Dans les années 1980, la France a connu simultanément deux confrontations au seuil de la guerre ouverte, contre la Libye et contre l'Iran. Les résultats ont été mitigés.
Bien qu’ayant accueilli en exil son guide suprême l’ayatollah Khomeiny, la France s’oppose très vite à la nouvelle République islamique d’Iran proclamée en avril 1979. Or, à l’époque du Shah, les deux pays avaient conclu un vaste accord de coopération nucléaire. Cet accord est remis en cause avec le nouveau régime. L’Iran rompt le contrat de fourniture de centrales nucléaires, mais souhaite rester dans le consortium Eurodif et bénéficier de la fourniture d’uranium enrichi prévue dans les accords. François Mitterand s’y refuse, comme il refuse que la France rendre l’argent, un milliard de dollars, prêté à l’époque du Shah.
La France multiplie en revanche les accords avec l’Irak de Saddam Hussein, alors le premier partenaire commercial de la France au Moyen-Orient et son deuxième fournisseur de pétrole. Lorsque Saddam Hussein engage la guerre contre l’Iran en 1980, il est pleinement soutenu par les États-Unis (désigné « Grand Satan » par l’Iran) et la France (« Petit Satan »). La France lui fournit un quart de son équipement militaire et les réacteurs de la centrale nucléaire de Tammuz (détruite par les Israéliens en juin 1981). Il y a alors plus de 10 000 expatriés français en Irak, un partenaire économique à peu près aussi incontournable que peuvent l’être l’Arabie Saoudite ou le Qatar aujourd’hui. Les retombées sur l’industrie française sont énormes, les rétrocommissions sur les partis politiques français aussi. D’un point de vue moins matérialiste, le « progressisme laïc » de Saddam Hussein plait également beaucoup plus que cette République islamique chiite dont on craint qu’elle ne veuille exporter sa révolution.
La France joue soutient donc massivement l’Irak dans sa guerre. En septembre 1981, elle signe avec Saddam Hussein un contrat d’un montant équivalent à plus de 1,5 milliard d’euros et portant sur des centaines de véhicules blindés, des milliers de missiles antichars et antiaériens et même plus de 80 canons automoteurs de 155 mm, dont l’armée de Terre française n’est pas encore dotée. L’aviation irakienne dispose déjà de 90 avions de combat Mirage F1. On y ajoute 25 autres appareils en 1985. Entre temps, en octobre 1983 le porte-avions Clemenceau est venu prêter cinq avions Super-Etendard seuls à même de frapper les navires iraniens dans le Golfe avec leurs missiles AM-39 Exocet. Les quatre restants sont rendus à la France l’été 1985.
On peut difficilement imaginer à l’époque que cela passera inaperçu, mais on s’estime probablement protégé de toute action de la République islamique, dont on croît de toute façon le destin assez bref. C’est une erreur.
Il existe deux manières militaires d’agir, en séquence ou en cumul. Dans le premier cas on progresse par étapes vers l’objectif, dans le second on multiplie les actions ponctuelles jusqu’à faire émerger ce même objectif. Pour faire céder la France, l’Iran lance plusieurs campagnes cumulatives sans apparaître au grand jour grâce à des « sociétés écrans ».
La première zone d’action est le Liban où l’Iran s’associe la Syrie, également hostile localement à la France. En septembre 1981, l’ambassadeur de France au Liban est assassiné par une milice à la solde de la famille Assad. Surtout, les Occidentaux ont placé naïvement d’énormes cibles militaires au Liban avec les contingents de la FINUL et surtout, à partir de septembre 1982, de la Force multinationale de sécurité de Beyrouth. Syriens et Iraniens saisissent évidemment cette occasion facile et la FMSB est violemment attaquée, en particulier le 23 octobre 1983 lorsque 58 soldats français et 241 Américains sont tués en quelques minutes. La FMSB est repliée piteusement au printemps 1984. La France seule y a perdu 89 soldats. Le deuxième axe d’effort au Liban consiste à y faire capturer des otages par divers groupes locaux. Onze diplomates et journalistes français sont ainsi enlevés de 1985 à 1987. La seconde zone d’action est la capitale française où 14 attentats à la bombe sont organisés de décembre 1985 à septembre 1986, faisant 13 morts et plus de 300 blessés. Le réseau de Fouad Ali Saleh, à l’origine de ces attaques est démantelé en 1987. Ce réseau est lié au Hezbollah libanais, lui-même lié à l’Iran. Il n’est pas exclu non plus que l’assassinat en novembre 1986 de Georges Besse, ancien Président du directoire d’Eurodif, par le groupe Action directe ne soit également lié au conflit. Dans le golfe Arabo-Persique enfin, les Gardiens de la révolution islamique harcèlent les porte-conteneurs battant pavillon français puis tous les pétroliers à partir de 1986.
