04 janvier 2019

Front Nationaliste & Chrétien versus globalisation ?


L’arrivée au pouvoir du nouveau président brésilien Bolsonaro introduit dans la situation générale du Système un nouvel élément de désordre susceptible d’accélérer le processus d’effondrement de la globalisation, laquelle continue à être proclamée comme le but suprême de l’avenir dans les débris conformistes de l’ensemble européen, notamment en France et en Allemagne où sévit la contestation à ce propos. Bolsonaro ajoute donc un souffle important de désordre dans une situation de grand désordre.

Il s’agit d’un projet de formation d’un “groupe nationaliste”, ou “Pacte chrétien”avec un « noyau composé des trois plus grands pays chrétiens – le Brésil, la Russie et les États-Unis », élaboré par le nouveau ministre des Affaires étrangères Ernesto Araujo, appelé à jouer un rôle important dans la nouvelle administration. Le projet est détaillé dans un document destiné au nouveau président, “Pour une politique étrangère du peuple brésilien”. Des extraits du document ont été publiés par le journal Folha de Sao Paulo.

Les trois grands pays nommés constitueraient le noyau d'un “groupe nationaliste” composé du Brésil, des États-Unis, de l'Italie, du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, Slovaquie et République tchèque), de la Russie, du Japon et de l’Inde. Araujo décrit ce “groupe nationaliste” comme « un BRIC antiglobaliste sans la Chine », en référence au bloc actuel des BRICS, que la nouvelle “alliance” remplacerait.

Un texte sur ce sujet intéressant est publié dans Russie Insider le 2 janvier 2019... Extrait de l’essentiel du texte :

« “Il y a des pays qui résistent à la diabolisation du sentiment national, à l'écrasement de la foi (en particulier de la foi chrétienne), qui refusent l’anéantissement de l’âme humaine et son remplacement par des dogmes anémiques qui servent uniquement les intérêts de la domination mondiale de certaines élites”, proclame [le document d’Araujo].

» La nouvelle formation contesterait ce que Araujo a décrit comme “l’axe formé par la Chine, l’Europe et la gauche globaliste des USA”. Dans la lettre, il a concentré une grande partie de son antagonisme contre la Chine, appelant à “une pression sur tous les fronts” contre son influence mondiale croissante.

» “Tout progrès dans les relations avec ces pays dépend de l'exercice de la liberté religieuse et des libertés politiques fondamentales”, a-t-il déclaré. “Il faut utiliser les institutions financières internationales pour freiner la dépendance croissante des pays en développement vis-à-vis du capital chinois, transformant ainsi le jeu de la globalisation contre la Chine.”

» Araujo critique également les régimes de gauche de l'Amérique latine, suggérant que la “liquidation du bolivarisme dans les Amériques” devrait être un objectif clé de la nouvelle administration. Le socialisme bolivarien est l'idéologie officielle du régime vénézuélien et a depuis été exporté vers d'autres pays de la région, tels que la Bolivie et le Nicaragua. “Le Brésil pourrait commander le processus de délégitimation du gouvernement de Maduro au Venezuela et appliquer une pression totale, conjointement avec les États-Unis, pour qu'il soit remplacé par un régime démocratique”.

» Araujo a également adopté un ton trumpien sur le commerce et l'immigration. Il a déclaré que s'il ne “refuserait pas le commerce”, il “ferait de la politique commerciale un instrument de l'État et non pas de l'État un instrument de la politique commerciale”.


» Il a également suggéré de se retirer du Pacte des Nations Unies sur les migrations, exprimant sa volonté de “désacralisation de l'immigration” et de “lutte contre l’idéologie de ‘l'immigrant intouchable’ [et] le droit universel à la migration” qui, selon lui, “bafouent la souveraineté nationale”. Bolsanaro a déjà promis de se retirer du pacte dès son entrée en fonction. »

