Au cours de la décennie écoulée depuis 2008, et malgré sa responsabilité dans la crise qui a marqué cette époque, la filière de la finance continue d’échapper à toute réforme significative. Son armée de lobbyistes a remporté presque tous les affrontements majeurs, et les nouvelles régulations sont truffées de lacunes et de conditions semblables à celles qui avaient généré le crack.
L’observatoire Corporate Europe décrit comment le lobbying financier de ces dix dernières années nous a laissés vulnérables aux crises à venir et aux sauvetages financiers à grands frais.
Ces journées de septembre 2008, où on l’on vit vaciller les légendaires citadelles de la finance mondiale, ont marqué les mémoires par l’effroi mais également l’espoir. L’effroi, parce que le domino d’effondrement était voué à créer misère et pauvreté dans les mois et années qui allaient suivre, mais également espoir, car s’ouvrait alors l’opportunité unique de sécuriser les réformes radicales indispensables des marchés financiers. Chose reconnue par certains de ses architectes, la crise tirait ses origines du niveau de légèreté des régulations des années qui l’avaient précédée. Nul n’en doutait, après avoir subi un échec systémique aussi cuisant et désastreux, on allait assister à un virage à 180 degrés.
Voici une représentation de notre analyse de 10 années d’agenda de surveillance du lobby financier : En dépit de la crise, le lobby de la finance continue de façonner l’agenda de l’UE.
Mais voilà, cette réforme n’a jamais pris corps. On ne peut pas dire que rien n’ait changé. Les niveaux de supervision ont été ajustés, et diverses variantes de « freins de secours » ont été introduits, étalant l’éventail d’outils à la disposition des régulateurs si un risque important est détecté, c’est à dire si une société financière importante se retrouve dans une situation catastrophique. Mais cette décennie écoulée fait apparaître comme bien naïves les aspirations d’alors à voir la crise engendrer une refonte des marchés financiers. Au cours de ces dix ans, chaque idée ambitieuse a été vidée de sa substance, diluée presque à l’infini, ou simplement écartée, de par le pouvoir dont dispose le lobby financier et de par les liens étroits entre les décideurs et les sociétés financières.
La Commission agit rapidement pour laisser l’agenda dans la main des banquiers
On a vu la commission européenne réagir rapidement, dans les jours et semaines qui suivirent le déclenchement de la crise. En septembre 2008, le président de la commission Barroso annonçait qu’il allait nommer un comité consultatif de haut niveau pour évaluer les réformes à mener sur les régulations du système financier. À la mi-octobre, son comité était approuvé par les États membres de l’UE. Il s’agissait d’un groupe de personnes présentant de forts liens avec les institutions mêmes qui avaient engendré la crise. Sur ce groupe de seulement huit personnes, l’un des membres avait des liens avec la tristement célèbre Lehman Brothers, un autre avec Goldman Sachs, un troisième avec Citigroup, et Jacques de Larosière, président du comité, était lié à BNP Paribas. On pouvait douter que ces « sages » nous emmènent bien loin. Ils ont pondu le « rapport de Larosière » qui définissait l’agenda de la commission européenne, seule institution de l’UE à pouvoir définir un projet de loi.
Ce schéma de fonctionnement présentait déjà alors des relents de déjà-vu : en 2008 la commission faisait déjà preuve d’une longue habitude de consulter dans les grandes longueurs les lobbyistes financiers avant toute tentative de consolider les services financiers du marché commun. La commission avait, par exemple, une tradition de laisser s’exprimer banquiers et gestionnaires de fonds dans une réunion approfondie, avant de proposer quoi que ce soit. Et ils n’ont pas failli à cette tradition : une recherche sur les « groupes d’experts » consultés par la commission sur les sujets toxiques en lien avec la crise montre qu’elle a bien organisé cette même réunion dans cette occurrence. L’exécutif européen venait d’autoriser les lobbyistes de la finance à se positionner comme conseillers, déformant les idées de la commission selon leurs intérêts, et parfois empêchant complètement certaines initiatives, comme sur le sujet des fonds de placement privés et des fonds d’investissement. Sur ce sujet, sur la base des conseils prodigués par un comité consultatif en janvier 2006 dominé par les lobbyistes, la commission avait déjà décidé de ne pas proposer de règle de régulation des fonds spéculatifs.