Cette offensive multiplie surprend la France qui se découvre à la fois vulnérable et sans véritable moyen d’action contre l’Iran, hors des attaques directes. La République des Mollahs n’apparaît pas au grand jour et ne peut donc pas fournir de prétexte flagrant à une guerre ouverte. Surtout, sans l’engagement américain, impossible dans le contexte de l’époque, les moyens militaires français seuls apparaissent d’un coup très limités et puis, si l’exécutif français de l’époque aime les montrer il répugne à les utiliser pour combattre. Le 7 novembre 1983, deux semaines après l’attaque du Drakkar à Beyrouth, le véhicule piégé (une jeep marquée « armée française ») destiné à faire exploser l’ambassade d’Iran à Beyrouth n’a pas fonctionné. Moins de deux ans avant le fiasco du Rainbow Warrior, la France ne sait visiblement plus très bien monter des opérations clandestines. Dix jours plus tard, le raid aéronaval lancé dans la plaine de la Bekaa a été une pantalonnade, le monde entier ou presque ayant été averti de l’attaque (par une source au ministère des Affaires étrangères semble-t-il).
Reste la gesticulation. Jacques Chirac, Premier ministre de cohabitation depuis 1986, lance deux « opérations de démonstration » après les attentats de Paris. La première est baptisée « Garde aux frontières » et consiste à déployer 2 000 soldats autour du territoire métropolitain en soutien des forces de police et de douane. Cette « opération anxiolytique », la première du genre, ne sert évidemment à rien sinon à « rassurer » et surtout à témoigner de l’activité de l’exécutif. Dans le même temps, 140 000 tonnes de navires sont envoyées dans le Golfe arabo-persique. Cette opération « Prométhée » est nettement plus utile que « Garde aux frontières » dans la mesure où elle permet de protéger les navires français, et même parfois neutres, des attaques iraniennes. Elle reste cependant là encore largement une opération de gesticulation. Les huit passages du groupe aéronaval dans le Golfe sont l’occasion de déclarations martiales du président de la République mais aucune frappe n’est jamais ordonnée.
En réalité, le gouvernement français avait déjà décidé de tout céder à l’Iran et peut-être même pour le Premier ministre de tirer un profit politique de la libération des otages peu de temps avant l’élection présidentielle de 1988. L’argent dû à l’Iran lui est rendu, ainsi que le personnel diplomatique inquiété après les attentats de Paris. Les otages au Liban sont libérés en échange. Il est alors mis fin aux opérations militaires de démonstration dont le but principal, et atteint, avait bien été de permettre un abandon plus facile derrière un masque de fermeté. Un traité définitif, équivalent à un traité de paix, est signé par la France et l’Iran en 1991.
Au bilan, la France s’est lancée dans une guerre de fait contre l’Iran avec une grande naïveté, y compris d’ailleurs dans l’espoir aussi que Saddam Hussein allait pouvoir financer toutes ses commandes (c’est le contribuable français qui assurera la différence aux entreprises). En réalité, l’Iran n’était pas, et n’est toujours pas, une menace pour la France, et ses exigences dans le cadre du contentieux Eurodif étaient somme toute assez légitimes. Cette guerre était donc inutile, sinon pour plaire à nos alliés américains et locaux, alors qu’il aurait été possible, à la manière russe, de se placer en intermédiaire diplomatique et double fournisseur. Il est vrai que nous avons un peu joué ce dernier rôle, puisque la France (comme les États-Unis d’ailleurs) a également livré des obus à l’Iran de 1982 à 1986, ce qui a permis de financer le Parti socialiste. À tout le moins, si on décide d’aller à la confrontation il faut anticiper les réactions de l’ennemi et donc au minimum le connaître, et s’en préserver autant que possible. Rien de tout cela n’a été fait sérieusement.
