Lors d'une émission télévisée pendant le mois du Ramadan, le grand imam d'Al Azhar, Ahmed el Tayeb, a déclaré que, d'après le Coran, les hommes peuvent battre leurs femmes si elles ne sont pas disciplinées, "à condition de ne pas briser les os à la suite de ces coups".
Atlantico : Ahmed el Tayeb, imam à la tête de la prestigieuse mosquée du Caire et qui prétend être le phare de l'islam sunnite, affirme avoir fondé ses paroles sur certains versets de "la sourate des femmes" du Coran. Quelle est la place de la femme dans la religion musulmane ? Est-elle en train de se dégrader ?
Bernard Godard : "Les propos d’Ahmed el Tayeb sont à replacer dans le contexte actuel de l’Egypte et plus largement du monde musulman. Il a déclaré en mars dernier que la polygamie n’était pas souhaitable si elle ne réunissait pas les conditions exigées par le Coran (équité entre les co-épouses). En cela il n’était pas vraiment révolutionnaire, mais plutôt conservateur en ce qu’il ne remettait pas la polygamie en cause sur le fond. Plus remarquable, il a, l’année dernière, fait une sortie assez remarquée sur le harcèlement sexuel à un moment où la vague du hashtag Me too se répandait. On a interprété cela comme un acte « progressiste », d’autant que restaient gravées dans les mémoires les viols commis lors des rassemblements de la place Tahrir au Caire pendant la révolution de 2011. Or, là encore, rien de bien audacieux car ses propos protégeaient les femmes considérées à priori comme vêtues dans des tenues « décentes ». Aussi ses récents propos sur les traitements faits aux femmes « désobéissantes » nous rappellent qu’Ahmed el Tayeb se situe dans une pure orthodoxie, celle qui considère la femme comme inégale face à l’homme. Cela démontre à quel point la doctrine officielle d’El Azhar est loin d’une lecture distanciée du Coran et des Hadiths. Et il est à craindre que ce genre de position perdure encore.
Deux faits marquants le laissent penser : le rôle des femmes dans le monde arabe, et plus largement dans le monde musulman devient de plus en plus visible et important. Dans une sorte de sursaut désespéré, la société « des hommes » trouve cela insupportable et cherche par tous les moyens de « bloquer », sous prétexte de religion, cette avancée. A Casablanca, au Caire ou à Ryadh, on dénombre des attaques contre les femmes jugées « indécentes », quelquefois parce qu’elles ne portent tout simplement pas de voile. Mais dans le même temps, certains signes laissent planer un espoir. On voit actuellement dans les immenses manifestations dans les villes algériennes de la joie et même de la liesse et des femmes, belles et épanouies, jeunes et vieilles, avec ou sans voiles. Les moindres velléités de manifestations de violences contre ces femmes sont immédiatement réprouvées. A Tunis, un accord unanime entre des islamistes et des laïcs a permis de confirmer les avancées déjà inscrites dans la loi par le bourguibisme, même s’il reste encore tant à faire. Le deuxième élément, aussi inquiétant reste le vent de bigoterie qui a envahi l’ensemble des sociétés musulmanes, y compris dans les minorités musulmanes des pays européens ou américains. On prête une grande attention au djihadisme et ses conséquences et cela est tout à fait justifié, mais il ne faut pas négliger l’autre versant du salafisme « ordinaire », dont l’Arabie saoudite est le support et le défenseur et dont les premières victimes sont les femmes. »
Au-delà de l'aspect polémique de cette déclaration, quelle valeur donner à cette parole dans le contexte actuel de l'Islam en Égypte et dans les pays voisins ?