Fonds spéculatifs : des mesurettes en échange d’un droit de passage
Cette mansuétude n’était pas passée inaperçue. Le parlement européen avait fortement poussé pour l’adoption de régulation, pressions purement et simplement ignorées par la commission. La crise venait d’ouvrir une nouvelle ère, et le commissaire McCreevy se sentit obligé d’établir une proposition de régulation des « fonds d’investissement alternatifs », lancée en avril 2009. Suivit une âpre bataille qui s’invita dans les médias, sur les plateaux de conférences, et dans une myriade de réunions tenues entre politiques et lobbyistes. Une campagne alarmiste fut lancée, avec à la manœuvre les groupes de lobbying European Venture Capital Association (EVCA – fonds d’investissements privés, renommé aujourd’hui en Invest Europe) et AIMA (fonds spéculatifs). Un think tank de la nébuleuse déclara : « Des milliers d’emplois et des millions d’euros d’impôts pourraient être en jeu. » L’AIMA commenta la proposition sous ces termes : il fallait la « réécrire de A à Z ».
Au cours de l’année qui suivit, l’industrie financière mit la pression sur les gouvernements des États membres, ce qui impliqua de faire embarquer dans la bataille le gouvernement des USA, par l’intermédiaire du gouvernement du Royaume-Uni. S’ensuivit une remarquable protestation envoyée par Timothy Geithner, secrétaire d’État au Trésor américain, adressée aux gouvernements des États membres de l’UE, qui faisait planer le spectre d’une guerre commerciale entre les deux puissances si de nouvelles règles se voyaient instituées.
On vit monter en flèche les activités de lobbying au Parlement européen. Par exemple, au cours des dix premiers mois de 2010, se sont tenues pas moins de 46 réunions entre les parlementaires européens affiliés au parti conservateur anglais et l’industrie financière. Et les lobbyistes parvinrent à leurs fins : quand les procédures de définition des réformes se virent engagées, on estime, sur les 1600 amendements déposés par les parlementaires européens, que la moitié en avait été rédigée de la plume même des lobbyistes.
Et ces actions portèrent leurs fruits. Alors que le parlement européen disposait de pléthore d’idées pour mettre de l’ordre dans les activités des fonds d’investissement, la directive GFIA (gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs) fut réorientée principalement vers des mesures de transparence. Et l’industrie financière se vit même offrir une concession majeure, qui allait rendre la directive alléchante à ses yeux : dès l’adoption de la directive, il suffirait désormais à un fond de se voir autorisé et enregistré dans n’importe quel État membre de l’UE pour pouvoir légalement opérer sans autre procédure dans tous les autres États membres. Même les plus ardents opposants à la directive se rallièrent. Un grand moment pour l’AIMA.
Cette mansuétude n’était pas passée inaperçue. Le parlement européen avait fortement poussé pour l’adoption de régulation, pressions purement et simplement ignorées par la commission. La crise venait d’ouvrir une nouvelle ère, et le commissaire McCreevy se sentit obligé d’établir une proposition de régulation des « fonds d’investissement alternatifs », lancée en avril 2009. Suivit une âpre bataille qui s’invita dans les médias, sur les plateaux de conférences, et dans une myriade de réunions tenues entre politiques et lobbyistes. Une campagne alarmiste fut lancée, avec à la manœuvre les groupes de lobbying European Venture Capital Association (EVCA – fonds d’investissements privés, renommé aujourd’hui en Invest Europe) et AIMA (fonds spéculatifs). Un think tank de la nébuleuse déclara : « Des milliers d’emplois et des millions d’euros d’impôts pourraient être en jeu. » L’AIMA commenta la proposition sous ces termes : il fallait la « réécrire de A à Z ».
