05 décembre 2018

Dame de 80 ans tuée par la police : «une serviette en sang sur la mâchoire, elle criait : "Ils m’ont visée !"»


Blessée au visage dans son appartement par une grenade lacrymogène, tirée depuis la rue samedi, une femme de 80 ans est morte le lendemain à l’hôpital.

Adla est sous le choc. Lundi après-midi, au 12 de la rue des Feuillants, dans le Ier arrondissement de Marseille, la nouvelle a fait le tour de tous les voisins : Zaineb Redouane, la dame du quatrième, blessée samedi par un éclat de grenade lacrymogène, est morte dimanche à l’hôpital des suites d’un «choc opératoire». Zaineb Redouane était encore consciente quand les pompiers sont venus la secourir. Vers 18 heures, quand Adla a grimpé l’escalier, alertée par les cris des voisins, sa voisine, âgée de 80 ans, était assise sur les marches, parlant au téléphone à son fils. «Le sang coulait beaucoup, elle était blessée au visage», raconte Adla. Vraisemblablement par des éléments d’une grenade lacrymo.

Car dans la Canebière voisine, c’est le chaos. Des heurts opposent les forces de l’ordre à des manifestants remontant l’artère. Outre les gilets jaunes, qui répondaient à l’appel national, d’autres Marseillais avaient également défilé ce jour-là, à l’appel de la CGT ainsi qu’à celui du Collectif 5 novembre, créé après l’effondrement de deux immeubles il y a un mois. Après une convergence des cortèges devant la mairie, la police a répliqué par des tirs de lacrymo, puis coursé un peu partout dans la ville certains groupes violents.
Eclats

Il est environ 18 heures quand les affrontements éclatent près de la rue des Feuillants. D’après les voisins de la victime, celle-ci leur aurait raconté qu’elle avait voulu fermer ses volets pour se protéger lorsqu’elle a reçu au visage des éclats. «On a retrouvé chez elle des plots de grenades», a confirmé lundi le procureur de la République de Marseille, Xavier Tarabeux, précisant qu’«à ce stade, on ne peut pas établir de lien de cause à effet entre la blessure et le décès». Une enquête a été ouverte et les policiers ont déjà entendu lundi Nadja, résidente qui s’est déplacée la première dans l’appartement de la victime. «Quand je suis arrivée, témoigne-t-elle à Libération, elle sortait de la salle de bain une serviette en sang sur la mâchoire. Elle criait : "Ils m’ont visée, ils m’ont visée !" L’appartement était rempli d’une fumée noire. Elle m’a raconté que deux policiers en tenue se trouvaient sur le trottoir d’en face de la Canebière et lui ont tiré dessus.»

Les commerces voisins ont eux aussi subi de plein fouet les jets de lacrymo. «Les gens s’étouffaient, on les a fait entrer dans le restaurant pour fermer les portes, raconte Nadia, qui travaille au snack au pied de l’immeuble. Les CRS étaient postés sur le trottoir d’en face, ils tiraient droit sur nous, alors que les manifestants étaient un peu plus haut.» Une version que conteste naturellement Jean-Marie Allemand, secrétaire régional du syndicat de policiers Alliance : «Si vous tirez dans le tas, ça s’appelle un tir tendu et c’est interdit, explique-t-il. Les policiers visaient bien les manifestants mais avec un tir courbe. A ce stade, on ne sait pas encore ce qui s’est passé. C’est un drame, la première fois que j’entends un tel concours de circonstances…» C’est ce que devrait permettre de déterminer l’enquête de l’IGPN qui a été ouverte.
Stress

Une autopsie a été pratiquée lundi. «Que ce soit l’éclat qui l’ait menée à l’hôpital, cela semble ne pas faire de doutes, poursuit Jean-Marie Allemand. Mais est-ce que sa mort n’est pas due à un problème opératoire, du fait de son grand âge ?» Dans la pharmacie de la rue des Feuillants, on connaissait bien la victime. «Elle était diabétique et cardiaque, elle portait un pacemaker, confirme Aimée Senior, la pharmacienne. Mais elle était très bien. Peut-être qu’elle n’a pas supporté le stress du choc. En tout cas, ce n’est pas sa maladie qui l’a tuée.»

Stéphanie Harounyan
 
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