16 mars 2019

1789 - 2019 : un seul tyran, le Fisc !


Il est toujours hasardeux de comparer des événements historiques quand ils sont éloignés dans le temps, 230 ans en l’occurrence. Et pourtant il y a bien des points de ressemblance entre la Révolution de 1789 et le mouvement des Gilets jaunes. De même qu’il y en a, au moins dans les grandes lignes, entre les révoltes populaires Gilets jaunes et celle d’Algérie en raison de la similitude des stratégies des chefs d’État – Bouteflika et Macron – pour tenter de se tirer du mauvais pas dans lequel ils se trouvent.

Louis XVI : Cahiers de doléances, États généraux, récupération par l’élite révolutionnaire => Terreur

Louis XVI organise, en ce début d’année 1789, une gigantesque consultation populaire. Elle produit environ 60 000 « Cahiers de doléances » (pour 28 millions d’habitants). Les demandes étaient souvent incohérentes ou irréalistes, mais les grandes lignes en sont : Plus qu’au chef de l’État (le roi, que le peuple aime et respecte), c’est l’élite qui cristallise la colère, ministres et intendants qualifiés de « despotes« , « Vos peuples livrés à des despotes se réfugient en foule au pied de votre trône… », à sa médiocrité « la noblesse ne doit plus être créée par une charge achetée mais seulement par son courage…« , les évêques « … dont il n’est pas sans exemple que la science soit médiocre« .

Et surtout « Un seul et véritable tyran, le FISC, qui s’occupe jour et nuit à enlever l’or de la couronne, l’argent des crosses, l’acier des épées, l’hermine des robes, le cuivre des comptoirs, le fer des charrues » (1). Les cahiers de doléances sont suivis d’Etats généraux qui doivent en faire la synthèse et en tirer des conclusions exploitables par le pouvoir. L’Histoire a montré que cela n’avait pas été un succès pour Louis XVI… l’élite révolutionnaire ayant pris le pouvoir !


Autre fait à prendre en compte, le long temps nécessaire à la concrétisation du mouvement révolutionnaire : Il commence le 28 juin 1788 avec la « journée des tuiles » à Grenoble (2), est suivi par de brefs mouvements sporadiques dans toute la France, réprimés d’abord durement par l’Armée, puis de plus en plus mollement jusqu’au ralliement quasi général des forces de l’ordre à la Révolution. Treize mois plus tard, en juillet 1789, la prise de la Bastille. Le 21 juin 1791, trois ans plus tard, la « fuite » de Varennes.

L’élite révolutionnaire tue alors le roi « bienaimé » du peuple, un peuple qu’elle asservit alors par la Terreur.
 
Les gilets jaunes ne sont qu’au début du processus révolutionnaire

Le mouvement Gilets jaunes a commencé il y a quatre mois seulement par une révolte fiscale : « le seul tyran… c’est la taxe sur les carburants« . Il a déjà connu deux accalmies avec une reprise entre les deux, mais malgré les déclarations méthode Coué du ministre de l’Intérieur, rien ne dit qu’il ne va pas continuer.

Car Macron a repris la stratégie du roi : d’abord des cahiers de revendication qui, peu nombreux au regard de 68 millions de Français, n’ont pas donné grand-chose d’exploitable, sinon la manifestation d’un grand mécontentement des Français pour la fiscalité et leurs élites, incapables de sortir le pays de la misère économique, comme en 1789. Les revendications ont été canalisées et transformées en un « vrai-faux Grand débat » dont les règles contraignantes imposées par le pouvoir et la participation du Président ont transformé les débats avec des maires (choisis le plus souvent LREM) en campagne électorale personnelle (3). Plus personne au sein de l’exécutif ne semble y voir plus clair sur ce que souhaitent les Français. « À ce stade, tout est en réflexion… Il n’y a aucun élément arrêté » dit-on à l’Élysée pour tenter de cacher l’échec.

