05 janvier 2019

Peut-on vivre avec le SMIC en 2019...



En 1950, juste après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, nos anciens avaient essayé de trouver une réponse à cette question. D’une manière pragmatique, leur réflexion, guidée par le constat que la population française, essentiellement agricole au début du XXème siècle, évoluait depuis vers les villes et les opportunités d’emplois salariés que cette urbanisation offrait. Cela s’est traduit par une dépendance de plus en plus élevée au salaire qui devenait progressivement le seul mode de subsistance des ouvriers et employés. La conclusion de cette réflexion fut qu’une personne devait percevoir, pour une durée normale de travail fourni, un salaire minimum lui permettant de vivre au quotidien.

Une population ciblée

Il fut décidé que l’individu pris en référence serait le célibataire parisien. Il devait pouvoir payer son loyer, sa nourriture et ses transports, ainsi que les autres dépenses inhérentes à son travail. La notion de « panier de la ménagère » apparût, afin de donner un ordre de grandeur et l’accord se fit sur un salaire horaire fixé en 1950 à l’équivalent de 20 € par mois1 sur la base de 173 heures mensuelles, ce qui représentait 78 francs de l’heure (base 1950). Ainsi est né le SMIG (Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti) Il était également prévu une revalorisation chaque fois que le taux d’inflation dépassait les 5%. Ceci fut appelé « l’échelle mobile des salaires » et en 1957, les 5% furent ramenés à 2% pour éviter que les salaires entretiennent eux-mêmes l’inflation.
La gauche communiste et socialiste s’était opposée à la création du SMIG mais finit par s’y rallier.

Le bond de 1968 et le frein de 1982

Les accords de Grenelle, signés durant les événements de 1968, faisaient augmenter le SMIG de 30% en le passant de 55€ (valeur 1967) à 83€ (valeur 1969) et c’est en 1970 que le SMIG fut transformé en SMIC (Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance).
Le législateur avait ainsi décidé de sortir de la logique de la survie à celle de la croissance qui devait profiter à tous. Cet élan fut irrémédiablement cassé en 1982 lorsque, après une période d’euphorie redistributive, le gouvernement de gauche, enfermé dans la logique libérale, se plia à la réalité des exigences « du marché » et se résigna au « blocage des salaires ».

Où en sommes nous aujourd’hui ?

En 2018, le SMIC est à 1498 € bruts, mais le net est de 1173€ seulement. Un célibataire parisien peut-il vivre avec 1173 € par mois ? Vous allez me dire : « Qu’entend-t-on par vivre ? » Ne nous embarquons pas dans une vaine polémique. On peut vivre dans la rue, ils sont du reste de plus en plus nombreux. On peut aussi trouver un certain nombre d’assistances afin d’éviter de mourir de faim ou de froid. Peut-on se satisfaire de cela ? La réponse est non.

Pour vivre d’une façon autonome, c’est à dire sur le seul revenu de son travail, ce n’est même plus le célibataire qui doit être pris en compte, mais probablement le cas de plus en plus fréquent de la jeune mère célibataire. Celle-ci doit payer son loyer, son chauffage, son énergie consommée, ses communications (Internet est devenu indispensable au citoyen sous la poussée de l’Administration) mais également la nourriture et, le cas échéant, le carburant, l’assurance et l’entretien d’un véhicule nécessaire pour se rendre sur son lieu de travail. Les vêtements ne sont pas gratuits non plus. En discutant récemment avec des « Gilets Jaunes », qui ne m’ont pas paru déraisonnables dans leur demande, la valeur de 1800 € bruts mensuels (qui correspond à environ 1400 € nets) serait considérée comme décente.

Peut-on y arriver ou non ?

Toute la question est là. Avec l’environnement économique et surtout monétaire actuel, la réponse est clairement non.
Alors, que faudrait-il changer pour y arriver ?