Eduardo Rivero, l’auteur de l’article, juge à juste raison que « la vision d’Araujo d’un front mondial pour les États nationalistes peut sembler farfelue pour l’instant ». Les deux appréciations ont toutes deux leur raison d’être : “farfelue” et “pour l’instant”, la première étant le jugement immédiat qu’on peut porter, la seconde témoignant de l’extraordinaire rapidité des événements dans ces temps sans précédent, et par conséquent l’extraordinaire rapidité à mesure de l’évolution des jugements qu’on peut porter sur les choses, y compris celles qu’on juge “farfelue” sur l’instant. D’une façon plus générale, ce document témoigne de la possibilité très forte que l’arrivée au pouvoir du nouveau président brésilien Bolsonaro, mises à part toutes les appréciations convenues et conformistes faites sur ses orientations idéologiques théoriques, est porteuse de possibilités explosives considérables. Il s’agit bien là d’une circonstance conforme aux temps que nous vivons, avec “l’extraordinaire rapidité...”, etc.

Dans ce document théorique du ministre Araujo apparaissent plusieurs idées et perceptions qui sont pour le moins inhabituelles et originales, sinon exceptionnelles dans le sens de jamais exposées d’un point de vue officiel dans le gouvernement d’un pays de la puissance du Brésil ; idées et perceptions qui, pourtant, correspondent à une dynamique générale, et dont nous avons du mal à prendre la mesure de toutes les conséquences qui en découlent. Nous en signalons quelques-unes, qui nous paraissent les plus marquantes et les plus remarquables.

• L’idée d’une sorte de “Front nationaliste-chrétien” international est à la fois tout à fait inattendue voire sacrilège, et d’autre part tout à fait logique sinon inéluctable. L’idée même, l’énoncé même est absolument “politiquement incorrect” jusqu’à mériter l’excommunication des autorités morales de la postmodernité, avec leurs valeurs et leurs anathèmes, leur détestation du nationalisme et de l’affirmation chrétienne. Bien entendu, cette sorte de conception se marie complètement avec la poussée du populisme dans le monde entier (inclusion théorique dans le “Front” élargie de pays tels que l’Italie, la Hongrie, la Pologne...).

• L’idée de mettre ensemble dans un même front les États-Unis et la Russie (avec le Brésil), – comme de mettre ensemble dans le “front” élargi la Russie et la Pologne, – est de la même eau. Elle attire les mêmes remarques que précédemment en même temps qu’elle rencontre d’autres points de vue latents depuis plusieurs années, – par exemple, lorsque Patrick Buchanan, paléoconservateur actuellement pro-trumpiste s’interrogeait, en 2013, au nom de la défense des valeurs de la tradition et des valeurs chrétiennes : « Poutine est-il l’un des nôtres ? »

• L’idée de diviser de facto les États-Unis en deux est toujours de la même catégorie des choses excommuniables et vouées à l’enfer selon la postmodernité. Lorsque Araujo parle des “États-Unis”, il parle de Trump et du courant populiste ; en effet il met, dans les adversaires du “Front”, « la gauche globaliste des USA », impliquant par conséquent une sorte de fracture, de sécession interne de la Grande République, cette superpuissance affirmant pourtant détenir l’hégémonie sur le monde à partir de sa puissance unitaire, de l’influence de sa culture, de la stabilité de son système.

• Également remarquable est l’extrême et furieuse hostilité à cette “philosophie migratoire” qui imbibe ce que nous désignerions comme l’anti-civilisation qu’est la postmodernité, littéralement jusqu’à la nausée par sa haine de tout principe d’identité constitutif de l’ontologie de l’être. Il s’agit, dans le document brésilien, d’un refus complet de l’idéologie néolibérale, progressiste et sociétale. Sur ce point, également sacrilège et affirmé avec une force extrême (« ...volonté de “désacralisation de l'immigration” [...] de lutte contre l’idéologie de ‘l'immigrant intouchable’ [et] le droit universel à la migration »), nous sommes proches du concret puisque le nouveau président brésilien a confirmé que l’une de ses premières décisions sera le retrait du Brésil du traité de l’ONU (dit “de Marrakech”) sur les flux migratoires.

