Sous la pression, Luc Lemonnier a décidé d'abandonner ses mandats de maire et de président de l'agglomération du Havre, jeudi 21 mars. France Bleu Normandie et la cellule investigation de Radio France s'apprêtaient à publier plusieurs récits de femmes qui l'accusent de comportements déplacés. Le successeur d'Edouard Philippe leur aurait envoyé des photos de lui à caractère pornographique.
La première femme choquée par ces photos est une quadragénaire havraise, catholique pratiquante. Au début des années 2000, ses enfants fréquentent le même établissement privé que ceux de Luc Lemonnier. Elise* et son compagnon sympathisent avec le couple Lemonnier. Le futur maire du Havre est même invité au mariage d'Elise en 2005. Six ans plus tard, Elise reçoit quatre clichés pornographiques sur son téléphone portable. En ce soir de 2011, elle peut y voir Luc Lemonnier dans des positions très suggestives. "Je n'ai pas compris pourquoi il m'envoyait ces photos dégoûtantes, raconte Elise. Il m'a dit qu'il voulait me montrer qu'il était ouvert pour toutes propositions."
La quadragénaire est sous le choc. Elle affirme qu'il n'y a eu aucun jeu de séduction avec Luc Lemonnier, aucune ambiguïté possible : "Voir le sexe d'un homme en gros plan… Je me suis sentie salie, souillée." Lorsqu'il envoie ces clichés, Luc Lemonnier est déjà élu dans la majorité municipale d'Edouard Philippe. "Je suis peut-être naïve, dit aujourd'hui Elise, mais, pour moi, un homme politique qui a une certaine notoriété doit avoir une ligne de conduite. Ça m'a vraiment dégoûtée !"
En 2014, quand ils s'aperçoivent que Luc Lemonnier est en bonne place sur la liste d'Edouard Philippe aux municipales, Elise et son mari décident de transmettre ces clichés pornographiques à des colistiers de Luc Lemonnier pour les mettre en garde. L'une des élues destinataires des photos écrit alors au procureur. Le couple aurait alors été convoqué par le parquet du Havre, sans qu'il y ait de suites judiciaires pour autant.
C'est sensiblement la même histoire qui se répète quelques années plus tard. Sophie*, une mère de famille havraise engagée en politique, reçoit sur son téléphone une photo de l'actuel maire. Un "selfie" où l'on voit Luc Lemonnier, le sexe en érection. "Pour moi, ça a été un viol, explique Sophie. Je suis mariée depuis plus de 20 ans. J'ai des enfants, je suis épanouie dans ma vie de couple, on se connaissait depuis longtemps [avec Luc Lemonnier]. J'ai été choquée !" La Havraise prétend qu'elle a demandé à l'élu, à plusieurs reprises, d'arrêter de lui envoyer de telles photos. Elle aurait tout de même reçu une dizaines de clichés.
En 2018, Sophie décide à son tour d'envoyer ces clichés à des élus de la majorité municipale. Cette fois, c'est le maire Luc Lemonnier qui dépose plainte le 31 mai pour avoir diffusé ces clichés intimes sans autorisation. À l'issue d'une enquête préliminaire menée par le SRPJ de Rouen, Sophie a écopé, le 18 mars 2019, d'un rappel à la loi par le procureur du Havre.
Mais si l'enquête a été classée sur le plan judiciaire, nos investigations journalistiques entamées il y a plusieurs semaines révèlent que d'autres femmes auraient reçu des clichés pornographiques de la part de Luc Lemonnier. Une femme, qui a des responsabilités dans une collectivité normande, raconte que l'élu lui a envoyé en 2014 – alors qu'il était le premier adjoint d'Edouard Philippe - une photo de son sexe alors qu'elle n'avait rien demandé.
Nous avons également rencontré Mikaëla* qui nous a raconté, comment, elle aussi, avait reçu des "selfies" nus de Luc Lemonnier. Cette mère de famille est entrée en contact avec le maire du Havre fin juin 2018. À l'époque, elle venait de perdre son fils, mort des suites d'une longue maladie. Elle se trouvait dans une situation financière précaire. Elle le sollicite, via sa messagerie Facebook, en raison de problèmes avec le bailleur social de la ville. L'élu et la jeune femme vont alors échanger quelques messages.
