Qu’avons-nous fait de notre soif de grandeur ?
Nous avons tous vécu des instants où nous nous sommes dépassés. Ces moments fondateurs, nostalgiques, que nous contons tels des épopées. Des performances sportives, des classes militaires, notre sensation de vulnérabilité face aux éléments, cols de montagne à franchir, paysages à couper le souffle, embruns fouettant le visage. Le saut dans l’inconnu pour déclarer sa flamme à l’être courtisé. La joie des efforts partagés, des risques pris. Des instants où nous ne nous sommes jamais autant sentis vivants. Mais après ces moments vécus le temps d’une journée, le temps d’un été, nous sommes rentrés dans notre enclos. Le confort nous attendait. Nos rêves s’estompaient. Mais sous le tas de cendres, subsistent encore ces braises qu’il nous faut raviver. La publicité ne s’y est pas trompée – la voiture féline, les baskets pour aller toujours plus vite – et souffle sur ce foyer. Et nous l’étouffons par la consommation et l’assouvissement des pulsions.
Dans Terre des Hommes, Antoine de Saint-Exupéry veut comprendre de quel bois l’homme est sculpté. L’auteur ne s’est jamais senti aussi vivant qu’en avion. Le ciel est son terrain de jeu. Après une panne et plusieurs jours dans le désert sans eau, Antoine de Saint-Exupéry, proche de la mort, tient sa réponse. Seules les relations humaines qu’il a nouées le retiennent de mourir. « Il n’est qu’un luxe véritable, et c’est celui des relations humaines. » Et rien d’autre. « On n’achète pas l’amitié d’un Mermoz, d’un compagnon que les épreuves vécues ensemble ont lié à nous pour toujours. » Si Saint-Exupéry continue à marcher et lutter, c’est pour que la vision de ses proches pleurant sa mort ne devienne pas réalité. Son propre sort lui importe peu. Mourir, entrer dans le grand sommeil, serait tellement plus agréable que sa gorge en feu. Mais il ne peut se résoudre à la souffrance de ceux qu’il aime. Guillaumet, autre pilote d’Aéropostale, héros de Saint-Exupéry, expérimenta les mêmes sensations lorsque son avion capota lors d’une traversée de la Cordillère des Andes. Prêt à se laisser mourir après des jours de marche dans la neige, les pieds gonflés, il se relève une dernière fois pour atteindre un rocher à cinquante mètres. Avec un seul objectif : que son corps soit retrouvé plus facilement lors des recherches et que sa femme puisse toucher la police d’assurance. Son dernier périple durera finalement deux nuits et trois jours jusqu’à la délivrance. Il s’est battu car il était « responsable un peu du destin des Hommes. ». « Ce que j’ai fait, je le jure, jamais aucune bête ne l’aurait fait. » Telle est la fibre de l’être humain. Ce n’est pas la liberté, ce n’est pas l’égalité. La liberté n’est rien si elle est possibilité d’errer dans un terrain vague sans limite ni contrainte. Mais la liberté est tout lorsqu’elle est entravée par des liens humains vrais et profonds. De ceux qui engagent. Des relations fidèles. De celles où nous nous sentons responsables des autres. Lorsque l’esclave Bark rendu à la liberté par Saint Exupéry sera à Agadir, il ne saura que faire de cette liberté. Les personnes qu’il croise ne voient pas qu’ils ont devant eux un homme nouveau. Bark ne veut qu’une chose : sentir le poids des relations humaines.