Bien qu’ayant accueilli en exil son guide suprême l’ayatollah Khomeiny, la France s’oppose très vite à la nouvelle République islamique d’Iran proclamée en avril 1979. Or, à l’époque du Shah, les deux pays avaient conclu un vaste accord de coopération nucléaire. Cet accord est remis en cause avec le nouveau régime. L’Iran rompt le contrat de fourniture de centrales nucléaires, mais souhaite rester dans le consortium Eurodif et bénéficier de la fourniture d’uranium enrichi prévue dans les accords. François Mitterand s’y refuse, comme il refuse que la France rendre l’argent, un milliard de dollars, prêté à l’époque du Shah.
La France multiplie en revanche les accords avec l’Irak de Saddam Hussein, alors le premier partenaire commercial de la France au Moyen-Orient et son deuxième fournisseur de pétrole. Lorsque Saddam Hussein engage la guerre contre l’Iran en 1980, il est pleinement soutenu par les États-Unis (désigné « Grand Satan » par l’Iran) et la France (« Petit Satan »). La France lui fournit un quart de son équipement militaire et les réacteurs de la centrale nucléaire de Tammuz (détruite par les Israéliens en juin 1981). Il y a alors plus de 10 000 expatriés français en Irak, un partenaire économique à peu près aussi incontournable que peuvent l’être l’Arabie Saoudite ou le Qatar aujourd’hui. Les retombées sur l’industrie française sont énormes, les rétrocommissions sur les partis politiques français aussi. D’un point de vue moins matérialiste, le « progressisme laïc » de Saddam Hussein plait également beaucoup plus que cette République islamique chiite dont on craint qu’elle ne veuille exporter sa révolution.
La France joue soutient donc massivement l’Irak dans sa guerre. En septembre 1981, elle signe avec Saddam Hussein un contrat d’un montant équivalent à plus de 1,5 milliard d’euros et portant sur des centaines de véhicules blindés, des milliers de missiles antichars et antiaériens et même plus de 80 canons automoteurs de 155 mm, dont l’armée de Terre française n’est pas encore dotée. L’aviation irakienne dispose déjà de 90 avions de combat Mirage F1. On y ajoute 25 autres appareils en 1985. Entre temps, en octobre 1983 le porte-avions Clemenceau est venu prêter cinq avions Super-Etendard seuls à même de frapper les navires iraniens dans le Golfe avec leurs missiles AM-39 Exocet. Les quatre restants sont rendus à la France l’été 1985.
On peut difficilement imaginer à l’époque que cela passera inaperçu, mais on s’estime probablement protégé de toute action de la République islamique, dont on croît de toute façon le destin assez bref. C’est une erreur.
Il existe deux manières militaires d’agir, en séquence ou en cumul. Dans le premier cas on progresse par étapes vers l’objectif, dans le second on multiplie les actions ponctuelles jusqu’à faire émerger ce même objectif. Pour faire céder la France, l’Iran lance plusieurs campagnes cumulatives sans apparaître au grand jour grâce à des « sociétés écrans ».
La première zone d’action est le Liban où l’Iran s’associe la Syrie, également hostile localement à la France. En septembre 1981, l’ambassadeur de France au Liban est assassiné par une milice à la solde de la famille Assad. Surtout, les Occidentaux ont placé naïvement d’énormes cibles militaires au Liban avec les contingents de la FINUL et surtout, à partir de septembre 1982, de la Force multinationale de sécurité de Beyrouth. Syriens et Iraniens saisissent évidemment cette occasion facile et la FMSB est violemment attaquée, en particulier le 23 octobre 1983 lorsque 58 soldats français et 241 Américains sont tués en quelques minutes. La FMSB est repliée piteusement au printemps 1984. La France seule y a perdu 89 soldats. Le deuxième axe d’effort au Liban consiste à y faire capturer des otages par divers groupes locaux. Onze diplomates et journalistes français sont ainsi enlevés de 1985 à 1987. La seconde zone d’action est la capitale française où 14 attentats à la bombe sont organisés de décembre 1985 à septembre 1986, faisant 13 morts et plus de 300 blessés. Le réseau de Fouad Ali Saleh, à l’origine de ces attaques est démantelé en 1987. Ce réseau est lié au Hezbollah libanais, lui-même lié à l’Iran. Il n’est pas exclu non plus que l’assassinat en novembre 1986 de Georges Besse, ancien Président du directoire d’Eurodif, par le groupe Action directe ne soit également lié au conflit. Dans le golfe Arabo-Persique enfin, les Gardiens de la révolution islamique harcèlent les porte-conteneurs battant pavillon français puis tous les pétroliers à partir de 1986.
