Pendant ce temps, à Washington DC, le président Donald Trump s’est encore vanté que l’option militaire était toujours sur la table lors de sa conférence de presse avec son homologue brésilien Jair Bolsonaro. Trump bluffe ou n’est pas pressé de se mettre au courant de la ligne rouge tracée par la Russie.
La rencontre dans la capitale italienne entre l’envoyé spécial des États-Unis pour les affaires vénézuéliennes, Elliot Abrams, et le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergei Ryabkov, avait un caractère d’urgence dans son arrangement. Le département d’État américain a annoncé le tête-à-tête seulement trois jours à l’avance. Les deux responsables auraient également tenu leurs discussions de deux heures dans un hôtel de Rome, un lieu indiquant un arrangement ad hoc.
Abrams n’est pas un diplomate ordinaire. Spécialiste du changement de régime, il a un casier judiciaire pour avoir parrainé des opérations terroristes, en particulier la tristement célèbre affaire Iran-Contra visant à déstabiliser le Nicaragua dans les années 1980. Sa nomination par le président Trump au « dossier du Venezuela » ne fait que souligner l’intention sérieuse de Washington de changer le régime à Caracas. Que cela se passe comme prévu est une autre affaire.
L’interlocuteur moscovite, Sergei Ryabkov, est connu pour ne pas mâcher ses mots, après avoir déjà reproché à Washington de rechercher la domination militaire mondiale. Il appelle un chat un chat, et vraisemblablement un criminel, un criminel.
La rencontre à Rome cette semaine a été qualifiée de « franche » et de « sérieuse » – ce qui est un code diplomatique pour un échange enflammé. Le moment est bien choisi, après que le Venezuela a été plongé dans le chaos la semaine dernière à la suite de pannes massives d’électricité qui ont été imputées par de nombreux observateurs, y compris le Kremlin, au cyber sabotage américain. Les coupures de courant ont suivi une tentative infructueuse de Washington d’organiser une provocation avec l’armée vénézuélienne sur des livraisons d’aide humanitaire le mois dernier via la Colombie voisine.
Le fait que les efforts de Washington pour renverser le président élu Nicolas Maduro aient échoué jusqu’à présent pourrait laisser penser que les Américains intensifient leur campagne de déstabilisation du pays dans le but d’installer la figure de l’opposition soutenue par les États-Unis, Juan Guaido. Il s’est déclaré « président par intérim » en janvier avec l’imprimatur de Washington.
Étant donné que les coupures de courant à l’échelle nationale ont échoué à provoquer une révolte de la population civile ou de l’armée contre Maduro, la prochaine option qui tenterait Washington pourrait être la solution militaire.
Il semble significatif que Washington ait récemment évacué ses derniers diplomates du pays sud-américain. Le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, a commenté l’évacuation en déclarant que la présence de personnel américain sur le terrain « limitait » le champ d’action de Washington. De plus, American Airlines aurait cessé toutes ses activités au Venezuela la semaine dernière. Encore une fois, suggérant que les États-Unis envisageaient une intervention militaire, soit directement avec leurs troupes, soit de manière secrète en armant des mercenaires locaux. Cette dernière option tombe certainement dans les attributions d’Abrams.
Après la réunion de Rome, Ryabkov a déclaré sans ambages : « Nous supposons que Washington prend nos priorités aux sérieux, ainsi que notre approche et nos avertissements. »
Selon l’une des mises en garde lancées par Ryabkov, aucune intervention militaire américaine au Venezuela ne sera tolérée par Moscou.
Pour sa part, Abrams avait l’air de sortir de la réunion après avoir été sévèrement réprimandé. « Non, nous ne sommes pas arrivés à une entente, mais je pense que les discussions ont été positives en ce sens que les deux parties ont émergé avec une meilleure compréhension des points de vue de l’autre », a-t-il déclaré à la presse.