Pour le moment, la révolte fiscale semble oubliée

Oubliée la révolte fiscale, oubliée la demande de Macron « Quels impôts faut-il à vos yeux baisser en priorité, Quelles sont les économies qui vous semblent prioritaires à faire ? »

Faute de propositions cohérentes du « petit peuple » des gilets jaunes, quasiment toutes les propositions ont été formulées par les maires convoqués par le pouvoir au Grand débat et les élites communales dans des réclamations écrites. Elles ont fait ce qu’avaient fait les « robins » en 1789 : substituer aux demandes du peuple celles qui leurs conviennent pour leur maintien au pouvoir. Elles se traduiront (si elles sont suivies) par une augmentation générale des impôts : rétablissement de la taxe carbone, de l’ISF, alourdissement des droits de succession, suppression des niches fiscales (à l’exception de celles dont bénéficient les élus), création d’un nouvel impôt sur le revenu – faible – mais qui toucherait tous les revenus même les plus bas, etc.

Des propositions pour réduire sévèrement la dépense publique ? Pas question !

Diminuer les effectifs pléthoriques de fonctionnaires dans les ministères (4 millions en Allemagne pour 80 millions d’habitants, 5,8 millions en France pour 65 millions) ? Pas question !
Il ne s’agit pas du tout comme veulent nous le faire croire le président et les ministres, de supprimer infirmières, juges, agents de police, pompiers, médecins, etc. mais de supprimer une grande partie des innombrables « commissions théodule » occupant chacune en moyenne une quarantaine de fonctionnaires pour faire des études, donner des conseils, rédiger des rapports qui finissent au fond des tiroirs des cabinets.
Arrêter de subventionner les dizaines de milliers d’associations inutiles voire nuisibles à la société et ne garder que celles qui sont réellement utiles et nécessaires.
Cesser de subventionner syndicats et partis politiques vassalisés qui devraient comme dans les autres pays être financés par leurs adhérents, etc.
De tout ça, pas question.

Après le « Grand débat », les Etats généraux ou « petits débats »

Du coup Macron, que cela enchante puisque ça le dispense de penser à des économies budgétaires, décide de prolonger de Grand débat par des sortes d’Etats généraux dans les provinces. Cent notables tirés au sort dans chaque province concocteront des propositions dans des « conférences citoyennes« . Problème, neuf sur dix ont décliné l’invitation ! Le seuil a été ramené à 70 heureux élus dans plusieurs régions, sans plus de succès.

Macron a alors demandé que chaque ministère et chaque secrétariat d’État réfléchisse et présente deux propositions. Là il sera obéi, comment désobéir à un président dont le Financial Times du 10 mars dernier écrivait qu’il est sur « la pente du despotisme » ? Mais il ne faut pas s’attendre à des propositions d’économies par des ministres qui ne demandent qu’à augmenter leur budget.

Bref, le Grand débat continue en débats de plus en plus étriqués qui n’en sont pas, l’Élysée ne pouvant s’empêcher de fixer les règles, dicter les questions autorisées et celles qui sont interdites, et quelles doivent être les réponses pour être conformes au plan de base dont le président a dit à plusieurs reprises qu’il n’en changerait pas.

Il faut s’attendre à un nouveau matraquage fiscal

À quoi faut-il s’attendre, une fois les élections passées et Macron rassuré malgré leur échec ?
À un nouveau matraquage fiscal, une nouvelle dérive des dépenses publiques, du budget de l’État et de la dette (4).

L’Élysée laisse filtrer par des indiscrétions ministérielles que tout ce Grand bazar pourrait se poursuivre jusqu’à l’été, voire la rentrée de septembre pour faire la jonction avec la préparation du budget de 2020 ! Cela permettrait de faire des annonces sur la nouvelle fiscalité, mais surtout après avoir enjambé comme un non-événement les élections européennes que l’Élysée sait perdues d’avance pour son parti.

On est loin des « propositions précises et disruptives » annoncées par le président quand il a lancé le Grand débat. Pour le moment, c’est le flou le plus total et le Premier ministre se plaint que « Ça manque encore trop de propositions d’économies« .