Au cours de l’année qui suivit, l’industrie financière mit la pression sur les gouvernements des États membres, ce qui impliqua de faire embarquer dans la bataille le gouvernement des USA, par l’intermédiaire du gouvernement du Royaume-Uni. S’ensuivit une remarquable protestation envoyée par Timothy Geithner, secrétaire d’État au Trésor américain, adressée aux gouvernements des États membres de l’UE, qui faisait planer le spectre d’une guerre commerciale entre les deux puissances si de nouvelles règles se voyaient instituées.
On vit monter en flèche les activités de lobbying au Parlement européen. Par exemple, au cours des dix premiers mois de 2010, se sont tenues pas moins de 46 réunions entre les parlementaires européens affiliés au parti conservateur anglais et l’industrie financière. Et les lobbyistes parvinrent à leurs fins : quand les procédures de définition des réformes se virent engagées, on estime, sur les 1600 amendements déposés par les parlementaires européens, que la moitié en avait été rédigée de la plume même des lobbyistes.
Et ces actions portèrent leurs fruits. Alors que le parlement européen disposait de pléthore d’idées pour mettre de l’ordre dans les activités des fonds d’investissement, la directive GFIA (gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs) fut réorientée principalement vers des mesures de transparence. Et l’industrie financière se vit même offrir une concession majeure, qui allait rendre la directive alléchante à ses yeux : dès l’adoption de la directive, il suffirait désormais à un fond de se voir autorisé et enregistré dans n’importe quel État membre de l’UE pour pouvoir légalement opérer sans autre procédure dans tous les autres États membres. Même les plus ardents opposants à la directive se rallièrent. Un grand moment pour l’AIMA.
Tuer la réforme en usant simplement d’un alarmisme bien senti
Sur le sujet des régulations bancaires, la lutte fut bien plus longue, et se tint à d’autres niveaux que la controverse sur les fonds. Comme les régulations bancaires sont définies au niveau international, c’est à ce niveau qu’au terme de deux années de mise en accusation, les banques se mirent à répliquer. À l’été 2010, le comité de Bâle vit se tenir les négociations internationales, dans le but de renforcer les régulations du domaine bancaire. On passa en revue les règles déjà existantes obligeant les banques à maintenir certains niveaux de réserves – appelées « besoin en capitaux » pour se protéger des crises à venir. On estima que les seuils en vigueur étaient trop bas, et que leurs modalités de calculs ouvraient trop de possibilités de manipulation par les banquiers. Les banques avaient elles-mêmes établi leurs modèles de calcul et en avaient profité pour rendre leurs réserves de capitaux artificiellement faibles.
L’association des grandes banques et institutions financières mondiales (IIF), groupe de pression international dédié aux grands établissements bancaires, publia, au moment même où les négociations se tenaient, un rapport qui contenait un avertissement grave à destination des négociateurs : si l’on augmentait les réserves de capital, des millions d’emplois seraient perdus et les taux de croissance en prendraient un coup. Ce rapport allait être suivi par d’autres, émis par les grandes banques elles-mêmes, affirmant les mêmes choses. Malgré l’argument qui prouvait que les faibles réserves de capital étaient à la racine de la crise, le contexte de 2010 tourna à l’avantage des méga-banques. On rabaissa dûment les ambitions quant aux réserves de capital à la conclusion d’un accord en août 2010. Quelques jours plus tard, la Banque des règlements internationaux (BRI) émit deux rapports qui battaient en brèche les affirmations alarmistes de l’IIF, mais il était trop tard. Les banques, une fois de plus, avaient eu l’avantage de l’agenda et avaient obtenu gain de cause : l’augmentation des réserves de capital serait faible ; et on n’apporta que des changements fort modestes aux modèles internes utilisés par les banques pour calculer leurs besoins de réserves de capitaux.
Les banques allaient rester un sujet de préoccupation pour l’Union Européenne tout au long de la décennie. Les préoccupations quant aux créances douteuses et au risque de faillite bancaire sont encore d’actualité à ce jour.
