Le président français s’est récemment prononcé contre l’anonymat du Web au nom de « l’hygiène démocratique du statut de l’information ». Il faut noter que c’est sans aucun doute cette même conception de l’hygiène démocratique qui a justifié l’édiction de la loi anti « fake news », dont le nom exprime à lui seul son origine anglo-saxonne.
Cette lutte contre l’anonymat de l’Internet, motivée par la recherche « d’hygiène démocratique », doit être mise en parallèle avec le traitement politique réservé à un autre type d’anonymat : celui des capitaux et des paradis fiscaux.
Ce second anonymat est non seulement ignoré par tous les gouvernements du monde, en premier lieu par celui de la France, mais, plus encore, il est au contraire juridiquement encouragé, par différents moyens, par les instances étatiques autant que par les instances supranationales. Le dernier avatar européen de cet encouragement légal de l’anonymat concerne le monde « des affaires ». Il a justifié l’édiction, en 2016, d’une directive intitulée « secret des affaires » ; cette dernière devant être transposée par les différents États relevant de l’Union Européenne au plus tard en juin 2018.
La version française de cette loi favorisant le « secret des affaires » a été promulguée le 30 juillet 2018 suite à l’initiative parlementaire du groupe « En marche ». Ce même groupe qui s’apprête sans doute, demain, sur les consignes du président, à déposer une proposition de loi contre l’anonymat de l’Internet. A moins que ce ne soit directement les services de l’exécutif « En marche » qui se chargent de déposer ce projet de loi !
S’agissant d’anonymat, il y a donc, de la part de l’exécutif français, un deux poids deux mesures tout à fait édifiant. D’un côté – sans doute pour répondre au manque de démocratie hurlé par les Gilets jaunes – le Souverain « En marche » s’apprête à mener une âpre lutte contre les citoyens qui font circuler des informations de façon anonyme. D’un autre côté, ce même Souverain mène une lutte tout aussi âpre pour encourager l’anonymat des multinationales et, par voie de conséquence, favoriser toujours plus celui des paradis fiscaux.
Sur le fond, il faut en conclure que, pour le pouvoir exécutif français, l’anonymat des paradis fiscaux est un élément d’hygiène démocratique alors que l’anonymat de l’information publique est un élément subversif de l’hygiène démocratique contre lequel il faut lutter de toute ses forces.
Sur la forme, s’agissant d’anonymat, nous sommes bien en présence d’un jugement de « cour », celle du souverain édictant la loi, auquel faisait référence Jean de la Fontaine dans sa fable intitulée « Les animaux malades de la peste », écrite en 1678. C’est curieux car, depuis la Révolution Française, on nous a appris que la prérogative de « faire la loi » n’appartenait qu’au seul pouvoir « législatif », bien entendu indépendant du pouvoir exécutif. Il y a décidément bien des principes à réévaluer afin de faire correspondre pratique et théorie en matière de démocratie…
Il ne faut évidemment pas s’étonner de ce traitement de l’anonymat par la méthode du deux poids deux mesures. Car, en effet, le principe d’asymétrie, en particulier celui de l’information, est le pilier fondamental sur lequel repose le pouvoir politique réel, capté par les banquiers-commerçants au cours des siècles. Le contrôle de l’information est l’apanage du pouvoir, c’est par lui que les banquiers de la City se sont hissés au rang de décideurs politiques. C’est encore par lui que ces mêmes banquiers ont réussi à désynchroniser le pouvoir de la responsabilité politique corrélative.
Le vrai pouvoir, c’est-à-dire celui d’édicter les normes applicables à tous n’est plus une prérogative politique au sens où la « politique » est l’art d’organiser le groupe afin de rendre possible la vie en commun mais une prérogative qui échoit indûment dans les mains des financiers. Les pouvoirs politiques en place ne sont que des courroies de transmission des décisions émanant des plus grands détenteurs de capitaux qui sont les réels donneurs d’ordre « politique ». Derrière l’apparence politique, ce sont les grands argentiers qui imposent au plus grand nombre, de façon aussi absolue qu’absolutiste, des règles conformes à leur strict intérêt catégoriel.
Le Souverain apparent n’est pas le Souverain réel, il n’est qu’un exécuteur de la volonté supérieure des banquiers-commerçants. Or, ces véritables détenteurs du pouvoir le sont en toute opacité et donc en toute impunité politique. Derrière ce traitement politique de « l’anonymat », ce n’est pas tant la méthode du « deux poids deux mesures » qui est en cause que, beaucoup plus fondamentalement, le problème la décorrélation institutionnelle entre « pouvoir » et « responsabilité » politique.
Valérie Bugault
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