06 septembre 2019

Elles ont quitté Amazon et Virgin pour ouvrir la plus grande librairie indépendante de Paris


Delphine Bouétard et Anne-Laure Vial travaillaient pour des géants de l’industrie culturelle. Elles sont désormais à la tête d’Ici, un grand espace de 500 m2 entièrement dédié aux livres dans le quartier des Grands Boulevards. Un sacré défi à l’heure où les ventes en ligne font figure de rouleau compresseur.

Elles ont vu grand, très grand ! Il faut dire que les créatrices de la librairie Ici, qui a ouvert à la fin du mois d’octobre sur les Grands Boulevards ses 500 m2 répartis en deux niveaux, ont toutes les deux l'expérience de la vente de livres à grande échelle. L'une, Anne-Laure Vial, a en effet dirigé l'activité livres d'Amazon France ; quant à sa partenaire, Delphine Bouétard, elle fut responsable de la librairie du Virgin Megastore des Champs Elysées. Mais Ici, malgré sa taille, est bien une librairie indépendante, la première de cette envergure à s'implanter dans Paris depuis 20 ans, à l'heure où la vente en ligne fait figure de rouleau compresseur et où la capitale a perdu 350 librairies en... 20 ans justement (il en reste 715 dans Paris intra muros). 

Une librairie d’intérêt public

Pour autant, invitées de France Info peu avant l'inauguration, les deux entrepreneuses l’affirmaient : « Les fondements de cette aventure ont été mûrement réfléchis depuis un certain nombre d'années ». Le temps aussi de convaincre la Mairie de Paris de leur accorder une subvention pour s’acquitter du loyer de la première année. Le local réaménagé étant la propriété de Paris Habitat (Ici a aussi bénéficié d'une subvention du Centre National du Livre). Reste que l’envergure de l’imposant navire littéraire dont les deux amies prennent la barre n’est pas, selon elles, incompatible avec une vocation de librairie de quartier.

Depuis la fermeture de la célèbre librairie Del Duca en 2012, il est vrai que les Grands boulevards sont de plus en plus livrés aux bars branchés, aux enseignes de prêt-à-porter ou aux bazars. S'appuyant sur la culture française qui génère une appétence sans équivalent pour la lecture (la France possède le réseau de librairies indépendantes — 3300 recensées — le plus dense au monde avec l'Allemagne) et sur l'impossibilité pour Amazon de pratiquer des prix du neuf inférieurs à ceux des libraires de proximité, les patronnes d’Ici se sont installées en lieu et place d’une boutique de vêtements pour enfants (qui avait lui-même pris la suite du nightclub lesbien Le Pulp fermé en 2007) et entendent bien combler les lacunes des librairies du web.

“Ici n’a pas désempli de la journée !”


Leurs maîtres-mots : conseil, amplitude de l'offre (43 000 références) convivialité de l'espace... La formule semblait prometteuse lors du vendredi inaugural, le 26 octobre : « Ici n’a pas désempli de la journée ! » se réjouissait Elodie, une des libraires qui officie en plus qu’étroite collaboration avec Delphine Bouétard, qu’elle a connue chez Virgin. Peu avant 20h et le baisser de rideau, la fréquentation était encore dense. On a loupé le passage de François Hollande qui s’est fait remarquer devant le rayon politique et n’a pas manqué de souligner devant les micros l’intérêt d’une offre pléthorique (nouveautés et grands classiques que ce soit en littérature française et étrangère, en science-fiction, BD, sciences humaines, tourisme, œuvres pour la jeunesse…) qui pousse à sortir de sa zone de confort. On peut en effet être venu faire provision de polars pour ses soirées d’hiver ou ses prochaines vacances et, en tombant sur la BD Les riches au tribunal (fort bien mise en valeur dans l’escalier qui mène au sous-sol) qui raconte l’affaire Cahuzac, se laisser tenter par ce moyen décalé de comprendre enfin une histoire d’évasion fiscale bien compliquée !

Tandis qu’Elodie insiste sur la nécessité de répondre à tous les besoins, de demeurer exigeant tout en évitant le piège de l’élitisme, des échos de conversations animées ondulent depuis le carré central occupé par un bar et une quinzaine de places assises. Sirotant un expresso torréfié par Café Coutume ou un jus de fruit frais (une petite restauration suivra bientôt), on peut imaginer qu’il s’agit là d’amis venus ensemble et croisant leurs impressions, commentant leurs trouvailles dans les rayons… ou bien de contacts spontanés entre inconnus réunis par la découverte du lieu.

De quoi réjouir en tout cas l’équipe (10 libraires quand elle est au grand complet), bien consciente que favoriser de tels échanges est l’indubitable avantage d’une boutique physique sur la vente en ligne ; et bien déterminée à les prolonger à travers les réseaux sociaux. Sans compter que les bancs-gradins en bois couleur terracota du niveau inférieur de 300 m² ne sont pas là que pour le décor. Bien sûr à la disposition de toute personne souhaitant feuilleter tranquillement un ouvrage avant de se l’approprier définitivement… ou pas, ce sera là le point des rencontres/débats dont Raphaël Glucksman donnera le coup d’envoi ce mercredi 7 novembre en présentant son livre Génération gueule de bois. Et c’est Ici aussi que Jane Birkin lui succèdera le samedi 10 avec, dans son panier, le Munkey Diaries que ses fans se sont déjà arraché. 

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