18 juillet 2019

Brève histoire des camps de concentration des États-Unis


Camp de concentration (nom) : « Lieu dans lequel un grand nombre de personnes, en particulier des prisonniers politiques ou des membres de minorités persécutées, sont délibérément emprisonnées dans une zone relativement petite dotée d’installations inadéquates, parfois pour effectuer du travail forcé ou pour attendre des exécutions massives. »
- Dictionnaire anglais d’Oxford.

La Représentante au Congrès US, Alexandria Ocasio-Cortez (D-NY) a provoqué une vague de critiques, tant à gauche qu’à droite, ainsi que dans les médias de masse, après avoir décrit les centres de détention d’immigrants aux États-Unis comme des «camps de concentration». À son crédit, Ocasio-Cortez a refusé de se rétracter, citant des experts universitaires et accusant le gouvernement Trump de détenir de force des migrants sans papiers dans des lieux «où ils sont brutalisés, dans des conditions déshumanisantes et où ils meurent». Elle a également cité l’histoire : «Les États-Unis avaient déjà organisé des camps de concentration, quand nous avons rassemblé des japonais pendant la Seconde Guerre mondiale», a-t-elle tweeté. «C’est une histoire tellement honteuse qu’en grande partie nous l’ignorons. Ces camps apparaissent au cours de notre histoire». En effet, c’est le cas. Ce qui suit est un aperçu des camps de concentration de civils aux États-Unis à travers les siècles. Les camps de prisonniers de guerre, aussi horribles soient-ils, ont été exclus en raison de leur statut juridique au regard des conventions de Genève et par souci de brièveté.

Un parcours de larmes

Un demi-siècle avant que le président Andrew Jackson ait signé en 1830 la Loi sur le Transfert des Indiens, un jeune gouverneur de Virginie, Thomas Jefferson, proclamait le génocide et le nettoyage ethnique comme «solution» pour ce que l’on appellerait plus tard le «problème indien». En 1780, Jefferson écrivit «nous devons mener une campagne contre ces Indiens, la fin proposée devrait être leur extermination ou leur déplacement au-delà des lacs du fleuve Illinois». Cependant, c’est depuis Jackson que lesdits «dépôts d’émigration» ont été introduits en tant que partie intégrante de la politique officielle de transfert des Indiens des États-Unis. Des dizaines de milliers de Cherokees, Muscogees, Seminoles, Chickasaw, Choctaw, Ponca, Winnebago et d’autres peuples autochtones ont été forcés sous la menace des armes de quitter leurs maisons pour être conduits vers des camps de prisonniers en Alabama et dans le Tennessee. Le surpeuplement et le manque d’installations sanitaires ont entraîné des épidémies de rougeole, de choléra, de coqueluche, de dysenterie et de typhus, tandis que le manque de nourriture et d’eau ainsi que l’exposition aux éléments ont causé des morts et d’immenses souffrances. Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants sont morts de froid, de faim et de maladie dans les camps et lors des marches de la mort, y compris celle du fameux parcours des larmes, longs de centaines et parfois même de plus de mille miles (1 600 km). Le président Jackson a expliqué que ce transfert génocidaire était une «politique bienveillante» du gouvernement étasunien et que les amérindiens «n’ont ni l’intelligence, l’industrie, ni les habitudes morales, ni le désir d’amélioration» nécessaires pour vivre en paix et en liberté. «Établis au milieu d’une… race supérieure, et sans apprécier les causes de leur infériorité… ils doivent nécessairement céder à la force des circonstances et à la longue disparaître», avait déclaré Jackson dans son Discours sur l’état de l’Union en 1833, cet homme que Donald Trump a désigné comme son président favori. 

La longue marche

Des décennies plus tard, lorsque les Sioux et d’autres peuples autochtones ont résisté à l’invasion blanche et au vol de leurs terres, le gouverneur du Minnesota, Alexander Ramsey, a répondu par un nouvel appel au génocide et à la purification ethnique. «Les Indiens Sioux du Minnesota doivent être exterminés ou expulsés définitivement au-delà des frontières de l’État», a-t-il déclaré en 1862, offrant une prime de $200 (plus de $5 000 en argent d’aujourd’hui) pour le scalp de tout Indien en fuite ou résistant. Environ 1 700 femmes, enfants et personnes âgées du Dakota ont été conduits de force dans un camp de concentration construit sur un site sacré. Beaucoup n’y sont jamais arrivés. Selon Jim Anderson, président de la tribu du Mendota Dakota, «beaucoup de nos proches sont morts au cours de cette marche. Ils ont été tués par des colons en traversant les petites villes. Les bébés ont été arrachés aux bras de leurs mères, et tués, puis les femmes… ont été abattues ou transpercées par les baïonnettes» les survivants ont eu à souffrir de rudes tempêtes hivernales, des maladies et de la faim. Beaucoup n’ont pas survécu à l’hiver.