Plusieurs pistes semblent possibles. Le « pouvoir d’achat » est finalement la capacité d’acquérir un bien ou un service proposé à un prix donné compatible avec les ressources de l’acheteur.. Ce prix s’exprime comment ? Avec une contre-valeur monétaire dans la plupart des cas. Quelle est la valeur de notre monnaie ? Bonne question à laquelle il est difficile de répondre. Longtemps, la monnaie s’est exprimée en fonction de la valeur d’une chose suffisamment rare pour être difficile à se procurer (Tout ce qui est rare est cher) comme des métaux précieux, voire d’autres symboles(2)…

On peut également rappeler une notion liée à nos origines « judéo-chrétiennes » qui voit dans la valeur des choses le travail (au sens large) de l’homme et qui est souvent traduit par « gagner son pain à la sueur de son front »

Au fil des siècles, la recherche d’un profit toujours plus important à fini par faire de la monnaie une marchandise analogue aux autres produits et tributaire de la loi du marché. Ce qui aurait dû rester un intermédiaire neutre est devenu une source de profit par la spéculation. Pour être plus précis, la monnaie actuelle est créée uniquement par la dette. Sous forme scripturale lorsque vous empruntez à votre banque, et sous forme de monnaie fiduciaire lorsque ce sont des emprunts d’Etat, qui se traduisent naturellement par des dettes. Cette monnaie, qu’elle soit fiduciaire ou scripturale, n’a qu’un cours légal.
Créée à partir de rien(3) (ligne d’écriture ou billets imprimés) il appartient à l’organisme qui émet cette monnaie d’en fixer le cours initial. Pour l’euro, c’est la BCE (Banque Centrale Européenne)

La BCE favorise les banquiers et non les peuples

Pour augmenter le pouvoir d’achat de la monnaie que nous possédons, il faut, soit augmenter la valeur de cette monnaie, soit que le prix des choses diminuent, ce qui donnera le même résultat.

C’est la raison pour laquelle nombre de gens s’expatrient, ne serait-ce que pour passer des vacances.

Pour pouvoir diminuer le prix de vente des produits, tout en gardant une marge bénéficiaire, il faut en diminuer le prix de revient. Ce prix de revient intègre le coût de la main d’œuvre, les prix de la matière et les frais de développement et taxes de toute nature. Depuis plusieurs décennies, l’automatisation, appelée aujourd’hui « numérisation » souvent improprement, a fait chuter les prix des objets manufacturés au prix d’une diminution des heures de travail, donc du nombre d’employés en fonction de la production. Cela a permis, comme aimait le dire Henry Ford, « de vendre des voitures à ceux qui les fabriquaient ». Les bénéfices dégagés permettaient de financer les investissements qui allaient encore augmenter la productivité.

Malheureusement, c’était sans compter sur la cupidité des financiers qui, grâce au développement considérable des capacités de transport, ont découvert que les prix de revient pouvaient baisser encore plus si la main d’œuvre utilisée avait des conditions de travail et de rémunération très inférieures à celles de nos pays développés. Les produits ainsi fabriqués devenaient très compétitifs, même vendus avec une forte marge commerciale.

Dans un premier temps, tout allait donc très bien pour le vendeur et l’acheteur. Mais ensuite, les choses se gâtèrent rapidement. Les produits étaient de plus en plus délocalisés et les ouvriers, heureux de pouvoir acheter les éléments de confort à bas prix, durent vite déchanter lorsque les licenciements de masse commencèrent à se produire. Certains pays, qui avaient gardé le contrôle de leur monnaie, purent réagir en faisant des « dévaluations compétitives » qui permettaient de rester dans la course. Ceux qui n’avaient pas voulu ou su garder ce contrôle subissaient la volonté des financiers et durent diminuer les salaires pour continuer à vendre leurs produits.

De la mondialisation heureuse au désastre social

Beaucoup de gens croient encore que, lorsqu’ils veulent acheter une voiture ou un appartement, la banque leur prête de l’argent qui appartient à un déposant. En réalité, cet argent, pour sa quasi-totalité, n’existait pas avant et est créé à partir de rien par la banque. Par contre, les intérêts perçus en échange, sont bien réels. A la fin de l’opération, la banque détruit le capital remboursé et conserve les intérêts versés. Les banques centrales font strictement la même chose, à la différence qu’elles impriment les billets ou les détruisent.