La liberté n’est rien si elle est possibilité d’errer dans un terrain vague sans limite ni contrainte. Mais la liberté est tout lorsqu’elle est entravée par des liens humains vrais et profonds
Nous avons tous ressenti un jour cette intensité des relations humaines. Après le déchainement des flots, notre vie a repris son cours. Tels les couples passant de la passion des débuts à la routine dangereuse. Bien sûr, nous ne pouvons pas tous être des Saint-Exupéry au métier si exaltant. Mais est-ce une raison pour se contenter de nos applications mobiles, de nos centres commerciaux et de nos 3h42 de télévision en moyenne par jour ? Allons, réveillons ce qui somnole en nous. Nul besoin de partir à l’autre bout de la planète pour faire de sa vie une aventure. La fidélité, l’amour de notre prochain, l’engagement, l’effort, le courage d’affronter ses peurs, l’honneur suffisent. La liberté n’est pas de faire ce que nous voulons. Nous sommes liés aux autres et avons un rôle à jouer. « Quand nous prendrons conscience de notre rôle, même le plus effacé, alors seulement nous serons heureux. Alors seulement nous pourrons vivre en paix et mourir en paix, car ce qui donne un sens à la vie donne un sens à la mort. »
Pour vivre cela, il faut savoir s’évader de son confort. « L’homme se découvre quand il se mesure avec l’obstacle. » La vie citadine étouffe l’homme. Il ne s’agit pas de remettre en cause le confort. Il suffit de connaître l’enfance de nos grands-parents pour comprendre qu’il est bon d’avoir l’électricité, l’eau courante ou des machines à laver. Mais il n’est pas bon de laisser la technologie nous assister et tuer toute difficulté car l’homme s’y complait. Nous nous gargarisons aussi d’avoir fait fi de nos traditions et mœurs soi-disant surannées. Pourtant, elles reliaient les hommes et donnaient un sens à la vie. « Tel est le désert. Un Coran, qui n’est qu’une règle de jeu, en change le sable en Empire.» Le Maure Mouyane pleurera lorsque son ennemi français, le capitaine Bonnafous, rentrera en France. Car seul cet ennemi faisait de ce désert un espace prestigieux. « Sa présence donne son prix au sable. » La grandeur de notre civilisation chrétienne était d’avoir su combattre les traditions qui enferment et d’instituer celles qui libèrent et transforment notre univers en empire. Jusqu’à ce qu’une définition erronée de la liberté vienne nommer progrès ce qui n’était que destruction de ce qui nous unissait. La vie perd son sens lorsqu’elle « n’engage plus les hommes jusqu’à la chair. » Et nous nous laissons endormir, plus attachés à la prospérité de notre société qu’au type d’homme qui y habite. « Ce qui me tourmente […] c’est un peu, dans chacun de ces hommes, Mozart assassiné. » Issus de la glaise, nous pouvons cependant raviver notre vie intérieure. « Seul l’Esprit, s’il souffle sur la glaise, peut créer l’Homme. »
Nous avons tous vécu des instants où nous nous sommes dépassés. Ces moments fondateurs, nostalgiques, que nous contons tels des épopées. Des performances sportives, des classes militaires, notre sensation de vulnérabilité face aux éléments, cols de montagne à franchir, paysages à couper le souffle, embruns fouettant le visage. Le saut dans l’inconnu pour déclarer sa flamme à l’être courtisé. La joie des efforts partagés, des risques pris. Des instants où nous ne nous sommes jamais autant sentis vivants. Mais après ces moments vécus le temps d’une journée, le temps d’un été, nous sommes rentrés dans notre enclos. Le confort nous attendait. Nos rêves s’estompaient. Mais sous le tas de cendres, subsistent encore ces braises qu’il nous faut raviver. La publicité ne s’y est pas trompée – la voiture féline, les baskets pour aller toujours plus vite – et souffle sur ce foyer. Et nous l’étouffons par la consommation et l’assouvissement des pulsions.