Deux ans plus tard, le général de la guerre de sécession James Henry Carleton, tueur d’Indiens, força 10 000 Navajos à marcher 300 miles (480 km) au plus fort de l’hiver, depuis leur patrie située dans la région de Four Corners, à un camp de concentration situé à Fort Sumner, au Nouveau-Mexique. Cela faisait partie d’une campagne de terre brûlée au cours de laquelle le célèbre pionnier Kit Carson avait tenté d’éliminer les Navajos, dont des centaines sont morts ou ont été réduits à l’esclavage par des colons blancs et des tribus rivales au cours de ce qui était connu sous le nom de la longue marche. Ceux qui ont survécu à la marche de la mort vers Fort Sumner ont eu à subir la famine, le manque de bois pour se chauffer et cuisiner, le froid cinglant et les maladies dévastatrices. Les humiliations quotidiennes comprenaient l’interdiction des prières, des cérémonies spirituelles et des chants. On estime qu’environ 1 500 personnes sont mortes pendant leur internement à Fort Sumner, dont beaucoup de nourrissons et d’enfants. 

Contrebande

À peu près au même moment, l’armée de l’Union [Nordiste ou Yankee] recherchait, à travers les territoires confédérés, des esclaves libérés et les contraignait à des travaux forcés dans des camps dis de «contrebande» ravagés par la maladie, car les esclaves en fuite ou libérés étaient considérés comme du butin de guerre par les soldats nordistes. «Il y a beaucoup de maladies, de souffrances et de misère», a écrit James E.Yeatman de la Commission sanitaire occidentale après avoir visité l’un de ces camps près de Natchez, dans le Mississippi en 1863. «Il n’y a pas une maison où je sois allé où la mort n’était pas entrée… soixante-quinze personnes étaient morts en un seul jour… certains étaient retournés chez leurs maîtres à cause de leurs souffrances.» dans un camp situé à Young’s Point, en Louisiane, Yeatman a rapporté «maladie et mort affreuses», 30 à 50 personnes mourant chaque jour de maladie et de faim. Un camp près de Natchez, dans le Mississippi, a hébergé jusqu’à 4.000 réfugiés noirs au cours de l’été 1863 ; à l’automne, 2.000 personnes avaient déjà péri, en majorité des enfants infectés par la variole et la rougeole.

«Assimilation bienveillante» dans les «banlieues de l’enfer»

Après que les peuples autochtones n’ont plus fait obstacle à leur «destin manifeste», les États-Unis ont tourné leur ambition vers l’objectif de devenir, par le biais de la conquête et de l’expansion à l’étranger, une puissance impériale de premier plan. Après le renversement de la monarchie à Hawaï et l’annexion de ses îles, une guerre a été menée contre l’Espagne, entraînant la prise des premières colonies étasuniennes à Cuba, Porto Rico, Guam et aux Philippines. Lorsque les Philippins ont résisté, les commandants étasuniens ont réagi avec une extrême cruauté. Faisant écho à Andrew Jackson, le président William McKinley a qualifié cette opération «d’assimilation bienveillante» des Philippines au sein de l’empire étasunien en plein essor.

Alors que le général, «Enfer», Jake Smith ordonnait à ses troupes de «tuer tous ceux qui avaient plus de 10 ans». À Samar, le futur président William Howard Taft, administrateur colonial étasunien de l’archipel, a lancé une campagne de «pacification» associant la tactique contre-insurrectionnelle consistant en tortures et exécutions sommaires avec la déportation et l’emprisonnement dans des camps de concentration, dits reconcentrados, qu’un commandant appelait «la banlieue de l’enfer». Le général J. Franklin Bell, qui attend avec impatience son nouveau poste de commandant des tristement célèbres batangas reconcentrados, a déclaré que «toute considération et respect pour les habitants de cet endroit cesseront dès le jour où je serai le commandant.»