« Une meilleure compréhension des points de vue de l’autre » signifie que la partie américaine s’est fait tracer une ligne rouge à ne pas dépasser.
L’arrogance des Américains est stupéfiante. Selon les reportages américains, Abrams semble s’être rendu à Rome dans l’espoir de trouver avec Ryabkov une « transition » ou un « compromis » sur celui auquel sera attribué le titre de « président » du Venezuela.
C’est ce qu’il voulait sans doute dire lorsqu’il a déclaré après la réunion « qu’il n’y avait pas convergence de vues », mais qu’il avait « une meilleure compréhension » de la position de la Russie.
Le stratagème de Washington est une reprise de la Syrie. Au cours des huit années de guerre dans ce pays, les États-Unis ont continuellement réclamé une « transition politique » qui aboutirait à la démission du président Bashar al Assad. En revanche, la position inébranlable de la Russie à l’égard de la Syrie a toujours été qu’aucun pouvoir extérieur ne devait décider de la politique du pays. Il appartient au peuple syrien de décider de manière autonome.
Près de trois ans après l’intervention militaire de la Russie en Syrie pour sauver le pays arabe d’une guerre clandestinement soutenue par les États-Unis pour un changement de régime, la partie américaine a manifestement renoncé à sa demande impérieuse initiale pour une « transition politique ». Le principe de la souveraineté syrienne a prévalu, en grande partie à cause de la défense incisive par la Russie de son allié arabe.
De même, Washington, dans son arrogance incorrigible, tire une autre leçon de la Russie – cette fois-ci dans sa propre « arrière-cour » présumée de l’Amérique latine.
Il n’est pas question que la Russie soit entraînée par les stratèges du changement de régime à Washington dans des discussions pour savoir qui devrait être président du Venezuela et « comment nous pouvons gérer une transition ». Moscou a répété à maintes reprises que le président légitime du Venezuela est Nicolas Maduro, pour lequel le peuple a voté l’année dernière à une écrasante majorité lors d’élections libres et équitables, bien que boycottées par l’opposition orchestrée par les États-Unis.
Le cadre que Washington tente de définir entre le « président par intérim » souhaité et le président sortant Maduro est totalement spécieux et infondé. Il n’est même pas digne d’être débattu, car c’est une violation flagrante de la souveraineté du Venezuela. Qui est Washington pour oser même essayer d’imposer son faux choix ?
En ce qui concerne le Venezuela, la Russie doit rappeler – encore une fois – aux dirigeants criminels américains le droit international et le respect de la souveraineté nationale, comme Moscou l’avait précédemment fait à propos de la Syrie.
Et au cas où Washington s’emballerait et tenterait l’option militaire, Moscou a déclaré cette semaine à Abrams, homme de main du changement de régime, que c’était une ligne rouge. Si Washington a encore un minimum de raison, son fiasco syrien lui dira que le Venezuela est protégé par la Russie.
La force politique est hors de question, la force militaire aussi. Il faut respecter le droit international et la souveraineté du Venezuela. C’est l’ultimatum éminemment raisonnable de la Russie à Washington.
Maintenant, les Américains désespérés pourraient toujours essayer plus de sabotages, cyber ou financier. Mais leurs options sont limitées, contrairement à ce que pense Trump.
Maintenant, les jours des fanfarons impérialistes américains sont comptés. Il fut un temps où il pouvaient saccager toute l’Amérique latine. Cette époque est à l’évidence révolue. Grâce, en partie, à la position mondiale et à la puissance militaire de la Russie.
Finian Cunningham
Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker Francphone
Note du Saker Francophone
L'attitude russe au Venezuela contre la tentative de guerre hybride menée par les US est une conséquence directe de la récente décision russe de confier au ministère de la guerre la responsabilité de la gestion de ce genre de guerre.
Désormais la Russie considère les guerres hybrides, changements de régime, sanctions économiques etc. comme des actes de guerre purs et simples et réagit en conséquence.
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