Bonus, notations de crédit et audits : de la poudre aux yeux
De nombreux sujets ont été réglés au cours des années qui ont suivi. Un sujet particulièrement important aux yeux du parlement européen fut la question des bonus des banquiers. La pensée qui sous-tendait le débat sur les banques des parlementaires européens en 2010 était la suivante : la structure particulièrement alléchante des bonus faisait prendre aux dirigeants des paris trop risqués sur les marchés, et la réforme devait refroidir leurs ardeurs.
Les banques, avec Londres comme épicentre, lancèrent une campagne visant à convaincre les législateurs qu’une réforme des systèmes de bonus allait saper la compétitivité des banques européennes. En fin de compte, les règles qui furent établies semblèrent suffisamment flexibles aux banques : le bonus pouvait atteindre un seuil maximum égal à 100% du salaire fixe. Les lobbyistes bancaires allaient continuer de protester jusqu’à la fin du processus législatif ; mais en réalité les règles adoptées en 2013 se révélèrent pleines de trous. Les banques ont pu depuis remaquiller les bonus sous le nom de « rémunération par rôle joué », ou simplement augmenter les salaires d’une autre manière. Après trois années de plus, les institutions de l’UE ont reconnu que cela posait un problème, mais aucune mesure n’a été prise pour y remédier, et les bonus somptuaires continuent d’irriter le grand public.
On vit également des répliques de la part des lobbies, fin 2013, sur les réformes quant aux règles comptables et d’audit. Les sociétés de comptabilité et d’audit (les « Big Four ») étaient sous les projecteurs suite à leur rôle dans la crise : elles avaient attribué des notations par trop positives lors de leurs estimations de la santé financière de leurs plus gros clients ; on se souvient à ce titre d’Ernst&Young maquillant la façade du bilan de Lehman Brothers.
Les mesures à prendre paraissaient évidentes. Les liens outrageusement proches entre les « big Four » et leurs clients constituaient un risque ; si une banque peut recourir aux services de la même société d’audit au fil des décennies, la tentation pour l’auditeur est grande de donner un coup de main au bon client quand les temps sont durs.
Les règles instituées par l’UE début 2014 pour mettre un terme à ces arrangements entre amis furent : deux fois rien. Si l’on met bout à bout toutes les exceptions et failles dans les textes adoptés, les règles établies en 2014 continuent de permettre à une société de conserver le même auditeur pendant pas moins de 24 années. La faiblesse de cette réforme suivit là aussi une intense campagne de lobbying, menée par l’industrie financière pour prolonger les durées en question ou tout bonnement faire avorter l’obligation de changement obligatoire d’auditeur.
On n’a pas gagné plus de terrain avec les agences de notation. Le problème avec ces agences était le suivant : à l’instant de l’effondrement de Lehman Brothers, cela faisait déjà un bon moment que ces sociétés – payées pour évaluer et noter les risques des valeurs mobilières – constituaient de fait de véritables « usines à triple A », ce qui revient à considérer qu’elles faisaient passer des entités bancales pour fiables et à faible risque d’investissement. De fait, les titres mêmes qu’on allait retrouver au cœur du détonateur du crack financier étaient notés par ces agences comme des investissement super solides et sécurisés, jusque quelques jours avant que les mensonges ne soient révélés. Les analystes furent nombreux à identifier le problème : les revenus de toute agence de notation lui viennent des institutions financières dont elles évaluent les produits – on les trouve même parfois parmi leurs actionnaires.
On peut s’étonner dès lors que la réforme de l’UE n’effleure même pas ce conflit d’intérêt majeur. Dans la proposition de la commission, l’UE opta pour une déclinaison des règles en vigueur aux USA depuis 2002 ; en d’autres termes, les règles mêmes qui venaient de prouver leur inefficacité.
Après des années de « réformes financières » et des résultats inadéquats, ce qui frappe le plus à l’observation du débat en est le calendrier ; ceci est en raison du au choix, fait par Barroso, de mettre les grandes banques en position de définir le champ des réformes qui seraient établies par l’UE. On a bien vu se lever le problème de la taille des banques, mais dans la sphère du débat politique, les demandes de morceler les activités des établissements bancaires sont restées largement marginales. Même après que les fonds publics de l’Union européenne eurent été mis à contribution à hauteur de 4,5 milliards d’euros pour sauver les banques – pour un coût final de 1,4 milliards d’euros – on a fort peu parlé de mesures profondes.