• L’extrême animosité antichinoise constitue également un bouleversement par rapport aux autres classements (la Chine, grande alliée de la Russie, se retrouvant dans le camp adverse). La Chine est jugée comme une menace extrême, essentiellement par rapport à la position qui lui est attribuée de leader de la globalisation dont elle profiterait outrageusement, – position qui fut, jusqu’il y a peu, celle qu’on jugeait être caractéristique des États-Unis, initiateurs de la globalisation avec de nombreux outils pour en profiter outrageusement. (Qui plus est, ces outils de l’américanisme subsistant, comme le dollar comme monnaie d’échange globalisée.)

Toutes ces choses “farfelues” se doublent de nombreuses situations contradictoires, dont on a déjà vu l’une et l’autre (faire de la Pologne une amie de la Russie et de la Chine une ennemie de la Russie). Comment concilier une attaque du “Front” (USA et Brésil) contre le Venezuela avec les liens d’amitié existant entre la Russie et le Venezuela ? Comment concilier le classement de “l’Europe” (l’UE) comme “ennemie” du “Front” avec l’inclusion dans le “Front” de cinq pays de l’UE ? Quelle cohérence pour ce “néo-BRIC” remplaçant le BRICS (sans la Chine, mais aussi sans l’Afrique du Sud) selon des références qui n’ont jamais été considérées pour cette association qui assura n’être jamais une “alliance” ? (La prochaine réunion des BRICS, s’il y en a une, sera intéressante...) Ainsi de suite, et même de longue suite... Mais on ne doit pas juger ce document en termes de politique traditionnelle, ou de géopolitique, ou de “valeurs” selon la doxa totalitaire qui règne dans le goulag néolibéral.

Ce document, qui a certainement et volontairement des intentions provocatrices “farfelues” et qui manie sans trop s’en soucier l’art de la contradiction interne, a ceci d’important qu’il est essentiellement de type culturel, sociétal, éventuellement civilisationnel et principiel. Il effectue un classement qui, paradoxalement, s’appuie sur le nationalisme et naturellement la souveraineté nationale, et attaque en même temps la structuration de certains pays qui devraient être justement comptables du nationalisme et de la souveraineté (les USA coupés en deux). De même, autre point très important, il effectue un classement qui disqualifie complètement les idéologies traditionnelles (libéralisme de droite, social-démocratie de gauche, progressisme dissimulé de la fausse droite dite “modérée” et progressisme affiché de la gauche claironnante et fière de l'être) notamment parce que ces idéologies se sont trouvées complètement transmutées pour justifier la prétention totalitaire du néolibéralisme progressiste et sociétal. Par conséquent, toutes les anomalies signalées n’en sont pas nécessairement ou doivent être jugées selon des approches nouvelles si l’on considère, comme il faut le faire, ce document comme complètement appuyé sur des notions complètement inhabituelles pour les conceptions politiques.

Nous n’en sommes donc, ni à considérer le document comme “réaliste” ou “farfelu”, ni à le juger selon ce qu’il propose et à prendre pour du comptant ce qu’il propose, mais bien à considérer son aspect novateur en ceci qu’il disqualifie complètement les habituelles références (politique progressiste, “valeurs” pseudo-morales, idéologies, etc.) qui nous enchaînent à la dynamique d’autodestruction du Système couinant “TINA !”(“There Is No Alternative’”). Les arguments vont dans ce sens novateur, par exemple lorsqu’il est question d’“âme” dans une perspective catastrophique (refuser « l’anéantissement de l’âme humaine et son remplacement par des dogmes anémiques »).

Nous seulement nous ne le ferons pas mais, surtout, il n’y a aucun intérêt intellectuel ou politique, sinon à tomber dans un piège-Système, à juger la valeur “politique” du document, également à porter quelque jugement que ce soit sur Bolsonaro (actuellement à la porte de l’enfer selon l’appréciation-Système) et sur son ministre. Il nous suffira d’observer qu’une telle démarche, avec de telles références qui déstructurent complètement les schémas qui conviennent si bien au Système, est pour le moins un signe des temps, – et un signe que les temps sont complètement nouveaux et conduisent à des situations de débat et de choix absolument novatrices. 

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