26 avril 2019

Les émotions sont contagieuses


Elles s'attraperaient plus rapidement qu'un virus, les émotions sont contagieuses, affirme Christophe Haag, chercheur en psychologie sociale, professeur à l'emLyon Business School qui publie son cinquième ouvrage, La Contagion émotionnelle, aux éditions Albin Michel. Sciences et Avenir l'a rencontré.

Sciences et Avenir : Votre livre est bâti autour de plusieurs témoignages extrêmes (astronaute, trader, négociateur du RAID, rescapés de catastrophes) enrichis par des “focus” scientifiques. Quel est le rapport avec notre quotidien ?

Christophe Haag : Ma démarche a été d'étudier les contextes extrêmes pour mieux comprendre notre quotidien. L'étude des situations anormales — ce qu'on appelle la “tératologie” — forme une espèce de loupe grossissante qui révèle de manière flagrante les contagions émotionnelles qui se produisent de manière beaucoup plus subtile dans la vie de tous les jours. Étudier la nuit pour comprendre le jour, en somme.

Qu'est-ce que la contagion émotionnelle ?

C'est un transfert d'émotions d'un individu à l'autre, une sorte d'onde qui peut, de proche en proche, toucher l'humanité entière. On peut le comparer à la contagion par un virus qui agit en quelques millièmes de seconde. Lors d'une rencontre avec quelqu'un, par exemple, on a tendance à adopter automatiquement ses expressions, ses comportements saillants (faciès, tonalité de voix, posture, langage corporel…). Ce mimétisme, immédiat, inconscient et automatique est une composante fondamentale des rapports humains. Selon la chercheuse Elaine Hatfield, professeure de psychologie de l'université de Hawaii (États-Unis), la contagion émotionnelle “primitive” a un rôle “adaptatif et fonctionnel” qui favorise la proximité sociale dans l'espèce humaine.

Que se passe-t-il alors dans notre cerveau ?

Notre cerveau possède (cela a été mis en évidence chez le primate non humain dans les années 1990 et plus tard chez l'humain en 2010) des neurones " miroirs " qui, en quelque sorte, photographient l'action de l'autre et l'imite. Si un ami est triste, nos neurones miroirs nous permettent d'imiter inconsciemment ses expressions de tristesse. Et cette manifestation corporelle va provoquer la même émotion dans notre cerveau limbique. Cela peut se faire à distance. Prenez par exemple l'incendie de Notre-Dame de Paris. Regarder à la télévision les images montrant des gens en pleurs ou très émus nous a rendus tristes, dans une grand vague d'émotion générale, dans le monde entier.

Quel est l'intérêt évolutif de ce phénomène ?

On peut aisément supposer que lorsque nos ancêtres préhistoriques se faisaient attaquer par un animal sauvage, être contaminé par la peur du danger était une garantie de survie pour le groupe. Aujourd'hui, la peur du prédateur est moins prégnante mais l'insécurité psychique demeure. L'évolution a donc vraisemblablement conservé ce trait car il permet la socialisation entre individus, ce qui apporte la sécurité, la cohésion, la coopération, nécessaires à l'être humain pour sa survie.

Quelles sont les émotions les plus contagieuses ?

Comme disait le psychologue Rick Hanson, le cerveau agit sur les émotions négatives comme du Velcro et sur les émotions positives comme du Téflon. Autrement dit, les émotions négatives sont beaucoup plus contagieuses que les positives et elles s'ancrent de manière plus durable. La contagion d'émotions négatives peut être — nous l'avons vu — un facteur de survie. Mais jusqu'à un certain point. Dans mon précédent ouvrage, je montrais que neuf peurs sur dix ne sont pas liées à une cause réelle. Nous nous inquiétons pour des choses qui n'ont pas lieu d'être. Or à force d'être contaminé par des peurs, angoisses inutiles, cela peut engendrer de la colère, de l'irritabilité, mais aussi de l'hypertension, de l'hyperglycémie, du stress, des maux de ventre, de l'eczéma, des troubles psychosomatiques, des troubles du sommeil, des troubles alimentaires, une dépression... On peut donc être contaminés par des émotions qui ne jouent plus leur rôle adaptatif, qui sont dysfonctionnelles, trop intenses. Face à cela on parle de contagion négative.

Vit-on actuellement une vague de contagion négative ?

Nous traversons ce que j'appelle un “hum” (trop-plein) émotionnel négatif. Il est dû à plusieurs facteurs parmi lesquels l'hyperconnexion. Les nouvelles technologies mobiles nous permettent de vivre en direct et sans recul les grandes émotions de ce monde. Cet excès d'informations émotionnelles provoque une “sur-émotionnalité” et en outre une angoissante “peur de manquer”. Sans parler des réseaux sociaux, grâce auxquels on se connecte à une multitude d'individus avec qui on échange une multitude d'émotions de base (avec des émoticones !) en permanence, ce qui provoque une myriade de contagions quotidiennes. Tout cela créé le hum émotionnel négatif dont je parle, véritable dérèglement émotionnel général.

La faute aux nouvelles technologies donc ?

Pas seulement. Le phénomène est aggravé par l'urbanisation qui nous coupe de la nature. Or, comme je le montre dans le livre, être au contact de la nature (végétaux et animaux ) réduit le stress, l'anxiété, la colère, l'hyperactivité, les douleurs, les maux de têtes, la tension artérielle, etc. Par exemple, une étude menée sur les habitants de Londres a révélé que les habitants qui vivent dans les rues les plus verdoyantes consomment moins d'antidépresseurs.

Comment repérer les symptômes d'une contagion négative ?

Un moral bas, des angoisses chroniques, une immunité affaiblie (on attrape tout ce qui passe) sont des signes assez visibles d'une contamination d'émotions toxiques. Pour se décontaminer on peut revoir son hygiène de vie et mettre en place des stratégies comme la déconnexion d'Internet de temps en temps, et se reconnecter à la nature. C'est aussi se retourner vers des valeurs refuge, la famille, les amis. Dans cet ouvrage ma consœur Moira Mikolajczak, docteure en psychologie et professeure à l'Université catholique de Louvain (Belgique), propose ainsi des “sas de décontamination” en plusieurs étapes, pour comprendre l'origine de la contamination et s'en défaire.

Qu'avez-vous voulu faire passer comme message ?

Montrer qu'on peut se décontaminer, pour ne plus constamment broyer du noir en subissant les émotions toxiques. Il faut travailler sur nos sas de décontaminations et ainsi engendrer une contagion émotionnelle positive. Enfin. 

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