Après que tout le monde a reconnu la nécessité de faire quelque chose pour éviter les faillites massives, la méthode qui a été choisie fut celle que poussaient les grands établissements bancaires. Au sein de l’union bancaire, les banques elles-mêmes cotiseraient de faibles sommes pour constituer un « fonds de résolution ». On utiliserait dès lors ce fonds pour démanteler méthodiquement les « bad banks ». Mais si le fonds n’est pas suffisamment abondé – et ce sera le cas si une banque importante entre en défaut – on fera à nouveau recours à de l’argent public pour résoudre la situation.
On pourrait ici invoquer l’argument que ce système vise plutôt à sécuriser les renflouements d’argent public qu’autre chose. Mais ce n’est pas tout. Si l’on considère que l’importance systémique fondamentale qu’ont prise les banques constitue en soi un risque, l’union bancaire ne pourra faire qu’empirer les choses. Le processus de déconstruction d’une banque malade facilite en effet la tâche des autres établissements pour en acquérir les restes, et donc grossir de même le processus. Dans un interview au sujet de l’union bancaire, Jean-Laurent Bonnafé, directeur général de BNP Paribas, a déclaré : « La partie la plus forte du système bancaire pourrait alors s’inscrire dans une sorte de consolidation – que ce soit par acquisition ou par des mesures de développement organique ». Voilà qui s’accorde parfaitement avec ce qui est devenu la position officielle de la Banque centrale européenne : on a trop de banques en Europe. Il est devenu préférable de concentrer le secteur bancaire, plutôt que de sécuriser sa compétitivité au niveau mondial. L’une des conséquences, c’est que nous allons continuer de voir le problème « trop gros pour faire faillite » au cours des années qui suivront.
Pas touche aux structures bancaires
Pour être honnête, toutes les initiatives lancées par les institutions de l’UE n’ont pas été modestes et inoffensives. En 2012, on a vu sortir une publication d’un groupe de dirigeants, présidé par Erkki Liikanen, banquier central de Finlande. On y trouvait une liste de propositions pour régler le problème des structures bancaires en Europe, et bien qu’il ne se soit pas attaqué à la taille des banques en tant que telle, il abordait la question de définir comment les banques investissaient leurs fonds propres. Aux USA, on a vu mise en place une sorte de séparation entre banques d’investissement et banques de détail depuis les années 30, et l’adoption du Glass-Steagal act. L’idée de fond est d’empêcher les banques d’investir leurs fonds propres ou l’argent de leurs clients. Aux USA, cette régulation avait été annulée avant la crise, puis rétablie en juillet 2015 sous une forme affaiblie dénommée règle Volcker, qui limite les « échanges propres » des banques.
Des mesures du même ordre, quoique plus faibles, avaient également été mises en avant dans le rapport Liikanen. Mais la sortie du rapport en 2012 joua le rôle de sonnette d’alarme pour les banques. L’une de leurs premières réactions fut d’intensifier encore les activités de lobbying au niveau national pour y faire adopter des règles, principalement en Allemagne, France, et au Royaume-Uni. Puis le lobby financier parvint à faire introduire dans le projet de loi un texte qui laissait aux États membres décider de leurs propres règles, même si des règles étaient établies au niveau communautaire. Mais plus important encore, les activités de lobbying au niveaux des États ont rendu les négociations entre gouvernements de plus en plus compliquées, et en 2017, l’initiative se vit totalement abandonnée, à la stupéfaction de ses promoteurs.
Coma profond pour la taxe sur les transactions financières
La défaite la plus monumentale pour la réforme financière est sans doute la taxe sur les transactions financières. Était proposée une faible taxe sur toutes les transactions réalisées sur les marchés financiers, qui aurait pu collecter des fonds considérables, et surtout faire baisser drastiquement le nombre de transactions. Les activités de spéculation à haute fréquence se seraient vues limitées, et rares sont ceux, en dehors des salles de marchés, qui s’en seraient plaints.
