Un si petit prétoire pour un si grand dilemme: une juge des référés du tribunal administratif de Paris a examiné, seule, mardi, les requêtes déposées par deux femmes de djihadistes. Détenues dans le camp syrien de Roj, en zone kurde, elles entendent enjoindre à l'État français de les rapatrier avec leurs enfants. Ces derniers, au nombre de six, sont âgés de 1 an à 8 ans.
Les avocats des requérantes, Mes William Bourdon et Vincent Brengarth, souhaitent convaincre la présidente qu'il s'agit d'une problématique strictement juridique et qu'elle est compétente pour l'examiner, argument qui sera contesté par la représentante du ministère des Affaires étrangères. «Nous sommes devant la chronique de la mort annoncée d'enfants français en bas âge, otages d'un cynisme d'État», affirme Me Bourdon, qui en appelle au «bouclier du juge».
«Ainsi, les enfants de terroristes deviennent responsables de leurs géniteurs»
Me Bourdon
L'avocat déplore que, selon un sondage, seulement un Français sur trois soit favorable au rapatriement des enfants de djihadistes: «Ainsi, les enfants de terroristes deviennent responsables de leurs géniteurs», ironise-t-il avant de s'en prendre aux autorités politiques: «On ne veut pas dire à nos compatriotes qu'il existe une obligation juridique de les faire revenir en France. On cherche à tout prix à “déjuridiciser” la décision: cette position est archaïque et obsolète.»
Son confrère et lui énumèrent, au soutien de leur argumentation, différentes jurisprudences ainsi que la Déclaration des droits de l'enfant. Celle-ci dispose notamment que «l'enfant doit bénéficier d'une protection spéciale et se voir accorder des possibilités et des facilités par l'effet de la loi et par d'autres moyens, afin d'être en mesure de se développer d'une façon saine et normale sur le plan physique, intellectuel, moral, spirituel et social, dans des conditions de liberté et de dignité». Me Brengarth souligne que «si tant est qu'elles existent, les juridictions kurdes n'ont pas la capacité de juger nos ressortissants, car la qualification d'association de malfaiteurs à caractère terroriste n'existe pas dans leur législation».
Une immixtion illégale
Mais la représentante du Quai d'Orsay soutient, elle, l'incompétence du tribunal, au motif que la question soulevée «n'est pas détachable de la conduite des relations internationales de la France», ainsi que l'a déjà jugé la juridiction administrative, saisie une première fois de ces requêtes en décembre. Un arrêt postérieur du Conseil constitutionnel consacrant «l'exigence constitutionnelle de protection de l'intérêt de l'enfant» a encouragé les requérants à saisir à nouveau le tribunal.
Le ministère ne veut toutefois pas passer pour une entité dépourvue de cœur et rappelle que, les 15 et 27 mars derniers, cinq orphelins et une fillette de 5 ans privée de ses parents ont été rapatriés
«Les opérations de rapatriement, poursuit la juriste, impliquent une recherche préalable d'accord avec les autorités locales qui ont le contrôle de nos ressortissants. Le juge administratif ne saurait ordonner à l'État un tel rapatriement sans lui enjoindre aussi de dialoguer et de négocier avec les autorités locales.» Un tel jugement constituerait donc bien, d'après elle, une immixtion illégale.
Le ministère ne veut toutefois pas passer pour une entité dépourvue de cœur et rappelle que, les 15 et 27 mars derniers, cinq orphelins et une fillette de 5 ans privée de ses parents ont été rapatriés en vertu de la doctrine du «cas par cas» qui prend également en compte le contexte humanitaire. Mais, d'une manière générale, la France refuse de faire revenir sur son sol les djihadistes affiliés à Daech et leurs épouses.
Au terme d'une heure de débats, la présidente prend la parole: «Je n'exclus pas de renvoyer ces affaires devant une juridiction collégiale», annonce-t-elle. Il est donc possible qu'une nouvelle audience ait lieu très rapidement - procédure de référé oblige - devant trois magistrats. Ce qui semblerait davantage en adéquation avec l'ampleur des questions soulevées, et les conséquences potentielles de la décision à venir.
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