(Figurez-vous que j’avais commencé ce texte le 22 septembre dernier et puis je l’avais laissé à l’abandon, ou de côté pour une reprise et c’est le cas... j’écrivais alors, comme deuxième paragraphe : «C’est bien à cela [une crise de nerfs globale] que m’a fait penser le samedi de la “reprise” en France, assez bien réussie/on tout à fait ratée (divergence des commentaires selon la position et le salaire) : Gilets-Jaunes (GJ), agrémentée des deux autres manifs (climat et retraites), avec le bon coup des Black Boxes infiltrant la vertueuse manif-climat-jeuniste qui avait la préférence solidaire et citoyenne de tous nos commentateurs... » Avec l’une ou l’autre élégante modification, cela pourrait tenir pour aujourd’hui, non ?
Les Nervous Breakdowns se ressemblent comme les feuilles se ramassent à la pelle, ou bien est-ce toujours la même qui ne cesse de grandir comme un ouragan qui grossit en ne cessant pas de gronder comme le tonnerre de la fin, d’un monde ?)
Bien, nous sommes en France (dans l’esprit de la chose) et la France n’est pas le monde. Mais chacun a sa petite musique à lui pour participer à l’immense concert cacophonique du Global Nervous Breakdown, – les Anglais (la folle samba du Brexit), les US (Trump, sa destitution-bouffe & “D.C.-la-folle”), les Hongkongais avec l’aide du consulat des USA, les Chiliens, les Libanais, les gens de Barcelone et de la Catalogne, les Iraniens et les Saoudiens, et les Yéménites, les Ukrainiens et leur président-humoriste, les Russes selon le point de vue d’où l’on se place, les Chinois, les Israéliens, tiens les Cairotes également (c’était le mois dernier), et ainsi de suite, tout le monde autour du monde, comme une ronde qui n’aurait ni terme ni but, un peu comme toutes les rondes d’ailleurs car l’on sait que le cercle est une figure bien énigmatique...
Pour la première fois dans ces débats en forme d’impasse, je l’ai remarqué hier (sur LCI par exemple, où bouche bée, j’entendais le professeur Olivier Duhamel qui-sait-tout-d’habitude avouer son impuissance à embrasser le phénomène), ils parlaient, en plus des problèmes nombrilistes français, des soubresauts du monde, ils commençant à les considérer comme un Tout, comme ne faisant qu’un Tout, malgré l’extrême diversité des situations et des “revendications”. Pour la première fois, j’ai eu la sensation que ces élites postmodernes du Système sortaient de leur salon-prison des polémiques courantes de plateau-TV en plateau-TV pour commencer à percevoir que ce sont les gens du monde entier, et non plus les seuls Gaulois, qui peuvent dire que “le ciel leur tombe sur la tête”.
Comment expliquer... Au fait, interroge Patrick Armstrong dans Strategic-Culture.org, qui a écrit ceci ? ... « Nous le vivons tous ensemble ce monde et vous le connaissez mieux que moi, mais l'ordre international est bousculé de manière inédite mais surtout avec, si je puis dire, un grand bouleversement qui se fait sans doute pour la première fois dans notre histoire à peu près dans tous les domaines, avec une magnitude profondément historique. C'est d'abord une transformation, une recomposition géopolitique et stratégique. Nous sommes sans doute en train de vivre la fin de l'hégémonie occidentale sur le monde. »
(C’est Poutine bien sûr, avance Armstrong comme une évidence pour enduire d’erreurs ses lecteurs inattentifs... Mais non, pas du tout ! s’exclame-t-il, lui-même qui n’en revient pas encore ; mais bien sûr c’est Macron, celui qu’ils ne cessent de découvrir outre-Atlantique, chez les antiSystème où le petit président français devient une icône, depuis le discours du 27 août, – et du coup Armstrong donne ce titre dramatique à son article, pour qualifier l’intervention du président français : « Penser l’impensable, dire l’indicible », c’est-à-dire pour un des dirigeants du système du bloc-BAO, envisager le pire comme si le pire était en train de se produire.)
Je reviens à Paris, France, avec mon œil braqué sur l’étrange lucarne. On s’est diablement agité il y a un mois lorsque je commençai ce texte, et encore ces derniers jours comme je l’ai déjà dit, et hier tout encore et sans faiblir, où l’on se demandait devant l’extension des désordres si l’on ne se trouvait pas dans une sorte de super-1968 ou bien encore dans un remix immensément grossi de 1848. Malgré toutes leurs hypothèses, toutes leurs analyses et réflexions, leurs lieux communs et leurs repères historiques et parfois audacieux, ce qui pèse à cet instant sur ces innombrables tables rondes, débats, face-à-face, conversations, etc., c’est une indicible, une incroyable incompréhension stupéfiée, – pas dite comme ça, un peu dissimulée sinon quasiment inconsciente, mais qu’on sent peser sur toutes ces épaules ; et croyez-le, je ne leur en fais nullement critique, ni sarcasme persifleur, absolument pas.
Car, voyez-vous, je suis un peu comme eux. Malgré ma conviction née d’intuition haute, malgré ma raison convaincue de suivre cette voie, je ne peux me dépendre de cette stupéfaction-là de voir que, malgré tout cela et plus encore, ça tient et ça marche, et même ça court, – et que le “ça” ne désigne pas du tout le Système mais bien la “Crise d’Effondrement du Système”... Je parle moins de tel ou tel mouvement, telle ou telle manifestation, que du sentiment irrésistible qui ne cesse de grandir, d’être au bord, d’être au fond, d’être devant quelque chose qui ressemble à un abîme, d’être dans quelque chose d’absolument incompréhensible, quelque chose qui prétend être Équilibre même et dont le destin par conséquent est d’être rompu... Something has to give, Everything got to give !
Je veux parler de ce que nous désignons souvent comme une “folie” sur ce site, et moi comme les autres, et même plus fou que les autres, qui est cette crise nerveuse globale, qui est un colossal mouvement de rejet du plus profond de l’être collectif de tout ce que le Système entendrait nous imposer. Voyez-vous, dans ce cas je ne fais pas de vraie différence entre zombiesSystème et antiSystème, j’oublie mon mépris et ma colère pour les premiers, ma connivence incertaine pour les seconds, pour en venir à ce mouvement d’unité collective, de révolte et de répulsion venu du fond de nous-mêmes, quoi que nous voulions et fassions, quoi que nous en sachions. L’essentiel dans ce propos est bien d’accepter l’idée que la plupart des acteurs ne savent pas qu’ils ne savent pas que tous, nous avons plus ou moins cette attitude, sans le savoir nous-mêmes et en croisant parfois une vérité-de-situation que nous n’osons accepter complètement quand elle se révèle. (C’est le fameux “unknow-unknows” du grand philosophe de l’école du Pentagone Donald Rumsfeld porté à son extrême de complication : les “knowns/unknowns unknow-unknows”.)
... Et d’ailleurs, ceci, plus que tout le reste et au-dessus de tout le reste : voyez-vous, pour la première fois depuis l’Aube des Temps, nous ne sommes plus acteurs de nous-mêmes mais spectateurs de notre destin, et notre destin comme séparé de nous, impérieux, puissant, grondant, notre destin comme un torrent... Cette étrange et terrible époque est aussi une fascination qui nous emporte vers des rives inconnues.
Philippe Grasset
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