La Révolte arabe (1916-1918)
Les cheikhs arabes à l’origine de l’impasse entre les États-Unis et l’Iran ont entendu le proverbe africain : « quand les éléphants se battent, c’est l’herbe qui souffre ». Mais ils ont choisi de l’ignorer. À Riyad et à Abou Dhabi, on a supposé que la stratégie du président Trump consistant à exercer une « pression maximale » dissuaderait Téhéran et que la vie reprendrait très bientôt son cours, avec un Iran affaibli et contraint de se soumettre.
Au contraire, la vrille due à l’impasse entre les États-Unis et l’Iran ne fait que se renforcer de jour en jour. Ce qui était considéré comme une affaire localisée a maintenant acquis une dimension internationale et les alliés arabes américains n’ont plus leur mot à dire dans l’évolution du grippage irano-étatsunien.
Le rôle de l’Arabie saoudite et des Émirats se réduit dorénavant à financer le projet anglo-américain sur l’Iran et autoriser l’utilisation des bases occidentales sur leurs territoires comme tremplins pour les actes de belligérance visant à provoquer des actions de représailles de la part de Téhéran. En résumé, il existe un risque croissant qu’ils soient aspirés dans une situation de conflit dans un proche avenir.
Les états du Golfe manquent de « profondeur stratégique » vis-à-vis de l’Iran et sont certains de se trouver sur la ligne de front d’une conflagration militaire. On peut concevoir que ni l’Arabie saoudite, ni les Émirats arabes unis n’aient inclus une telle éventualité dans leurs négociations.
Au milieu de la multitude d’interprétations données au retrait « partiel » des forces des Émirats arabes unis du Yémen, on peut discerner le calcul d’Abou Dhabi selon lequel la protection de sa propre sécurité intérieure passe avant tout agenda impérial. Cette réflexion a peut-être aussi incité les EAU à faire quelques ouvertures très récentes vers Téhéran.
Les EAU ont adopté une position nuancée selon laquelle aucun pays ne pouvait être tenu responsable des attaques contre les pétroliers dans le Golfe en juin. Le ministre des Affaires étrangères, Abdullah bin Zayed Al-Nahyan, a déclaré que « des preuves claires et convaincantes » sont nécessaires concernant les attaques qui ont visé quatre navires, dont deux pétroliers saoudiens, au large des EAU. Les Émirats ont pris une distance substantielle par rapport à la conclusion du conseiller sur la Sécurité nationale des États-Unis, John Bolton, qui a déclaré que les attaques contre les pétroliers étaient le fait de « mines navales presque certainement iraniennes ».
Fait significatif, Al-Nahyan a fait cette remarque lors d’une conférence de presse conjointe avec le ministre russe des Affaires étrangères, Sergey Lavrov, lors d’une visite à Moscou fin juin, qui, de toute évidence, avait porté sur les efforts visant à mettre fin à la guerre au Yémen. Fait également intéressant, dans la semaine qui a suivi la visite d’Al-Nahyan, Moscou a également accueilli le Secrétaire général de l’Organisation de la conférence islamique et l’envoyé spécial de l’ONU au Yémen.
Il est tout à fait concevable que la Russie fasse son possible en coulisses pour atténuer les tensions entre l’Iran et les EAU et dans l’ensemble de la région du golfe Persique. Moscou a récemment redémarré sa proposition pour un système de sécurité collective dans le golfe Persique. Dans les faits, le 29 juillet, le concept russe de sécurité collective dans le golfe Persique a été distribué avec le statut de document officiel approuvé par l’ONU.
Ce document envisage un groupe d’initiative pour préparer une conférence internationale sur la sécurité et la coopération dans le golfe Persique, qui conduirait plus tard à la création d’une organisation sur la sécurité et la coopération dans cette région. La Chine a accueilli favorablement l’initiative russe et a offert sa contribution : « nous aimerions également stimuler la coopération, la coordination et la communication avec toutes les parties correspondantes ».
De toute évidence, la proposition russe s’oppose au projet anglo-américain de créer une armada navale occidentale dirigée par les États-Unis pour prendre le contrôle des 35.188 km dans et autour du détroit d’Hormuz, ce qui fera de l’Occident le régulateur du marché pétrolier mondial, avec toutes les implications qui en découlent pour la politique internationale, et réduira littéralement les pays producteurs du golfe Persique à des stations de pompage de facto. Pour cette raison, l’initiative russe ne marchera pas : en termes simples, c’est une intervention que les États-Unis et la Grande-Bretagne n’apprécieront pas.
Cependant, il y a d’autres indices à voir. La réunion conjointe Iran-EAU sur la coopération en matière de sécurité littorale à Téhéran le 30 juillet est un signe révélateur que les états du golfe Persique ont peut-être commencé à se rendre compte que l’insécurité endémique de la région implique finalement une solution régionale. L’Iran a accueilli favorablement l’ouverture des Émirats et y voit un « léger changement » d’approche.
La grande question est de savoir jusqu’où les Émirats arabes unis peuvent aller avec cette politique étrangère souveraine vis-à-vis de l’Iran. Traditionnellement, c’est l’Occident qui dicte la ligne et cela ne pourra pas changer fondamentalement à moins que les régimes arabes dans la région cèdent la place à une règle de représentation.
C’est là que réside la véritable tragédie : les grandes puissances — que ce soient les États-Unis ou la Russie — sont largement guidées par leurs propres intérêts mercantilistes et sont parties prenantes des régimes autocratiques de la région, qu’elles trouvent facilement manipulables. Il y a un siècle, lorsqu’une révolte arabe se leva dans la région, la Grande-Bretagne l’utilisa pour faire reculer l’Empire ottoman. Cette possibilité n’existe plus aujourd’hui. La triste fin du printemps arabe en Égypte s’est faite à l’avantage et au grand plaisir des États-Unis et de la Russie.
Cela dit, la situation n’est pas tout à fait sombre. Les puissances occidentales et la Russie se livrent une concurrence féroce pour assurer de lucratives ventes d’armes qui se chiffrent à des dizaines de milliards de dollars par an. Cela peut se transformer en opportunité.
L’axe Russie-Arabie saoudite qui calibre le marché pétrolier mondial montre le potentiel de déplacer pas à pas le locus de la politique du Moyen-Orient.
De même, l’apparition de la Chine sur la scène ouvre des possibilités élargies pour les états du Golfe. La récente visite du prince héritier des EAU en Chine souligne l’ingéniosité arabe pour tester les frontières d’une autonomie stratégique, même dans des conditions aussi difficiles. Le fait est que les EAU ont ouvertement défié la pression américaine et se positionnent comme une plaque tournante de la Nouvelle route de la soie chinoise. En outre, ils sont devenus le premier pays du golfe Persique à introduire la technologie 5G chinoise.
Voir sur mon blog : Belt and Road takes a leap forward to the Gulf (La Nouvelle Route de la Soie fait un bond en avant vers le Golfe.)
M. K. Bhadrakumar
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