« Justement, dans sa stratégie de lutte acharnée contre le courant des Frères musulmans, la « sainte alliance » de l’Egypte, de l’Arabie Saoudite et des Emirats arabes unis ne veut pas se créer d’autres ennemis. Le régime du maréchal Sissi soigne « ses » salafistes, d’une part, et le projet de réforme de l’Université d’El Azhar, sorte de mirage évoqué depuis des lustres, est quasiment totalement financé aujourd’hui par les EAU. C’est dire si les espoirs de réinterprétation, de contextualisation de la religion musulmane s’éloignent à une époque où il y a urgence en la matière. L’Imam d’El Azhar, qui est traditionnellement « la voix de son maître », c’est-à-dire le régime en place, au sein d’un établissement qui peut être agité par des courants quelquefois rétifs – et les Frères musulmans y furent par moment très actifs – n’exprime donc pas une opinion personnelle en rupture avec la pensée officielle. Bien au contraire. Même si le maréchal Sissi se défiait lors de sa prise de pouvoir d’Ahmed el Tayeb qui avait été nommé par Hosni Moubarak, le grand Imam sait qu’il doit donner des gages. Pour éloigner la séduction lentement et longuement bâtie par les islamistes, on affiche un conservatisme qui fait un clin d’œil aux salafistes et cela, avec le regard complice des saoudiens et des émiriens. Ce durcissement n’est quand même pas reçu de manière favorable, en particulier au Maghreb, où les offensives doctrinales de la « Sainte alliance » sont très mal perçues, en particulier quand elles s’exercent à grand renfort de dollars. Cependant El Azhar n’a plus aujourd’hui, dans le monde arabe en particulier, le prestige qu’elle avait au siècle dernier. Il faut donc relativiser les propos d’Ahmed el Tayeb »
Ces déclarations, si elles ont d'abord fait réagir les théologiens, ont également révélé les déséquilibres majeurs de la société égyptienne conservatrice en proie à des violences conjugales et « un nombre croissant de divorces. Quelles conséquences sociales et politiques auront ces déclarations d'el Tayeb en Égypte et dans les pays sunnites ?
« La tension forte entre le rôle croissant des femmes au sein de la société, en particulier dans les professions aujourd’hui plus garanties aux hommes et l’accès de tous à l’information au travers d’internet permettent aux femmes égyptiennes de progresser et de résister à la violence des hommes. Ces violences sont un témoignage éloquent de cette résistance. Les propos d’El Tayeb sont un épisode malheureux et désespéré de plus en plus rejeté par les nouvelles générations, même si la bigoterie évoquée plus haut, poussée à son extrême par les courants « salafisants » va encore faire des ravages.
Tous les pays sunnites ne réagissent pas forcément de manière égale. On a évoqué l’Algérie et le Maroc mais, même si on l’évoque peu, des femmes saoudiennes, soudanaises ou marocaines sont en pointe dans cette bataille. Les pays chiites ne peuvent pas être considérés comme mieux lotis comme le démontre la violence de la République islamique iranienne vis-à-vis du mouvement des femmes pour leur liberté. »
Atlantico : Ahmed el Tayeb, imam à la tête de la prestigieuse mosquée du Caire et qui prétend être le phare de l'islam sunnite, affirme avoir fondé ses paroles sur certains versets de "la sourate des femmes" du Coran. Quelle est la place de la femme dans la religion musulmane ? Est-elle en train de se dégrader ?
Bernard Godard : "Les propos d’Ahmed el Tayeb sont à replacer dans le contexte actuel de l’Egypte et plus largement du monde musulman. Il a déclaré en mars dernier que la polygamie n’était pas souhaitable si elle ne réunissait pas les conditions exigées par le Coran (équité entre les co-épouses). En cela il n’était pas vraiment révolutionnaire, mais plutôt conservateur en ce qu’il ne remettait pas la polygamie en cause sur le fond. Plus remarquable, il a, l’année dernière, fait une sortie assez remarquée sur le harcèlement sexuel à un moment où la vague du hashtag Me too se répandait. On a interprété cela comme un acte « progressiste », d’autant que restaient gravées dans les mémoires les viols commis lors des rassemblements de la place Tahrir au Caire pendant la révolution de 2011. Or, là encore, rien de bien audacieux car ses propos protégeaient les femmes considérées à priori comme vêtues dans des tenues « décentes ». Aussi ses récents propos sur les traitements faits aux femmes « désobéissantes » nous rappellent qu’Ahmed el Tayeb se situe dans une pure orthodoxie, celle qui considère la femme comme inégale face à l’homme. Cela démontre à quel point la doctrine officielle d’El Azhar est loin d’une lecture distanciée du Coran et des Hadiths. Et il est à craindre que ce genre de position perdure encore.
