13 mars 2019

Rapatriement des terroristes européens depuis la Syrie

Des hommes ayant fui les territoires tenus par l’EI attendent leur interrogatoire par l’armée kurde

Trump veut que les alliés otaniens des US rapatrient leurs ressortissants capturés au cours des opérations anti-terroristes menées par les mandataires des USA. Ils pourront alors être jugés ou réintégrés à la société, au choix de chaque pays. 

Cette exigence fait l’objet d’une forte levée de boucliers de la part de ces pays, qui craignent les réactions de leurs populations à voir l’argent du contribuable dépensé à cela, alors qu’il ne coûterait rien de les laisser croupir au Moyen-Orient jusqu’à la fin de leurs jours. Le sentiment populiste croissant sur le continent européen complique la tâche aux gouvernements, et même aux plus euro-libéraux d’entre eux comme en Allemagne, dans la mise en pratique de leurs principes infamants, chose dont les USA sont bien conscients et qu’ils exploitent à des fins politiques.

Toute rhétorique « droit-de-l’hommiste », de « liberté » ou de « justice » mise à part, les USA et leurs alliés régionaux pourraient facilement tuer les suspects de terrorisme, ou les garder prisonniers ad vitam æternam dans une quelconque forteresse au cœur du désert, mais Trump tient à mener tambour battant son opération de « légitimité démocratique », en donnant à ces suspects une « chance équitable » pour l’avenir, consistant à laisser leur gouvernement statuer sur leur sort. Faute de quoi, il a funestement fait allusion sur Twitter à une possible libération de ces suspects de leur emprisonnement, et à la possibilité qu’ils s’« infiltrent en Europe » – de quoi mettre l’Union Européenne face à un dilemme sans précédent : ou bien elle souscrit aux exigences de Trump, en opposition avec le sentiment populiste de ses habitants, ou bien elle met en risque la sécurité de ses habitants en laissant les USA libérer ces suspects, ce qui lève le risque de voir mener des attentats terroristes dans leurs pays d’origine dans quelque temps.

Il s’agit d’un scénario perdant sur tous les tableaux pour l’UE, qui se voit ainsi manipulée dans les grandes longueurs par Trump : une revanche pour lui avoir résisté au cours des deux années écoulées. Le Président connaît parfaitement la terrible réputation de son pays à l’étranger, et se fiche souverainement de se voir cyniquement accusé de laisser des terroristes rentrer en Europe. Il pourra toujours jouer l’ingénu, en affirmant que les USA ne contrôlent pas pleinement leurs mandataires en Syrie, et n’ont donc pas la main sur le sort de ces prisonniers, et que les USA n’ont pas les moyens d’assurer la garde de ces prisonniers sans limite de temps. En fin de compte, les USA indiquent tout simplement que le sort de ces combattants n’est plus leur problème et ne relève plus de leur responsabilité, et que l’Union Européenne peut agir de manière responsable en les rapatriant, ou attendre qu’ils reviennent d’eux-mêmes si elle ne prend pas cette responsabilité.

Dans tous les cas, les USA encouragent ici indirectement la montée du sentiment populiste anti-gouvernemental en Europe, à quelques mois des élections du Parlement européen en mai 2019 ; la stratégie est ici de peser dans l’équilibre politique du continent, en favorisant les mouvances euro-réalistes montantes en Europe du Sud et du Centre, au détriment des euro-libéraux encore au pouvoir en Europe occidentale. Coïncidence du calendrier, cette demande de rapatriement des terroristes est très propice à peser sur ces élections, mais les USA ont bel et bien l’intention de l’exploiter comme arme à leurs propres fins. Comme le dit le proverbe, « quand on veut, on peut », et Trump prouve ici qu’il ne reculera pas pour obtenir sa revanche de l’UE d’avoir refusé ses politiques commerciales et de sécurité, quand bien même cela faciliterait le retour de terroristes sur le continent.

Le présent article constitue une retranscription partielle de l’émission radiophonique context countdown, diffusée sur Sputnik News le 22 février 2019.

Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.

Traduit par Vincent pour le Saker Francophone

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