Il le pensait vraiment, en décembre 1901, Bell laissa deux semaines aux habitants des batangas pour qu’ils quittent leurs domiciles et se rendent au camp. Tout ce qu’ils ont laissé derrière eux – leurs maisons, leurs fermes, leur bétail, leurs réserves de nourriture et leurs outils – ont été volés ou détruits par les troupes étasuniennes. Les personnes qui ont refusé de se présenter au camp ont été abattues, de même que des prisonniers au hasard, lorsque des insurgés tuaient un Étasunien. Les conditions étaient au-delà de l’horreur dans de nombreux reconcentrados. La faim, la maladie et la torture, y compris le waterboarding [simulation de noyade], étaient monnaie courante. Dans certains camps, jusqu’à 20% des internés sont morts. Pour avoir voulu prendre de la nourriture, 1 300 prisonniers des batangas ont été forcés de creuser des fosses communes avant d’y être abattus par balles, 20 à la fois et y être enterrés. «Pour les garder prisonniers, il fallait que les soldats reçoivent des rations plus légères», a expliqué un soldat. «Il n’y avait rien d’autre à faire que de les tuer.»

Camps de concentration pour citoyens étasuniens

Au cours des deux guerres mondiales, des milliers de ressortissants allemands, germano-étasuniens et d’Allemands d’Amérique latine ont été emprisonnés dans des camps de concentration à travers les États-Unis. Cependant, leur race et leur degré d’assimilation relativement élevé les ont sauvés. L’internement et les conditions, de la plupart des Étasuniens d’origine allemande étaient bien meilleures que dans les camps étasuniens précédents. Les Étasuniens d’origine japonaise n’ont pas eu cette chance. Après l’attaque de Pearl Harbour, le président Franklin D. Roosevelt a publié le décret 9066, aux termes duquel toutes les personnes d’ascendance japonaise vivant sur la Côte Ouest devaient être rassemblées et emprisonnées dans des dizaines de centres de rassemblement civils – où ils étaient en surnombre, souvent forcés de dormir dans des écuries sur du fumier -, des centres de relogement, des bases militaires et des «centres d’isolement des citoyens» – des camps de prisonniers sombres dans le désert où des «détenus à problèmes», y compris ceux qui ont refusé de prêter allégeance aux États-Unis, ont été emprisonnés. Les conditions variaient selon les camps, mais le surpeuplement, le manque d’eau, les pénuries de carburant et le rationnement de la nourriture étaient courants. Beaucoup de camps étaient situés dans des déserts isolés, infestés de scorpions et de serpents.

Bizarrement, des milliers d’Étasuniens d’origine japonaise se sont portés volontaires pour se battre pour le pays qui les emprisonnait pour rien de plus que leur appartenance ethnique. C’étaient quelques-unes des troupes étasuniennes les plus décorées de la guerre. Dans le même temps, la cour suprême s’est rangée aux côtés du gouvernement dans trois affaires intentées par des Étasuniens d’origine japonaise pour contester la constitutionnalité de leur détention. Le public étasunien, pris au piège d’une hystérie raciste du «péril jaune» a manifestement acquiescé à un emprisonnement massif anticonstitutionnel. L’internement dura toute la guerre, parfois plus longtemps, de nombreux détenus découvrant que leurs maisons, leurs commerces et leurs biens avaient été volés ou détruits lors de leur libération définitive. Le président Ronald Reagan s’excusera officiellement et signera en 1988 une indemnité de 20 000 dollars par an aux anciens détenus.

Outre des japonais et certains allemands, un plus petit nombre d’Italiens et d’Italo-étasuniens ont également été emprisonnés lors de la Seconde Guerre mondiale. Il en a été de même pour les autochtones aleuts d’Alaska, qui ont été évacués de force avant que leurs villages ne soient entièrement incendiés pour empêcher que toute invasion des forces japonaises puisse les utiliser. Près de 900 allemands ont été emprisonnés dans des usines et d’autres installations abandonnées, sans eau, sans électricité ni toilettes ; la nourriture décente, l’eau potable et les vêtements chauds étaient rares. Près de 10% des détenus des camps sont morts. D’autres ont été réduits en esclavage et contraints à chasser le phoque à fourrure.

Au cours des premières années de la guerre froide, le Congrès adopta la loi de 1950 sur le contrôle des activités subversives concernant le droit de veto du président Harry Truman, qui conduisit à la construction de six camps de concentration destinés à contenir des communistes, des militants pacifistes, des défenseurs des droits civiques et d’autres qui pourraient constituer une menace au cas où le gouvernement aurait déclaré l’état d’urgence. Cette loi a été confirmée par la Cour suprême au cours des années McCarthy/red scare [peur rouge], mais dans les années 1960, la Cour Suprême a statué que les dispositions imposant aux communistes de s’enregistrer auprès du gouvernement et leur interdisant un passeport ou un emploi au gouvernement étaient inconstitutionnelles. Les camps, qui n’ont jamais été utilisés, ont été fermés à la fin de la décennie.