Pour une fois, il a raison le Premier ministre !
Autre échec pour Macron : la « Lettre à l’Europe »

Et puis, à l’échec du Grand débat vient s’ajouter un autre échec présidentiel : la fameuse « Lettre à l’Europe ».

Après les grognements de pays de l’Est (Visegrad), ce sont deux poids lourds d’Europe centrale qui manifestent leur mécontentement, l’Allemagne et l’Autriche.

La nouvelle présidente de la CDU et porte- parole d’Angela Merkel, Annegret Kramp-Karrenbauer a donné sa réponse dimanche 10 mars. En résumé « Euuuh, oui, mais… Non merci« .

L’Allemagne n’appréciant pas du tout que Macron veuille mutualiser les dettes colossales des pays européens mal gérés avec celles des pays européens bien gérés.


En Autriche, le Premier ministre Sebastian Kurz ne voit pas l’intérêt d’un programme tournant « autour de la manière de redistribuer la richesse existante, par exemple en introduisant un utopique salaire minimum à l’échelle européenne ou en créant de nouvelles autorités publiques (des fonctionnaires), plutôt que sur la manière dont nous pouvons encourager l’innovation et la croissance » (Die Welt).

De plus SK et AKK sont tous deux d’accord pour dire que leur objectif n’est pas « une Europe sociale centralisée » (l’objectif de Macron). Même position au PPE, le parti majoritaire au Parlement européen.
Angela Merkel ayant soutenu la position d’Annagret Kramp-Karrenbauer, on peut considérer que malgré les bisous et les sourires de façade, le duo Macron-Merkel a implosé.

L’Algérie suit la même voie

L’Algérie prend la même voie en copiant la stratégie macronesque. Une révolution populaire inattendue, comme en France en novembre dernier, mais calme et plutôt joyeuse grâce à une répression très modérée, pas aussi violente qu’en France. L’ONU n’a pas eu besoin de réprimander l’Algérie pour la répression des manifestations.

Bouteflika annonce qu’il se retire pour calmer le jeu mais sans préciser quand. Puis, il annonce un grand débat appelé « Conférence nationale inclusive et indépendante« . Quel humour ce Boubou ! « Indépendante », mais « sous la direction d’une instance présidentielle plurielle« , comme l’a fait Macron.
Comme quoi, la colonisation honnie a apporté au moins une chose positive à l’Algérie : la langue de bois ! Bouteflika demande qu’avant fin 2019 des propositions soient faites pour « réformer l’État ».
L’opposition algérienne, moins naïve que la française, y voit « une ruse pour rester au pouvoir« .

Il va, comme toujours, falloir attendre quelques semaines avant que ne se diffuse dans les peuples, le français et l’algérien, le sentiment qu’ils se sont bien fait avoir (« bourrer » si vous préférez) par leurs présidents et que reprennent les manifestations.
Ensuite ? Ensuite, on verra…
Soit Macron et Bouteflika font preuve d’intelligence et de courage et changent radicalement de politique en reformant de fond en comble les États qu’ils dirigent, soit… retour à la révolution.

L’Imprécateur
16 mars 2019


1: Source : « Ce que disaient, dans les cahiers de doléances, les Français de 1789« , Guillaume Perrault, Le Figaro

2: Journée des tuiles, Les forces de l’ordre commençant à frapper et à tirer sur la foule des manifestants, ceux-ci ripostèrent en lançant sur les militaires les tuiles d’un stock trouvé sur un chantier.

3: La Commission chargée du contrôle des élections vient d’annoncer que les parties des discours présidentiels faisant ouvertement la promotion du programme LREM aux élections européennes seront décomptées du temps de parole accordé aux candidats LREM.

4: Grosse ruse pour dissimuler dans les pourcentages l’augmentation de la dette : l’énorme charge salariale de la fonction publique a été prise en compte dans le calcul du PIB 2018. Ainsi, le PIB augmentant, le pourcentage de la dette par rapport au PIB est resté à 99 %, sans dépasser les fatidiques 100 %. Idée géniale de Darmanin que de transformer une grosse charge en produit !

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