l’élection présidentielle de 2016 (Russiagate) qui se sont révélées vides, les démocrates ont politisé le processus de destitution. Les pères fondateurs doivent se retourner dans leurs tombes. Dans un rapport publié le 9 décembre dernier, l’inspecteur général du ministère de la Justice, Michael Horowitz, a révélé que le dossier Steel sur lequel reposait le dossier d’accusation était une fraude et que le FBI avait menti aux tribunaux de la FISA à plusieurs reprises pour obtenir l’autorisation d’espionner les membres de l’équipe de campagne présidentielle de Donald Trump, notamment Carter Page, son conseiller en politique étrangère. L’ironie est que les tribunaux de la FISA ont été créés en 1975 par la Commission Church du nom de son président – Franck Church, sénateur de l’Idaho – pour juguler les abus de surveillance des agences de renseignement (CIA, FBI, etc.) pendant la guerre du Vietnam ! Dans une interview, l’ancien directeur du FBI, James Comey, s’absout de tout crime, en rejetant la faute sur ses subalternes. Tout cela est pitoyable. Faut-il rappeler aux membres du Parti démocrate que George W. Bush a lancé deux guerres illégales, autorisé la torture sous l’expression hypocrite de « techniques d’interrogatoire renforcées », et détenu des étrangers sans procédure régulière à Guantanamo (Cuba) ?
Notons aussi que les révélations du Washington Post concernant la guerre en Afghanistan ont vite disparu de la première page des médias alors qu’elles auraient dû conduire à une enquête du Congrès, car cette guerre n’avait pas été approuvée par le Sénat. De même, le scandale Jeffrey Epstein a rapidement été ignoré après le suicide de ce dernier. Les morts ne parlent pas.
Quelle est l’origine de tout cela ? En 1967, le feu et regretté J. William Fulbright, sénateur de l’Arkansas, a publié un livre dont le titre répond à la question : « L’arrogance du pouvoir ». Malheureusement, depuis lors, les choses sont allées de mal en pis. En février 1992, le Département de la défense a publié « Planning Defense guidance ». Il est attribué à Paul Wolfowitz qui était alors sous-secrétaire à la défense en charge de la définition de la politique de ce ministère. Le document déclare qu’après la chute de l’Union soviétique, les États-Unis ne toléreront pas l’émergence d’un nouveau challenger à l’avenir. En septembre 2000, les politologues William Kristol et Robert Kagan ont publié « The New American Century » qui définissait le 21ème siècle comme le siècle américain, affirmant ainsi urbi et orbi la prééminence des États-Unis dans les affaires mondiales. Ces affirmations absurdes, sans aucune validité, nous ramènent à la phrase vide de Karl Rove. Elles n’en sont pas moins extrêmement dangereuses en augmentant inutilement les tensions dans un monde déjà dangereux.
A Washington, l’establishment rêve de suprématie mondiale alors que le pays s’effondre sous une dette fédérale, dont le niveau s’approche de celui atteint au plus fort de la Seconde Guerre mondiale, un pays dont le nombre d’étudiants diminue, dont la dette étudiante atteint des niveaux astronomiques, dont le taux de participation aux élections présidentielles est l’un des plus faibles parmi les pays développés, dont l’inégalité économique est revenue à son niveau de 1925, dont la population carcérale en termes relatifs et absolus est la plus élevée du monde, c’est-à-dire plus élevée qu’en Russie, en Chine et en Iran – trois pays régulièrement décrit comme le « rebut » du monde dans les médias grand public, etc. Depuis le 11 septembre, les États-Unis ont dépensé environ 6.400 milliards de dollars en aventures guerrières. Bis repetita : 6.400 milliards de dollars. Les politiciens ont l’audace de dire aux Américains qu’il n’y a pas d’argent pour les programmes sociaux et l’éducation.
La guerre contre le terrorisme détruit la démocratie américaine sans atteindre son objectif de domination mondiale. En prenant systématiquement parti pour Washington, les médias grand public, le quatrième pouvoir, portent une énorme responsabilité dans ce drame. Au cours de la première décennie de ce siècle, un débat a fait rage parmi les politologues, historiens et politiciens concernant l’empire américain. La question était : est-il ou non en déclin ? Le débat est désormais clos. L’Empire se meurt d’une mort lente. Vanitas, vanitatum et omnia vanitas.
Jean-Luc Baslé
Relu par Marcel pour le Saker Francophone
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