25 septembre 2018

Sédition Nika, en 532 : La colère du peuple à Byzance


L’image d’une foule déchaînée et incontrôlable est le plus souvent associée à l’institution des dèmes. La sédition Nika, en 532, qui manqua renverser la personne même du grand empereur Justinien 1er, provoqua par l’incendie la destruction de quartiers centraux de la capitale impériale, réduisant en cendres Sainte-Sophie. De fait, on ne saurait nier que la rencontre de l’empereur et du peuple à l’hippodrome ne suivait pas toujours le cérémonial prévu des acclamations de longue vie, et des empereurs, parfois, durent quitter leur loge sous les huées, mais le fait était plutôt rare. Constantinople n’était pas seule frappée et des troubles nous sont signalés dans les autres « mégalopoles » de l’époque, Alexandrie et Antioche.
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Cette agitation populaire encadrée par les factions a offert un terrain propice à toutes sortes d’hypothèses pour expliquer cette division binaire du peuple : on a cru déceler une opposition géographique des quartiers, une rivalité religieuse entre chalcédoniens et monophysites [2][2] Cette thèse fut proposée dès 1904 par G. Manojlovic´,..., une lutte entre classe aisée (les Bleus) et citoyens plus modestes (les Verts), ou repérer des formes archaïques du « hooliganisme » contemporain [3][3] A. Cameron, Circus Factions. Blues and Greens at Rome.... La dimension sportive est indéniable, comme en témoignent la popularité des cochers vainqueurs et les honneurs qu’on leur accordait – on leur érigeait des statues à un moment où la seule personne de l’empereur bénéficiait de ce privilège – ainsi que l’importance des libéralités qu’ils recevaient, prix qui n’ont rien à envier aux sommes offertes aux sportifs actuellement les mieux payés [4][4] Le plus fameux d’entre les cochers s’appelait Porphyrios.... Selon la dernière théorie proposée, il semble bien que les supporteurs, c’est-à-dire les membres enregistrés dans les quatre dèmes, se confondent avec les bénéficiaires de l’annone publique, ce qui expliquerait à la fois leur aisance et leur disponibilité [5][5] C. Zuckerman, « Le cirque, l’argent et le peuple. À....
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Cette agitation urbaine cessa au cours du VIIe siècle, non que les courses à l’hippodrome aient disparu, ni les dèmes, mais ceux-ci étaient désormais intégrés au cérémonial du Grand Palais et ne firent guère parler d’eux. Nous verrons plus loin dans quelles circonstances prospérèrent les mouvements urbains, mais l’arrêt des troubles fut lié, à l’évidence, à l’amoindrissement, dans des proportions considérables, du nombre des habitants de la capitale et partant, à la diminution sensible des agitateurs potentiels. Constantinople en effet, qui comptait peut-être 500.000 habitants sous Justinien, en abritait deux siècles plus tard moins de 100.000, à la suite de la réapparition de la peste et des invasions slaves et arabes.

