• On dit en général, et non sans argument, que c’est le terrible Bolton qui a attiré la plus fine diplomatie du monde dans l’ancien Monde, dans le piège de l’arraisonnement, comme les pirates d’antan, du pétrolier iranien Grace I au large de Gibraltar :
« Un exemple évident en est la manœuvre réussie de Bolton pour persuader les Britanniques de saisir le pétrolier Grace I au large de Gibraltar. D'un seul coup, Bolton a accéléré l’escalade vers le conflit avec l'Iran (“augmenté la pression” sur l'Iran, comme dirait Bolton) ; il a mis le Royaume-Uni au premier rang de la " guerre " américaine avec l'Iran ; il a divisé les signataires du JCPOA, et embarrassé l'UE. C'est un “opérateur” habile, cela ne fait aucun doute. »
• Dans un mouvement auquel on est habitué, la mosaïque du pouvoir US a doublé l’incitation faite aux Britanniques de s’engager dans la “piraterie légale” anti-iranienne selon les conceptions de Bolton par une attitude plusieurs fois réaffirmé du secrétaire d’État Pompeo selon laquelle les USA se lavent les mains de la question des pétroliers arraisonnés, du seul ressort du Royaume-Uni. Cette façon de dire aux Britanniques “Débrouillez-vous sans nous” après que Bolton ait incité les Britanniques à agir entre dans une grande manœuvre US tendant à forcer la main des Britanniques pour qu’ils entrent dans la “coalition” navale des USA dans le Golfe. Les Britanniques, en pleine offensive type-Brexit avec Johnson, ont lancé sans craindre ni paradoxe ni contradiction un appel à la formation d’une flotte de protection européenne, dans le cadre du JCPOA que les USA ont quitté l’année dernière : c’est-à-dire qu’ils ont opéré selon les injonctions US mais refusent l’intégration dans une “coalition” US au profit d’une coalition européenne dont les autres Européens ne veulent pas...
• La proposition britannique a été faite par le ministre des affaires étrangères Hunt, peu avant de quitter le gouvernement et l’arrivée de Johnson. Hunt, qui est un adversaire avéré de Johnson, laisse un cadeau empoisonné au nouveau Premier ministre. La proposition de Hunt a été accueilli froidement, quasiment par une fin de non-recevoir, par les Européens concernés (France et Allemagne), essentiellement par les Français qui n’ont évidemment, dans tous les cas pour l’instant, rien à faire d’une coopération affirmée avec le nouveau Premier ministre-Brexit :
« Dans un entretien paru vendredi, la ministre française des Armées, Florence Parly, a indiqué que Paris, Londres et Berlin prévoyaient de “coordonner” leurs moyens et “partager (leurs) informations” dans le Golfe pour y renforcer la sécurité maritime, mais sans pour autant y déployer des moyens militaires supplémentaires. “Nous ne voulons pas contribuer à une force qui pourrait être perçue comme aggravant les tensions”, a-t-elle dit. »
• L’ancien diplomate Craig Murray, un spécialiste des questions du droit de la mer lorsqu’il était encore au Foreign Office, décrit en détails l’extrême illégalité de cette action. L’affaire s’est envenimée avec la riposte des Iraniens saisissant un pétrolier britannique, action également illégale, selon Murray, mais avec l’excuse de la riposte dans une affaire que la “communauté internationale” a laissé faire sans réagir, – l’illégalité générale favorisée par cette “communauté internationale” légalise par conséquent le “droit de riposte” (lui-même illégal, mais passons outre). Pendant ce temps, le Royaume-Uni de Theresa May hausse le ton, menace Téhéran, déplace un de ses puissants navires de guerre (arrivé dans le Golfe avant-hier), propose aux Européens ce qu’on a vu...
D’une façon générale et pour bien se comprendre, les Britanniques, ceux de Boris Johnson cette fois, se retrouvent seuls dans cette nasse qu’ils (d’autres Britanniques) ont eux-mêmes fabriquées, avec leurs menaces à l’encontre de l’Iran si ce pays ne libère pas le pétrolier saisi. Les menaces signifient-elles encore quelque chose ? Doit-on craindre de “perdre la face” quand on ne sait plus très bien si le spectre du zombie a encore une face ?
• En attendant l’évolution de cette affaire selon les habiletés de Boris Johnson, l’épisode a placé en pleine lumière la politique diplomatico-militaire du Royaume-Uni et l’étrange maniement des velléités de “résurgence” de l’impérialisme britannique selon Craig Murray. Par conséquent, l’occasion imposait que l’on passât en revue les capacités navales actuelles du Royaume-Uni. Le titre de la revue de détail du site Military Watch, que nous reprenons ci-dessus, résume assez bien l’état des choses : « Les tensions navales avec l’Iran éclairent l’état de décrépitude de la Royal Navy. »
« L'état actuel et les capacités de la Royal Navy britannique laissent beaucoup à désirer, ce qui remet sérieusement en question sa capacité à faire pression sur l'Iran...
