L'année dernière, 64 000 personnes sont mortes d'une overdose selon les autorités sanitaires américaines. Un record. C'est désormais la première cause de mortalité des moins de 50 ans. Et les principales drogues impliquées, ne sont ni la cocaïne ni l'héroïne mais des médicaments, plus précisément des opioïdes de synthèse. Les opioïdes, sont, à l’origine, comme leur nom l'indique, des molécules contenues dans l'opium. A côté de la plus célèbre, la morphine, il y a la codéine, et beaucoup moins connues, en France des versions comme l'oxycodone et le fentanyl. Toutes ont en commun d'agir sur la douleur mais aussi de provoquer une sorte de sensation d'apesanteur, de légèreté.. Un "shoot" massivement découvert par les étudiants américains ces 15 dernières années. Comme Joe, 21 ans. Dont les parents ont appris la mort en décembre 2009 par un coup de fil de la police.
"Nous avons dû le ramener à la maison dans un cercueil"
« Il a été trouvé dans sa chambre sur le campus de sa faculté, raconte sa mère April Rovero. Et nous avons finalement appris que la cause de son décès était dû l’association d’un comprimé de Xanax, d’un comprimé et demi d’oxycodone et il était juste au-dessus de la limite légale d’alcool autorisée pour conduire. Il avait consommé tout ça dans une fête de la faculté. Et au lieu de rentrer pour les vacances de Noël le lendemain comme prévu, nous avons dû le ramener à la maison dans un cercueil… »
Depuis, April Rovero a créé une association, la NCPDA pour informer sur ce fléau. Car rares sont les familles américaines dont les tiroirs ne contiennent aucun comprimé de xanax, un anxiolytique, d'oxycodone ou leurs cousins. Et leur association à l'alcool est presque à 100% mortelle. Car l'alcool et les anxiolytiques aggravent l'effet "secondaire" des opioïdes : l'atteinte des centres qui commandent la respiration au niveau du cerveau... Cet effet peut survenir avec une très forte dose d'opioïde sans aucune autre substance.
Une campagne de publicité massive des laboratoires pharmaceutiques
Cette menace à haute dose est d’autant plus réelle que ces produits entraînent souvent une accoutumance et une véritable dépendance. C'est-à-dire le besoin d’augmenter les quantités consommées et de ne pas pouvoir s’arrêter. Un "très haut risque" même, marqué par le placement des opioïdes en "classe 2", juste en-dessous de l'héroïne, leur cousine, le LSD ou l'ecstasy, dans l'échelle de la FDA, l'agence du médicament américaine. Elles sont donc normalement réservées à des conditions de prescription très contrôlées.
Mais ces cadres ont été contournés par plusieurs laboratoires pharmaceutiques. C'est le cas de Purdue Pharma. Ce laboratoire a mis au point en 1996 une nouvelle molécule d'oxycodone dont la durée d'action était assez longue pour en simplifier l'usage : l'Oxycontin. L'objectif : convaincre les médecins de la prescrire pour toutes les douleurs chroniques... Et leur campagne publicitaire fut massive. Avec notamment une vidéo distribuée en plusieurs milliers d'exemplaires dans les cabinets médicaux américains. On y voit 6 patients qui racontent à quel point leur vie a changé grâce à l'Oxycontin. Ils sont même suivis 2 ans après pour prouver que la peur de voir apparaître une addiction est infondée, grâce à l'action "lente" de la molécule pendant 12 heures selon le laboratoire.
L'Oxycontin contre les douleurs chroniques
Mais le PROP, un groupe de médecins oeuvrant pour une prescription responsable des opiodes, mené par le Dr Andreaw Kolodny, a retrouvé ces patients 15 ans plus tard... Enfin pas tous, puisque deux sont décédés. Parmi les survivants, il y a Lauren. Pour elle, c'est sûr, si elle est encore là pour en parler, c'est parce qu'elle a perdu son travail et donc la "mutuelle" qui remboursait son médicament. Mais l'arrêt du traitement a été véritablement infernal. Elle témoigne dans un document édifiant réalisé par le PROP qui associe à son récit des extraits de la publicité du laboratoire à l'époque (Purdue a été condamné en 2007 pour avoir désinformé les médecins à 634 millions de dollars d'amende).
Et Lauren est loin d'être la seule concernée... La campagne publicitaire a tellement bien fonctionné qu'en seulement 5 ans, de 1996 à 2001, les prescriptions sont passées de 300 000, à plus de 14 millions ! Il faut dire que certains visiteurs médicaux distribuaient même des coupons de traitement gratuit d'une semaine à un mois... Le problème, c'est que dans le même temps exactement, le nombre de morts à cause de l'oxycodone a été multiplié par 5. Et les spécialistes du traitement de la dépendance ont vu arriver de plus en plus de patients souffrant d'un abus d'opioïde. Avec en première ligne, les vétérans atteints de douleurs chroniques comme Justin Minyard qui a raconté sa terrible expérience devant le congrès. Le risque de mourir d'une overdose d'opioïde est deux fois plus important chez les vétérans que dans le reste de la population.
Deux millions d'Américains en danger de mort
Malheureusement, le 26 octobre, Donald Trump a "seulement" déclaré qu'il s'agissait d'une urgence de santé publique et non d'une urgence nationale pour débloquer des fonds fédéraux et mettre en place les mesures nécessaires. Aujourd'hui, au moins deux millions d'Américains sont dépendants et en danger de mort. Le Dr Jane Ballantyne, spécialiste de la douleur déjà confrontée à des patients concernés, est inquiète. "Il est très difficile de les sortir de cette addiction, explique-t-elle. Ils sont terrifiés à l'idée d'être à nouveau confrontés à leur souffrance initiale. Et puis le sevrage peut être lui-même très douloureux". Accompagner ces personnes va donc souvent exiger la mise en place de traitements de substitution comme la méthadone. Sauf que leur remboursement est rarement accepté par les assurances et que les compétences médicales manquent.
Il faudrait donc des milliards de dollars pour former suffisamment de médecins et financer l'accès aux médicaments. Une urgence renforcée par toute l’actualité qui condamne enfin les abus d'opioïdes.. Car en plus de la déclaration de Donald Trump, ils sont presque tous les jours à la une avec l'arrestation d'un directeur de laboratoire pharmaceutique corrompu la semaine dernière par exemple. Le risque, c'est que les médecins paniquent et arrêtent brutalement de renouveler leurs ordonnances. S'ils n'accompagnent pas leurs patients avec une substitution, ceux-ci vont sans doute chercher leur dose auprès des trafiquants.
Car de vraies et de fausses pilules d'oxycodone sont au coeur d'un commerce clandestin massif. Il y a aussi beaucoup de trafic de fentanyl, dont vous avez peut-être entendu parler à cause de la mort de Prince en avril 2016. Cette molécule est encore plus puissante mais très facile à fabriquer. C'est maintenant la principale cause de décès par opioïdes aux Etats-Unis...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.