Voir la Vidéo de campagne d’Oxfam GB de 2010, promulguant la taxe sur les transactions financières, surnommée « Taxe Robin des bois ».
On comprit très vite que l’industrie financière n’allait pas rester les bras croisés face à ce défi. Divers rapports commencèrent à éclore, comme celui de la Global Financial Markets Association (GFMA), visant à convaincre les décideurs qu’il s’agirait d’un changement très coûteux, qui pourrait handicaper la croissance économique de 0,5% sur des années. Des gouvernements hostiles à la proposition, comme celui du Danemark ou du Royaume-Uni, relayèrent le message. Mais l’Allemagne, pays le plus puissant de l’Union, ainsi que la France, soutenaient cette proposition. Un groupe de 11 États membres fut formé pour introduire cette taxe, malgré les réticences des autres États membres.
La ténacité de ce groupe de 11 États força le lobby financier à innover encore. Ils se mirent à travailler au corps chaque État membre, pour que les gouvernements soutiennent une version allégée de la taxe. La première percée fut opérée en France, au travers d’une campagne dirigée par la Fédération bancaire française, qui clamait qu’une taxe porterait un coup au développement du secteur financier en France. Les ambitions du gouvernement français en furent considérablement revues à la baisse. Depuis lors, les négociations entre les États membres au sein du FTT sont devenues lentes et compliquées. Sur le papier, le FTT est encore actif, mais les lobbyistes anti-FTT de la City de Londres peuvent noter avec satisfaction, rapport après rapport, que tout reste au point mort.
La défaite la plus monumentale pour la réforme financière est sans doute la taxe sur les transactions financières. Était proposée une faible taxe sur toutes les transactions réalisées sur les marchés financiers, qui aurait pu collecter des fonds considérables, et surtout faire baisser drastiquement le nombre de transactions. Les activités de spéculation à haute fréquence se seraient vues limitées, et rares sont ceux, en dehors des salles de marchés, qui s’en seraient plaints.
Voir la Vidéo de campagne d’Oxfam GB de 2010, promulguant la taxe sur les transactions financières, surnommée « Taxe Robin des bois ».
On comprit très vite que l’industrie financière n’allait pas rester les bras croisés face à ce défi. Divers rapports commencèrent à éclore, comme celui de la Global Financial Markets Association (GFMA), visant à convaincre les décideurs qu’il s’agirait d’un changement très coûteux, qui pourrait handicaper la croissance économique de 0,5% sur des années. Des gouvernements hostiles à la proposition, comme celui du Danemark ou du Royaume-Uni, relayèrent le message. Mais l’Allemagne, pays le plus puissant de l’Union, ainsi que la France, soutenaient cette proposition. Un groupe de 11 États membres fut formé pour introduire cette taxe, malgré les réticences des autres États membres.
La ténacité de ce groupe de 11 États força le lobby financier à innover encore. Ils se mirent à travailler au corps chaque État membre, pour que les gouvernements soutiennent une version allégée de la taxe. La première percée fut opérée en France, au travers d’une campagne dirigée par la Fédération bancaire française, qui clamait qu’une taxe porterait un coup au développement du secteur financier en France. Les ambitions du gouvernement français en furent considérablement revues à la baisse. Depuis lors, les négociations entre les États membres au sein du FTT sont devenues lentes et compliquées. Sur le papier, le FTT est encore actif, mais les lobbyistes anti-FTT de la City de Londres peuvent noter avec satisfaction, rapport après rapport, que tout reste au point mort.