» En termes de capacité de combat, la Royal Navy britannique a considérablement diminué en taille et en fiabilité. A partir d’une flotte de 4 porte-avions, 13 destroyers et 47 frégates dans les années de la fin de la guerre froide jusqu’en 1991, la Grande-Bretagne ne dispose aujourd'hui que d'un seul porte-avions, de six destroyers et de 13 frégates. Le seul porte-avions, le HMS Queen Elizabeth, a souffert de graves problèmes de fiabilité, notamment une avarie récente assez grave pour le forcer à interrompre sa mission et à revenir à son port d’attache. Les destroyers Type 45 sont non seulement de plus en plus dépassés par ceux de puissances rivales telles que la Chine et les États-Unis, mais souffrent également de problèmes de fiabilité extrêmes. Leurs moteurs diesel Rolls Royce se seraient “dégradés de façon catastrophique” dans des climats chauds comme ceux que l'on trouve dans le détroit d'Ormuz ou dans les eaux de l'Asie du Sud Est. Une flotte de six destroyers est considérée comme extrêmement petite pour une puissance militaire autoproclamée “de premier niveau”, soit le même nombre de navires de ce type que la Chine ajoute à sa flotte chaque année et plus de 85 % de moins que la flotte de destroyers du Japon malgré des niveaux de dépenses similaires. Les navires de guerre sont de plus en plus dépassés qualitativement et quantitativement par les puissances rivales, avec une portée d'engagement de seulement 125 km avec des missiles mer-mer se déplaçant à des vitesses subsoniques extrêmement faibles. Les missiles de ce type de plus de 800 km de portée deviennent de plus en plus la norme dans les autres flottes modernes. La plus grande faiblesse des destroyers, cependant, est que les exigences extrêmes d'entretien et leur faible fiabilité signifient que seuls 2 à 3 unités sont opérationnelles en même temps. En fait, la question est tout simplement de savoir si la Royal Navy est encore capable d’assumer les coûts opérationnels d’une flotte plus importante que celle dont elle dispose.
» La flotte britannique de frégates plus légères de la classe Type 23 ne s’en tire guère mieux que la flotte de destroyers, avec 6 unités non opérationnelles sur les 13 actuellement en service. On s'attend à ce que bon nombre de ces navires de guerre servent pendant plus de 35 ans avant que des navires de remplacement viables ne soient disponibles à la fin des années 2020, et ils sont déjà considérablement dépassés, ce qui accroit les nécessités d’entretien et accroit leur vulnérabilité par rapport à leurs adversaires potentiels. Les nouvelles unités de remplacement de la classe Type 31 sont largement considérés comme des corvettes et, bien que plus récentes, elles ont été conçues principalement pour minimiser les coûts et ne sont pas jugés capables d’atteindre le niveau opérationnel d’une frégate. L'économie britannique ne montrant aucun signe d’amélioration marquante dans un avenir prévisible, il est peu probable que le budget d'austérité actuel de la Royal Navy soit revu à la hausse, ce qui signifie que le déclin de la flotte devrait se poursuivre. Comme l'a fait remarquer [ à propos de la situation des frégates] Iain Ballantyne, rédacteur en chef du magazine Warships édité à Plymouth : “Les plus vieux Type 23 auront 30/35 ans lorsque les Type 26 arriveront... C'est vieux en termes de navires de guerre. Les vieux navires coûtent plus cher à entretenir et tombent plus souvent en panne. Avec la montée en puissance de la Russie et de la Chine, l'instabilité dans le Golfe et les exigences de sécurité navale des Malouines et des autres territoires britanniques d’outre-mer, avec une marine d’une puissance réduite de moitié par rapport à 1991, c’est ‘a perfect storm’ [une situation catastrophique]qui se profile.”
» Enfin, la capacité de la Grande-Bretagne à projeter sa puissance outre-mer continue de se dégrader sérieusement et, compte tenu des considérations en cours pour une réduction des acquisitions prévues d'avions de chasse F-35B et de sous-marins nucléaires, cette situation pourrait encore s'aggraver. Les plans de modernisation de la flotte, bien que loin d'être ambitieux, ont constamment été jugés inabordables. Il convient également de noter que même si la Grande-Bretagne n'a qu'un seul porte-avions en service, la seule classe d'aéronefs à voilure fixe qu'elle est en mesure de déployer, le F-35B, est considérée comme très loin d'être prêt au combat et ne le sera probablement pas avant de nombreuses années. Ainsi, même si les problèmes avec le porte-avions lui-même sont résolus, le HMS Queen Elizabeth fonctionnera principalement comme porte-hélicoptère pour les missions de combat dans un avenir prévisible. S'il est peu probable qu'il y ait jamais eu une “option militaire” britannique réaliste pour affronter l'Iran, l'état actuel de la Royal Navy signifie que même les perspectives d'exercer une pression militaire par une présence accrue dans le Golfe sont extrêmement douteuses. »
• On notera que l’état catastrophique sinon inexistant pour plusieurs années des capacités de projection de la flotte britannique tient essentiellement au choix (en 2006) du F-35, alias JSF, d’un coût extrêmement élevé, déjà en retard de dix années par rapport aux promesses initiales, d’une capacité de combat actuelle et pour l’avenir prévisible quasiment nulle, – cela faisant dans l’entretemps du HMS Queen Mary le porte-hélicoptères le plus lourd et le plus cher du monde... Le choix du F-35, forcé par les USA et assumé avec zèle par la direction britannique, a complètement déséquilibré l’évolution des capacités budgétaires de la Royal Navy et précipité l’effondrement des capacités navales britanniques qui fait de cette crise dans la crise une tragédie-bouffe ordonnée par les trahisons régulières des vendeurs de F-35, et les acquiescements sans fin du petit personnel britannique. Right or wrong, la Royal Navy reste aux ordres de Bolton et sous le feu des méprisants contre-ordres de Pompeo.
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