La grande majorité des États font appel au crédit pour financer leurs investissements, c’est à dire leur richesse future. Cela peut se justifier car ces investissements intéressent souvent plusieurs générations. Leurs dépenses de fonctionnement devraient être financées par leurs recettes qui proviennent des impôts et des taxes. Si le budget est « en équilibre », ces recettes sont égales aux dépenses. Durant les périodes fastes, on constate une croissance économique qui se traduit par une augmentation des richesse produites. En théorie, cette croissance est comme une augmentation de salaire pour l’État, qui s’autorise alors à dépenser un peu plus que ce qu’il gagne, sachant que cette croissance équilibrera les comptes. Comme il dépense l’argent avant d’en disposer, il va donc emprunter la différence. Si la banque centrale qui lui prête cet argent le fait sans intérêt, on peut considérer que les investissements réalisés rentrent dans les actifs de l’Etat. Par contre, si l’argent est prêté contre intérêts, ceux-ci sont une dépense non équilibrée par une recette ou un actif et il faut les financer par ailleurs. Le plus souvent, il faut emprunter pour payer ces intérêts et le phénomène de « boule de neige » s’enclenche. La dette augmente avec les intérêts versés, ce qui génère encore davantage d’intérêts. Pour équilibrer, il faut augmenter les recettes (impôts ou taxes) sans augmenter les salaires en raison de la compétitivité.

Tout le monde comprend la nocivité de ce système dans lequel nous nous trouvons et qui conduit à l’appauvrissement, voire la paupérisation des classes moyennes qui voient les taxes augmenter et les salaires diminuer. L’étranglement financier dû à la dette, qui correspond à peu de choses près aux intérêts versés depuis que nous nous finançons auprès des banques privées et la baisse des salaires liés à la mondialisation agissent comme un étau et il arrive un moment où le salaire minimum garanti passe en dessous du seuil de survie. Nous vivons actuellement cette période.

Comment s’en sortir ?

Dans un article récent, je parlais du verrou de l’euro. Ce n’est bien évidemment pas le nom de la monnaie qui est en cause, mais surtout la façon dont elle est émise. La BCE aurait pu nous prêter de l’argent sans intérêt, comme le faisait en son temps la Banque de France. On aurait pu également imaginer un SMIC pour l’ensemble de la zone euro mais il est évident aujourd’hui qu’il ne se fera pas. L’euro a été imposé en vue d’un fédéralisme européen mort-né4 et qui condamne les pays de la zone à une stagnation permanente. Nous ne paierons jamais la dette mais nous en supporterons indéfiniment la charge des intérêts. Du moins jusqu’au moment ou la colère populaire qui est en train de monter emportera tout sur son passage.

Les marchés financiers ont imposé le système de création de la monnaie unique et ils en sont aujourd’hui les seuls bénéficiaires. Jusqu’à présent, ce sont les peuples grâce à leurs impôts qui les ont sauvés des crises financières de plus en plus sévères, mais en sera-t-il de même pour la prochaine que certains économistes voient arriver ?

Il faut maintenant avoir le courage de constater l’échec de la monnaie unique afin que chaque pays membre puisse réémettre sans intérêts la quantité de monnaie qui correspond à son économie et à ses systèmes sociaux, en donnant à cette monnaie la valeur qui permet aux plus défavorisés de survivre. Il faut quitter cette logique purement financière et se préoccuper en priorité de l’aspect social. Si le salaire est la seule ressource envisageable pour cette survie, il faut alors créer les emplois en conséquence et trouver le moyen de les valoriser.

Certains pays, notamment ceux du Nord, sont déjà dans cette voie. Pourquoi ne pas les imiter ?

Jean Goychman



1 http://france-inflation.com/smic.php

2 https://www.herodote.net/650_av_J_C_a_nos_jours-synthese-22.php



4 https://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/europe-les-illusions-d-emmanuel-macron-651735.htmlhttp://

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.