Une armée victorieuse
Si l’on considère l’ensemble de ces éléments, bien peu de doute reste quant au fait que le lobby financier a largement remporté la bataille à Bruxelles. Deux développements sont venus récemment souligner encore cet état de fait. Le premier concerne les tristement célèbres prêts « subprimes ». Pour renforcer le marché des valeurs mobilières, on doit désormais appliquer certains processus aux « produits » selon les conditions qu’ils remplissent. Mais les analystes des pays bas Engelen and Glasmacher signalent que ces processus ouvrent de fait la porte à l’« équivalent européen des emprunteurs subprimes ». Le second concerne les régulations bancaires et la tout aussi tristement célèbre Lehman Brothers. Quand, en 2010, le premier « pack » de directives internationales fut émis à destination des banques à la fin des négociations de Bâle, on y trouvait un appel à la prudence, recommandant d’introduire un « ratio maximal de levier » – il s’agit de la proportion entre les fonds propres d’une banque et le niveau de risque auquel elle est exposée. Ce message ne fut pas reçu poliment par les banques européennes, qui combattirent pied à pied cette idée dès le début ; de la même manière qu’elles l’avaient fait pour le « pack de réduction des risques » discuté ci-avant. Alors que le pack de réduction de risques fut finalement adopté en mai 2018, et qu’un ratio de levier maximal obligatoire soit sur la voie d’être institué, on peut se demander s’il faut en rire ou en pleurer au vu du chiffre auquel est établi ce malheureux ratio – il s’agit de 3%. Avec un ratio de levier maximum de 3%, le niveau de solidité exigé aux banques est inférieur à celui de Lehman Brothers en 2008 à la veille de l’effondrement !
Alors, si l’on peut dire que le lobby de la finance s’est trouvé en position défensive à plusieurs reprises, il est bien difficile de trouver une seule association de lobbying à Bruxelles qui ne soit pas largement satisfaite des résultats de ce package. Ils sortent de l’ère de crise en vainqueurs triomphants. La réponse législative à la crise financière aurait pu menacer leurs intérêts, mais dans les fait, elle les a même avantagés sur certains points. En fin de compte, même si le secteur financier suit les règles à la lettre, la société n’a rien gagné, les règles en question ayant été établies par et pour le secteur financier.
Et les raisons en sont multiples. D’une part, la proche coopération et la camaraderie qui caractérisent les relations entre décideurs et lobby financier. Un exemple récent est la dominance absolue des représentants de l’industrie financière dans les comités consultatifs de la Banque centrale européenne. D’autre part, la facilité avec laquelle l’ancien commissaire Jonathan Hill pu passer d’un poste de direction de l’UE à une embauche comme conseiller dans l’industrie financière. Et pour couronner le tout, nous avons vu l’ancien président de la commission en personne, José Manuel Barroso, rejoindre les rangs de Goldman Sachs.
Une raison supplémentaire réside dans le pouvoir de lobbying dont disposent en soi les établissements financiers, et ceci constitue un facteur essentiel. Au sein des États membres, il réussissent à faire plier les gouvernements, et leurs activités d’influence à Bruxelles emploient une armée composée de pas moins de 1700 lobbyistes prêts à passer à l’attaque face à toute tentative d’imposer des régulations plus fortes sur le secteur. Ils ne sont pas pour autant sur la défensive – les récentes années les ont vus prendre nombre d’initiatives, qui pour annuler les faibles résultats des réformes financières, qui pour inventer de nouveaux projets empreints à cœur de dérégulation et de libéralisation.
Aucune tentative de réforme du système financier ne peut passer outre leur pouvoir.
Malgré cette image sombre, il ne faut pas ignorer les effets de l’indignation publique et du militantisme – c’est même l’une des raisons pour lesquelles le secteur de la finance paye si bien ses lobbyistes. Les mouvements sociaux ont milité et combattu pour la mise en place d’une taxe sur les transactions financières (FTT) au cours des 20 derniers années ; alors qu’il s’agissait précédemment d’une exigence à la marge, il s’agit à présent d’un vrai sujet en Europe, discuté sérieusement par les gouvernements. Tôt ou tard, cette mesure se matérialisera, et même s’il s’agit seulement d’une version édulcorée, il s’agira d’un socle sur lequel s’appuyer pour les prochaines étapes.
Note du Saker Francophone
Voici un article fouillé et présentant des éléments vraiment édifiants quant au « fonctionnement » au cœur des institutions européennes. Comme nous y accoutume CorporateEurope, la conclusion s'en veut rassurante, ils espèrent une amélioration... On peut au contraire penser qu'après des dizaines d'années de « construction européenne », il n'est pas trop tôt pour juger l'arbre à ses fruits.
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