Deux faits marquants le laissent penser : le rôle des femmes dans le monde arabe, et plus largement dans le monde musulman devient de plus en plus visible et important. Dans une sorte de sursaut désespéré, la société « des hommes » trouve cela insupportable et cherche par tous les moyens de « bloquer », sous prétexte de religion, cette avancée. A Casablanca, au Caire ou à Ryadh, on dénombre des attaques contre les femmes jugées « indécentes », quelquefois parce qu’elles ne portent tout simplement pas de voile. Mais dans le même temps, certains signes laissent planer un espoir. On voit actuellement dans les immenses manifestations dans les villes algériennes de la joie et même de la liesse et des femmes, belles et épanouies, jeunes et vieilles, avec ou sans voiles. Les moindres velléités de manifestations de violences contre ces femmes sont immédiatement réprouvées. A Tunis, un accord unanime entre des islamistes et des laïcs a permis de confirmer les avancées déjà inscrites dans la loi par le bourguibisme, même s’il reste encore tant à faire. Le deuxième élément, aussi inquiétant reste le vent de bigoterie qui a envahi l’ensemble des sociétés musulmanes, y compris dans les minorités musulmanes des pays européens ou américains. On prête une grande attention au djihadisme et ses conséquences et cela est tout à fait justifié, mais il ne faut pas négliger l’autre versant du salafisme « ordinaire », dont l’Arabie saoudite est le support et le défenseur et dont les premières victimes sont les femmes. »
Au-delà de l'aspect polémique de cette déclaration, quelle valeur donner à cette parole dans le contexte actuel de l'Islam en Égypte et dans les pays voisins ?
« Justement, dans sa stratégie de lutte acharnée contre le courant des Frères musulmans, la « sainte alliance » de l’Egypte, de l’Arabie Saoudite et des Emirats arabes unis ne veut pas se créer d’autres ennemis. Le régime du maréchal Sissi soigne « ses » salafistes, d’une part, et le projet de réforme de l’Université d’El Azhar, sorte de mirage évoqué depuis des lustres, est quasiment totalement financé aujourd’hui par les EAU. C’est dire si les espoirs de réinterprétation, de contextualisation de la religion musulmane s’éloignent à une époque où il y a urgence en la matière. L’Imam d’El Azhar, qui est traditionnellement « la voix de son maître », c’est-à-dire le régime en place, au sein d’un établissement qui peut être agité par des courants quelquefois rétifs – et les Frères musulmans y furent par moment très actifs – n’exprime donc pas une opinion personnelle en rupture avec la pensée officielle. Bien au contraire. Même si le maréchal Sissi se défiait lors de sa prise de pouvoir d’Ahmed el Tayeb qui avait été nommé par Hosni Moubarak, le grand Imam sait qu’il doit donner des gages. Pour éloigner la séduction lentement et longuement bâtie par les islamistes, on affiche un conservatisme qui fait un clin d’œil aux salafistes et cela, avec le regard complice des saoudiens et des émiriens. Ce durcissement n’est quand même pas reçu de manière favorable, en particulier au Maghreb, où les offensives doctrinales de la « Sainte alliance » sont très mal perçues, en particulier quand elles s’exercent à grand renfort de dollars. Cependant El Azhar n’a plus aujourd’hui, dans le monde arabe en particulier, le prestige qu’elle avait au siècle dernier. Il faut donc relativiser les propos d’Ahmed el Tayeb »
Ces déclarations, si elles ont d'abord fait réagir les théologiens, ont également révélé les déséquilibres majeurs de la société égyptienne conservatrice en proie à des violences conjugales et « un nombre croissant de divorces. Quelles conséquences sociales et politiques auront ces déclarations d'el Tayeb en Égypte et dans les pays sunnites ?
« La tension forte entre le rôle croissant des femmes au sein de la société, en particulier dans les professions aujourd’hui plus garanties aux hommes et l’accès de tous à l’information au travers d’internet permettent aux femmes égyptiennes de progresser et de résister à la violence des hommes. Ces violences sont un témoignage éloquent de cette résistance. Les propos d’El Tayeb sont un épisode malheureux et désespéré de plus en plus rejeté par les nouvelles générations, même si la bigoterie évoquée plus haut, poussée à son extrême par les courants « salafisants » va encore faire des ravages.
Tous les pays sunnites ne réagissent pas forcément de manière égale. On a évoqué l’Algérie et le Maroc mais, même si on l’évoque peu, des femmes saoudiennes, soudanaises ou marocaines sont en pointe dans cette bataille. Les pays chiites ne peuvent pas être considérés comme mieux lotis comme le démontre la violence de la République islamique iranienne vis-à-vis du mouvement des femmes pour leur liberté. »
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