Le renouveau de l’agitation urbaine ( Xe - XIIe siècles) : les faits

LES DIFFICULTÉS DE NICÉPHORE PHOCAS
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Il faut attendre le Xe siècle pour déceler les premiers troubles sérieux à Constantinople. La minorité du futur Basile II et de son frère Constantin incita le général Nicéphore Phocas à s’emparer du pouvoir en 963. Au moment, toujours délicat, où son armée victorieuse venant d’Asie paraissait devant la capitale, il reçut le soutien décisif d’un eunuque de sang impérial, Basile Lécapène. Ce dernier réussit, avec l’aide de ses trois mille serviteurs et amis, à provoquer une émeute contre le ministre Joseph Bringas, qui, à cette date, gouvernait l’Empire pour le compte des jeunes empereurs. Il les dépêcha
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« en plusieurs quartiers de la ville pour attaquer les palais de ses adversaires. Depuis la première heure du lendemain jusqu’à la sixième, ils détruisirent et rasèrent un très grand nombre de demeures appartenant aux gens de la ville. Celle de Joseph n’était que la plus remarquable. On ne se contenta pas, en effet, de démolir les demeures des gens illustres et des hauts fonctionnaires, qu’on savait être des adversaires, mais on fit de même pour d’autres maisons, innombrables, qui appartenaient à des gens de moindre condition. Car celui qui avait quelque compte à régler, amenant avec lui une foule de voyous, faisait disparaître son ennemi sans que personne l’en vînt empêcher. Il y eut même, lors de ces désordres, bien des meurtres commis; et tandis qu’ils faisaient cela, dans les grandes avenues de la ville, sur les places et dans les ruelles, ils acclamaient Nicé-phore le Victorieux. »[6][6] Ioannis Scylitzae Synopsis Historiarum, éd. I. Thurn,...
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Cette journée offre le prototype des émeutes qui agitèrent Constantinople pendant les deux siècles suivants.
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Nicéphore, devenu empereur, fut victime d’une curieuse mésaventure, qui témoigne cependant d’une nervosité nouvelle de la population. À Pâques 967, une rixe, qui fit de nombreuses victimes, éclata entre les équipages de la flotte et des Arméniens. L’empereur réunit la population à l’hippodrome et voulut lui exposer ce qu’était un engagement militaire. Or, lorsque les soldats rassemblés à l’hippodrome tirèrent l’épée sur l’ordre de l’empereur, la panique gagna la foule qui se précipita en masse vers les issues, au point que certains périrent piétinés. L’empereur calma la foule, mais quelques semaines plus tard, à l’Ascension, lors d’une cérémonie au forum des boulangers, les parents des victimes se mirent à injurier l’empereur, qui se retira précipitamment au Palais. L’incident l’aurait convaincu d’en renforcer les défenses; aussi fit-il ériger une puissante muraille supplémentaire [7][7] Toute l’affaire est rapportée par les chroniqueurs...

