En Italie, nous avons un terme pour ceux qui s’engagent dans une tâche beaucoup trop grande et trop difficile pour eux. Nous les appelons « l’armée Brancaleone » (Armata Brancaleone), un terme qui vient du titre d’un merveilleux film italien de 1966 où un chevalier italien autoproclamé tente de diriger une armée de combattants incompétents. Les tristes conditions de la science de nos jours me font parfois penser à l’histoire de l’armée de Brancaleone.
« Qu’est-ce que la vérité ? », ces mots célèbres ne viennent pas d’un scientifique mais d’un homme politique, Ponce Pilate, gouverneur de Palestine à l’époque romaine. En tant que politicien, Pilate savait très bien comment la vérité pouvait être tordue, étirée, tranchée, cuite, aromatisée et réarrangée de plusieurs façons afin d’être vendue aux gens. Les choses ne sont pas différentes, aujourd’hui. En politique, la vérité est ce que vous percevez comme vrai. Après tout, n’est-il pas vrai que nous pouvons créer notre propre réalité ? (Un fonctionnaire du gouvernement américain aurait dit cela au moment de l’invasion de l’Irak, en 2003.)
Finalement, l’Empire romain est mort noyé dans ses propres mensonges, c’était un effondrement épistémologique. Quelque chose de semblable peut nous arriver : nous ne pouvons pas continuer longtemps à ignorer la réalité, croyant que nous pouvons fabriquer la nôtre, et tromper tout le monde dans le processus.
Mais qu’en est-il de la science ? La science n’est-elle pas capable de nous dire ce qu’est la réalité selon sa « méthode scientifique » très prisée ? En principe, oui, mais la science est loin d’être une parfaite machine à rechercher la vérité. Les attaques que la science reçoit de toutes parts ont une certaine justification : en tant que scientifiques, nous ne pouvons pas prétendre pouvoir sauver le monde si nous ne nettoyons pas d’abord devant chez nous.
Un élément critique du ventre mou de la science moderne est le processus appelé « examen par les pairs ». Si vous n’êtes pas familier avec cette procédure, laissez-moi vous l’expliquer. L’idée est que lorsque les scientifiques veulent diffuser les résultats de leurs études sous la forme d’un « article », ils le soumettent à une revue « peer-reviewed », (évaluée par les pairs). Leur manuscrit sera envoyé à un certain nombre (généralement 2 ou 3) d’évaluateurs anonymes – des scientifiques travaillant dans le même domaine – qui recommanderont le rejet ou la publication et, dans ce dernier cas, avec des changements pour améliorer le document. (pour plus de détails, voir cet excellent article de Jon Tennant).
Jusqu’à présent, tout va bien : si tout le monde fait de son mieux pour accomplir le travail de révision, le processus pourrait donner de bons résultats. Et, en effet, l’examen par les pairs est censé être l’« étalon-or » de la science. L’accusation typique que les climatologues adressent à leurs critiques est que leurs articles ne sont pas examinés par des pairs : ils sont souvent publiés dans des blogs à motivation politique, et ils n’ont pas la rigueur des vrais articles scientifiques. C’est souvent un point de vue correct, la science du climat est aujourd’hui l’un des domaines scientifiques les plus avancés et les plus vitaux, et les critiques qui lui sont adressées sont normalement de mauvaise qualité et politiquement biaisées.
Mais il y a un problème : il y a beaucoup de choses qui peuvent mal tourner avec l’examen par les pairs. Tout d’abord, cela n’empêche pas la mauvaise science de s’infiltrer. Il est toujours possible, avec un peu d’effort et de patience, de trouver une combinaison favorable de critiques et de rédacteurs en chef et d’arriver à publier dans une revue sérieuse un article qui n’est pas parfaitement correct. Cela s’est produit et certains cas sont vraiment scandaleux. Vous pouvez voir celui-ci, par exemple, où les auteurs ont sorti de nulle part une toute nouvelle physique nucléaire basée sur des preuves expérimentales pour le moins bancales, et tout cela afin d’expliquer des phénomènes qui avaient d’autres explications, parfaitement valables.