Du Japon au Vietnam

Au cours d’une atrocité peu connue, au moins 3.000 habitants d’Okinawa sont morts du paludisme et d’autres maladies dans des camps installés par les troupes étasuniennes après qu’ils ont conquis les îles japonaises lors de violents combats en 1945. Pendant et après la guerre, les terres et les maisons des autochtones, leurs armes à feu et leurs fermes ont été détruites au bulldozer ou incendiées pour faire place à des dizaines de bases militaires étasuniennes. Quelque 300.000 civils ont été forcés d’intégrer ces camps ; le survivant Kenichiro Miyazato a ensuite rappelé à quel point «trop de personnes étaient mortes, ce qui fait que les corps ont dû être enterrés dans une seule fosse commune».

Dans son étendue, aucun régime de camps de concentration étasunien ne pouvait rivaliser avec le programme stratégique Hamlet. En 1961, le président John F. Kennedy a approuvé le transfert forcé, souvent sous la menace d’armes à feu, de 8,5 millions de paysans sud-vietnamiens dans plus de 7.000 camps fortifiés, entourés de barbelés, de champs de mines et de gardes armés. Cela a été fait pour affamer l’insurrection grandissante du Viêt-Cong, la privant de nourriture, d’abris et de nouvelles recrues. Cependant, peu de « cœurs et d’esprits » ont été gagnés, et beaucoup ont en fait été perdus, lorsque les troupes étasuniennes et sud-vietnamiennes ont incendié les maisons de leurs habitants sous leurs yeux avant de les éloigner de leur terre et de leurs liens spirituels les plus profonds avec leurs ancêtres révérés.

Guerre contre les terroristes et les migrants

Bien que cette enquête sur les camps de concentration étasuniens ne comprenne pas les camps de prisonniers de guerre, la guerre mondiale contre le terrorisme qui a débuté sous le gouvernement George W. Bush après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis a brouillé les frontières. Détention de combattants et de civils. Selon le colonel Lawrence Wilkerson, ancien chef de cabinet du secrétaire d’État de l’époque Bush, Colin Powell, la plupart des hommes et des garçons incarcérés à la prison militaire de Guantánamo Bay étaient innocents mais détenus pour des raisons politiques ou dans le but de glaner une «mosaïque» de renseignement. Des civils innocents ont également été incarcérés dans des prisons militaires, certaines secrètes, en Irak, en Afghanistan et ailleurs. De nombreux détenus ont été torturés et sont morts sous la garde des États-Unis. Certains de ces hommes sont détenus sans inculpation ni jugement depuis 17 ans, tandis que d’autres, jugés trop innocents pour être inculpés, restent emprisonnés à GITMO, bien qu’ils aient été libérables depuis de nombreuses années.

C’est maintenant le tour des migrants; et malgré les protestations féroces de ceux qui commettent ou justifient le crime d’arracher des bébés et des enfants des bras de leurs parents et de les emprisonner dans des cases gelées, ce que les responsables de l’administration Trump ont décrit avec euphémisme comme des «camps de vacances», il ne fait aucun doute que des camps de concentration sont encore une fois opérationnels sur le sol étasunien. La tentative de l’administration Trump de dépeindre l’emprisonnement des enfants comme quelque chose de beaucoup plus heureux rappelle immédiatement les films de propagande de la Seconde Guerre mondiale montrant les prisonniers d’origine japonaise heureux de vivre… derrière des barbelés.

L’acteur George Takei, qui a été interné avec sa famille pendant la guerre, était tout sauf content. «Je sais ce que sont les camps de concentration», a-t-il tweeté au milieu de la controverse actuelle. «J’étais interné dans deux d’entre eux. Aux États-Unis. Et oui, nous opérons à nouveau de tels camps». Takei a noté une grande différence entre hier et aujourd’hui : «Au moins pendant l’internement des Étasuniens d’origine japonaise, nous et les autres enfants n’avons pas été privés de nos parents», a-t-il écrit, ajoutant que «‘tout au moins pendant l’internement’, sont des mots que je pensais ne jamais plus avoir à prononcer».

Brett Wilkins
 
Ne pas oublier les camps d'internement à ciel ouvert en Allemagne, créés par les USA, où ils y internèrent les militaires allemands, après leur reddition, sans soins, sans abris, sans nourriture, ils y moururent par centaines de mille !

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