Cette offensive multiplie surprend la France qui se découvre à la fois vulnérable et sans véritable moyen d’action contre l’Iran, hors des attaques directes. La République des Mollahs n’apparaît pas au grand jour et ne peut donc pas fournir de prétexte flagrant à une guerre ouverte. Surtout, sans l’engagement américain, impossible dans le contexte de l’époque, les moyens militaires français seuls apparaissent d’un coup très limités et puis, si l’exécutif français de l’époque aime les montrer il répugne à les utiliser pour combattre. Le 7 novembre 1983, deux semaines après l’attaque du Drakkar à Beyrouth, le véhicule piégé (une jeep marquée « armée française ») destiné à faire exploser l’ambassade d’Iran à Beyrouth n’a pas fonctionné. Moins de deux ans avant le fiasco du Rainbow Warrior, la France ne sait visiblement plus très bien monter des opérations clandestines. Dix jours plus tard, le raid aéronaval lancé dans la plaine de la Bekaa a été une pantalonnade, le monde entier ou presque ayant été averti de l’attaque (par une source au ministère des Affaires étrangères semble-t-il).
Reste la gesticulation. Jacques Chirac, Premier ministre de cohabitation depuis 1986, lance deux « opérations de démonstration » après les attentats de Paris. La première est baptisée « Garde aux frontières » et consiste à déployer 2 000 soldats autour du territoire métropolitain en soutien des forces de police et de douane. Cette « opération anxiolytique », la première du genre, ne sert évidemment à rien sinon à « rassurer » et surtout à témoigner de l’activité de l’exécutif. Dans le même temps, 140 000 tonnes de navires sont envoyées dans le Golfe arabo-persique. Cette opération « Prométhée » est nettement plus utile que « Garde aux frontières » dans la mesure où elle permet de protéger les navires français, et même parfois neutres, des attaques iraniennes. Elle reste cependant là encore largement une opération de gesticulation. Les huit passages du groupe aéronaval dans le Golfe sont l’occasion de déclarations martiales du président de la République mais aucune frappe n’est jamais ordonnée.
En réalité, le gouvernement français avait déjà décidé de tout céder à l’Iran et peut-être même pour le Premier ministre de tirer un profit politique de la libération des otages peu de temps avant l’élection présidentielle de 1988. L’argent dû à l’Iran lui est rendu, ainsi que le personnel diplomatique inquiété après les attentats de Paris. Les otages au Liban sont libérés en échange. Il est alors mis fin aux opérations militaires de démonstration dont le but principal, et atteint, avait bien été de permettre un abandon plus facile derrière un masque de fermeté. Un traité définitif, équivalent à un traité de paix, est signé par la France et l’Iran en 1991.
Au bilan, la France s’est lancée dans une guerre de fait contre l’Iran avec une grande naïveté, y compris d’ailleurs dans l’espoir aussi que Saddam Hussein allait pouvoir financer toutes ses commandes (c’est le contribuable français qui assurera la différence aux entreprises). En réalité, l’Iran n’était pas, et n’est toujours pas, une menace pour la France, et ses exigences dans le cadre du contentieux Eurodif étaient somme toute assez légitimes. Cette guerre était donc inutile, sinon pour plaire à nos alliés américains et locaux, alors qu’il aurait été possible, à la manière russe, de se placer en intermédiaire diplomatique et double fournisseur. Il est vrai que nous avons un peu joué ce dernier rôle, puisque la France (comme les États-Unis d’ailleurs) a également livré des obus à l’Iran de 1982 à 1986, ce qui a permis de financer le Parti socialiste. À tout le moins, si on décide d’aller à la confrontation il faut anticiper les réactions de l’ennemi et donc au minimum le connaître, et s’en préserver autant que possible. Rien de tout cela n’a été fait sérieusement.
Extrait d'un ouvrage à venir sur la France en guerre ...
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