À ce stade, préparez-vous à une surprise : les revues scientifiques n’ont AUCUN moyen de remédier à une erreur. Une fois qu’un article est publié dans une revue à comité de lecture, il est inscrit dans le corpus de la « science officiellement approuvée ». À moins qu’il ne s’agisse d’escroqueries évidentes, comme le plagiat ou de fausses données, le fait que la plupart des scientifiques sur le terrain pensent que le document est erroné n’est pas suffisant pour qu’il soit retiré. Le mieux que les autres scientifiques peuvent faire est de soumettre un commentaire aux rédacteurs – qui seront généralement aussi heureux de le publier qu’ils sont heureux de voir leur dentiste. Ensuite, les auteurs du document commenté pourront soumettre leurs contre-commentaires et l’ensemble du processus ne servira qu’à leur donner plus de visibilité – et c’est exactement ce qui s’est passé avec le document dont je vous parlais.
De l’autre côté du processus d’évaluation par les pairs, le filtre rend presque impossible la publication d’idées novatrices, surtout pour les jeunes chercheurs. Les réviseurs sont un groupe auto-sélectionné, souvent formé de messieurs âgés, dont l’objectif principal semble être de s’assurer que rien de ce qui contraste avec leurs opinions ne passe à travers le filtre. Et je ne parle pas du processus incroyablement lent, long et frustrant de traiter avec des examinateurs qui n’ont rien compris de votre travail, mais qui pensent néanmoins qu’ils peuvent le démolir et même s’en moquer. Les critiques peuvent toujours réussir à transformer un papier parfaitement bon en un pâle brouillon juste parce qu’ils veulent y peser de tout leur poids. Le pire, c’est quand ils ne seront pas heureux tant qu’ils n’auront pas imposé leur point de vue aux auteurs, les forçant à écrire le document comme ils le souhaitent (les réviseurs).
Qu’en est-il des normes dans l’examen ? Encore une fois, préparez-vous à une surprise : il n’y en a pas, zéro, zéro, zéro, zéro, zéro, nul. Tout le processus se déroule dans le secret, les auteurs ne savent pas qui est la personne qui a obtenu le droit d’abuser d’une position d’anonymat confortable, il n’y a pas de norme pour savoir quel type de critique est supposé être acceptable ou non, ni quel type de réfutation est supposé être acceptable ou non. Les rédacteurs en chef peuvent faire ce qu’ils veulent avec cette soumission et, normalement, il n’y a pas de procédure qu’un auteur puisse suivre pour protester contre ce qu’il considère comme un traitement injuste de son article.
Maintenant, assigneriez-vous à quelqu’un le travail de – disons – concevoir un avion sur la base de cette méthode d’examen ? Voudriez-vous l’utiliser une fois qu’il sera construit ? Donc, si vous êtes un scientifique, pensez-vous que vous pouvez sauver le monde de cette façon ? Et l’examen par les pairs n’est pas le seul problème de la science moderne.
Heureusement, la science n’est pas encore l’escroquerie qu’elle est accusée d’être, par exemple, par ceux qui rejettent la science du climat. Mais si nous ne faisons pas quelque chose rapidement pour nous améliorer, nous risquons de voir la science perçue par tout le monde comme une escroquerie. Et n’avons-nous pas dit qu’en politique, la vérité est ce que vous percevez comme étant vrai ?
Cet article s’inspire d’un article de Jon Tennant. et d’un article de Jem Bendell.
Ugo Bardi
Note du Saker Francophone
L'auteur oublie ou passe aussi sous silence le financement de la recherche. Comme pour le journalisme, l'auto-censure doit y régner en maitre. Qui va jouer sa carrière et ses financement sur un travail en contradiction frontale avec la doxa politico-financière du moment ? Le mème du moment, c'est le réchauffement climatique. Si vous abondez, vous avez de l'argent ; si vous êtes critique, plus de sous, comme les journalistes qui se retrouvent privés d'antenne. Pute ou chômeur ...
Traduit par Hervé, relu par Cat pour le Saker Francophone
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