Le 13 juillet, en pleine nuit, elle le contacte. Alors qu'elle lui explique qu'elle recherche un emploi, l'élu lui répond : "Je vais voir si je peux faire quelque chose", en ajoutant, "appelez-moi Luc". Après quelques échanges, et avoir expliqué qu'il était au lit, Luc Lemonnier envoie une série de selfies de lui, nu. La conversation prend alors un tour érotique. Mikaëla ne s'en offusque pas ce soir-là, et ses réponses, que nous avons lues, semblent montrer qu'elle était consentante. Mais la conversation s'interrompt brutalement. Mikaëla raconte : "J'étais sous antidépresseurs, je sortais de l'hôpital, en fait, je me suis laissée faire. J'ai marché dans son plan, puis je me suis sentie très mal. Moi, je voulais de l'aide, pas des photos de nu. J'ai pris ça comme un coup de couteau."
Certaines femmes que nous avons rencontrées n'excluent pas de saisir la justice. Quelle qualification pénale pourrait alors revêtir leurs plaintes puisqu'elles disent ne pas avoir été consentantes ? L'envoi de photos pornographiques sans le consentement du destinataire peut s'apparenter à du harcèlement sexuel, estime l'avocat Eric Morain. Ces clichés sont "offensants", "imposés à la personne qui n'a nullement envie de les recevoir", explique le pénaliste. "On considère aussi que le harcèlement est aggravé quand il est commis par une personne qui abuse de l'autorité que lui confère ses fonctions".
Interrogé le 19 mars 2019, après la publication du témoignage de Sophie*, Luc Lemonnier s'était défendu, par la voie de son avocat, expliquant que des photos avaient été envoyées "dans le cadre de communications virtuelles exclusives de toute contrainte et entre adultes consentants". Sollicité jeudi 21 mars sur les nouveaux témoignages que nous avons recueillis, Luc Lemonnier n'a pas répondu à nos questions précises. Dans la soirée, il a annoncé sa démission dans un communiqué, "en raison de la nécessité de protéger (s)a famille et (s)es proches"
Sous couvert d'anonymat, de nombreux élus normands nous ont confié qu'ils savaient depuis longtemps que ces clichés pornographiques avaient été envoyés à des femmes par le maire du Havre. "C'était un secret de polichinelle", nous dit un élu de premier plan à la région Normandie. Une ancienne élue de la mairie raconte : "J'ai coupé nos relations pourtant très fortes il y a plusieurs mois, quand j'ai été informée du phénomène. Je n'ai pas été destinataire des photos, mais je me suis rendue compte qu'elles avaient été envoyées à plusieurs dizaines de femmes."
En revanche, tous les actuels adjoints ou conseillers de la majorité que nous avons contactés nous ont adressé une fin de non-recevoir, parfois en termes assez brutaux. "Certaines élues ont reçu les photos, mais ont préféré se taire, explique sous couvert d'anonymat une employée de la mairie. Certaines par peur de perdre leur fonction, d'autres parce qu'elles l'avaient caché à leurs proches... D'autres encore par peur de représailles et parce qu'elles étaient dans des situations fragiles." Une ancienne salariée nous a expliqué avoir quitté son emploi notamment en raison "de l'ambiance hyper-sexualisée" qui régnait à l'hôtel de ville.
Dans ce contexte, quel pouvait être le niveau de connaissance qu'avait Edouard Philippe des agissements de l'homme qui lui a succédé dans le fauteuil de maire en mai 2017 ? "Je n'ignore rien de ce qui se passe au Havre", disait en février le Premier ministre à la presse locale. Une chose est certaine, la démission de Luc Lemonnier a probablement été la conséquence d'un discret voyage d'Edouard Philippe dans son ancienne mairie, jeudi matin. Matignon confirme que les deux hommes se sont vus et ont évoqué l'affaire qui menaçait d'éclater au grand jour. D'après nos informations Edouard Philippe a expliqué à son successeur que la situation n'était plus tenable. Quelques heures plus tard, Luc Lemonnier démissionnait. Dans un communiqué diffusé dans la soirée, Edouard Philippe expliquait "prendre acte" de la démission de Luc Lemonnier. Avec pour seul commentaire : "C'est une décision responsable".
* Son prénom a été modifié.
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