Dans Terre des Hommes, Antoine de Saint-Exupéry veut comprendre de quel bois l’homme est sculpté. L’auteur ne s’est jamais senti aussi vivant qu’en avion. Le ciel est son terrain de jeu. Après une panne et plusieurs jours dans le désert sans eau, Antoine de Saint-Exupéry, proche de la mort, tient sa réponse. Seules les relations humaines qu’il a nouées le retiennent de mourir. « Il n’est qu’un luxe véritable, et c’est celui des relations humaines. » Et rien d’autre. « On n’achète pas l’amitié d’un Mermoz, d’un compagnon que les épreuves vécues ensemble ont lié à nous pour toujours. » Si Saint-Exupéry continue à marcher et lutter, c’est pour que la vision de ses proches pleurant sa mort ne devienne pas réalité. Son propre sort lui importe peu. Mourir, entrer dans le grand sommeil, serait tellement plus agréable que sa gorge en feu. Mais il ne peut se résoudre à la souffrance de ceux qu’il aime. Guillaumet, autre pilote d’Aéropostale, héros de Saint-Exupéry, expérimenta les mêmes sensations lorsque son avion capota lors d’une traversée de la Cordillère des Andes. Prêt à se laisser mourir après des jours de marche dans la neige, les pieds gonflés, il se relève une dernière fois pour atteindre un rocher à cinquante mètres. Avec un seul objectif : que son corps soit retrouvé plus facilement lors des recherches et que sa femme puisse toucher la police d’assurance. Son dernier périple durera finalement deux nuits et trois jours jusqu’à la délivrance. Il s’est battu car il était « responsable un peu du destin des Hommes. ». « Ce que j’ai fait, je le jure, jamais aucune bête ne l’aurait fait. » Telle est la fibre de l’être humain. Ce n’est pas la liberté, ce n’est pas l’égalité. La liberté n’est rien si elle est possibilité d’errer dans un terrain vague sans limite ni contrainte. Mais la liberté est tout lorsqu’elle est entravée par des liens humains vrais et profonds. De ceux qui engagent. Des relations fidèles. De celles où nous nous sentons responsables des autres. Lorsque l’esclave Bark rendu à la liberté par Saint Exupéry sera à Agadir, il ne saura que faire de cette liberté. Les personnes qu’il croise ne voient pas qu’ils ont devant eux un homme nouveau. Bark ne veut qu’une chose : sentir le poids des relations humaines.
La liberté n’est rien si elle est possibilité d’errer dans un terrain vague sans limite ni contrainte. Mais la liberté est tout lorsqu’elle est entravée par des liens humains vrais et profonds
Nous avons tous ressenti un jour cette intensité des relations humaines. Après le déchainement des flots, notre vie a repris son cours. Tels les couples passant de la passion des débuts à la routine dangereuse. Bien sûr, nous ne pouvons pas tous être des Saint-Exupéry au métier si exaltant. Mais est-ce une raison pour se contenter de nos applications mobiles, de nos centres commerciaux et de nos 3h42 de télévision en moyenne par jour ? Allons, réveillons ce qui somnole en nous. Nul besoin de partir à l’autre bout de la planète pour faire de sa vie une aventure. La fidélité, l’amour de notre prochain, l’engagement, l’effort, le courage d’affronter ses peurs, l’honneur suffisent. La liberté n’est pas de faire ce que nous voulons. Nous sommes liés aux autres et avons un rôle à jouer. « Quand nous prendrons conscience de notre rôle, même le plus effacé, alors seulement nous serons heureux. Alors seulement nous pourrons vivre en paix et mourir en paix, car ce qui donne un sens à la vie donne un sens à la mort. »
Pour vivre cela, il faut savoir s’évader de son confort. « L’homme se découvre quand il se mesure avec l’obstacle. » La vie citadine étouffe l’homme. Il ne s’agit pas de remettre en cause le confort. Il suffit de connaître l’enfance de nos grands-parents pour comprendre qu’il est bon d’avoir l’électricité, l’eau courante ou des machines à laver. Mais il n’est pas bon de laisser la technologie nous assister et tuer toute difficulté car l’homme s’y complait. Nous nous gargarisons aussi d’avoir fait fi de nos traditions et mœurs soi-disant surannées. Pourtant, elles reliaient les hommes et donnaient un sens à la vie. « Tel est le désert. Un Coran, qui n’est qu’une règle de jeu, en change le sable en Empire.» Le Maure Mouyane pleurera lorsque son ennemi français, le capitaine Bonnafous, rentrera en France. Car seul cet ennemi faisait de ce désert un espace prestigieux. « Sa présence donne son prix au sable. » La grandeur de notre civilisation chrétienne était d’avoir su combattre les traditions qui enferment et d’instituer celles qui libèrent et transforment notre univers en empire. Jusqu’à ce qu’une définition erronée de la liberté vienne nommer progrès ce qui n’était que destruction de ce qui nous unissait. La vie perd son sens lorsqu’elle « n’engage plus les hommes jusqu’à la chair. » Et nous nous laissons endormir, plus attachés à la prospérité de notre société qu’au type d’homme qui y habite. « Ce qui me tourmente […] c’est un peu, dans chacun de ces hommes, Mozart assassiné. » Issus de la glaise, nous pouvons cependant raviver notre vie intérieure. « Seul l’Esprit, s’il souffle sur la glaise, peut créer l’Homme. »
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