LA CRISE DU MILIEU DU XIe SIÈCLE
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Ces incidents restèrent isolés, et il faut attendre le milieu du XIe siècle pour voir la foule constantinopolitaine s’agiter à nouveau. Deux épisodes majeurs sont à retenir, la révolution des 20 et 21 avril 1042 et celle de la fin août 1057.
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En avril 1042, l’empereur Michel V, qui avait depuis peu succédé à son oncle décédé en décembre 1041, supportant mal l’autorité de sa mère adoptive, la vieille impératrice Zôè, fille de Constantin VIII et héritière légitime de l’Empire [8][8] Elle appartenait à la sixième génération de la dynastie..., décida de la reléguer dans un monastère proche de Constantinople. Michel croyait jouir du soutien de la population de la capitale, effectivement bienveillante tant qu’elle restait tenue sous le charme de ce jeune souverain, mais il se trompait lourdement. L’empereur avait pourtant préparé les esprits à la nouvelle de l’exil de l’impératrice, qui s’était déroulé en secret. Il révéla d’abord aux membres du sénat, c’est-à-dire aux hauts fonctionnaires, les raisons de sa décision : Zôè complotait contre lui, qui l’avait devancée dans ses noirs projets. Croyant s’être gagné le sénat et l’avoir convaincu, il lui fallait ensuite informer la population de la capitale. Ayant d’abord approché avec succès quelques-uns des responsables, il crut qu’il avait emporté l’affaire.
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Selon les chroniqueurs, le lendemain, dans la capitale tout entière, tous sexes, toutes conditions, tous âges confondus, se formèrent en petits groupes. Les gens s’enhardirent à parler, puis constatèrent qu’ils désapprouvaient le coup de force de l’empereur. Le jour suivant, l’unanimité s’était faite, y compris chez les fonctionnaires, au sein du clergé, et jusqu’aux gens de l’empereur. Les ouvriers des ateliers se préparaient à toutes les audaces, une bonne partie des troupes en place fit défection, y compris les Varanges, qui pourtant symbolisaient l’inébranlable fidélité envers l’empereur en place. La foule des marchands et des artisans (agoraion) s’enflamme et – spectacle insolite –, à la très grande surprise des contemporains, les femmes sortirent du gynécée, voulant défendre l’impératrice, tandis que les hommes accouraient dans l’intention d’incendier le palais.
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Après la stupeur, la violence. Les émeutiers s’en prirent aux belles demeures, celles des parents et des proches de l’empereur. Les toits furent détruits, les édifices en partie abattus pour mieux piller. Le fruit du pillage fut immédiatement remis sur le marché sans chicaner sur le prix. Dans un premier temps Michel V, surpris, ne réagit guère, car il estimait que la situation pouvait être rétablie sans effusion de sang. Lorsqu’il prit conscience que la foule se formait en bataillons, il resta indécis jusqu’à ce qu’il fût secouru par son oncle, le nobélissime Constantin, une des cibles des assaillants. Ce dernier, s’étant trouvé assiégé dans son palais, arma ses gens et réussit à sortir assez discrètement pour rejoindre le palais impérial. Il est à noter que, dans son palais, les rebelles découvrirent des registres fiscaux et les détruisirent.
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La décision de rappeler l’impératrice fut prise pour couper court à l’émeute, et les gardes du palais, archers et frondeurs, aidés d’un détachement de soldats provinciaux qui se trouvaient là par hasard, furent opposés à la foule qui assiégeait le palais. Nombreuses furent les victimes, mais la foule, un temps ébranlée, se reforma, sans doute parce qu’elle était encadrée par des militaires rebelles. L’impératrice Zôè, ramenée au palais, ne tint pas rigueur de son sort à son fils adoptif et compatit même à son sort. Michel V et Constantin présentèrent l’impératrice à un balcon du palais, mais contrairement à leur attente, le peuple, loin de se calmer à la vue de sa souveraine, s’émut de son sort.
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Les meneurs des rebelles, inquiets d’un retournement possible de la foule, cherchèrent une solution dynastique qu’ils découvrirent en la personne de la sœur de Zôè, l’autre princesse porphyrogénète, Théodora. Théodora et Zôè ne s’entendaient guère depuis que Zôè avait fait tonsurer sa sœur et l’avait reléguée dans le monastère du Pétrion à Constantinople; Théodora y résidait depuis des années, quasi oubliée. La foule se tourna vers elle, le deuxième rejeton impérial; on l’alla chercher en bon ordre, le cortège étant mené par Constantin Kabasilas, un serviteur de son père Constantin VIII. Théodora hésitait à les suivre; elle accepta finalement, et c’est revêtue des habits impériaux qu’elle fut escortée à Sainte-Sophie. À ce moment, le destin de Michel était scellé, car non seulement le peuple, mais toute l’élite rendit hommage à la souveraine.
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Michel V chercha à s’enfuir et gagna le monastère du Stoudios où il abandonna l’habit impérial. Toute la capitale se réjouit de la nouvelle et la foule se précipita vers le Stoudios pour faire un mauvais sort à l’empereur déchu et à son oncle. Une troupe, envoyée par Théodora pour se saisir de leur personne, les arracha à ce lieu d’asile et procéda à leur aveuglement. Le succès de l’intervention populaire en 1042 explique sans doute que désormais la population s’immisce dans les affaires de la capitale, et donc de l’Empire.
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Le règne de Constantin Monomaque témoigne encore de quelques chaudes journées lorsque cet empereur voulut associer sa maîtresse, Marie Sklèraina, aux acclamations impériales et surtout, en juillet 1054, lorsque le patriarche Michel Cérulaire suscita ou laissa se développer un mouvement de protestation contre les envoyés pontificaux, dont le cardinal Humbert, et leurs prétendus alliés dans la capitale.
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Mais le second mouvement populaire de grande envergure dont on perçoit clairement les enjeux fut provoqué à nouveau par une lutte pour le pouvoir suprême. La dernière descendante de la dynastie macédonienne, l’impératrice porphyrogénète Théodora, s’éteignit en 1056, sans descendance, ni proche parenté. Avant sa mort, influencée par son entourage d’eunuques soucieux de garder leur influence et leurs charges lucratives, l’impératrice avait désigné pour lui succéder un ancien administrateur des forces armées, d’un âge assez avancé pour le faire affubler du surnom de « Vieux », Michel VI Bringas. Ce dernier fut couronné sans difficulté, mais se heurta rapidement à plusieurs groupes sociaux : l’armée des provinces d’Orient, de grandes familles aristocratiques de la capitale, dont celle du patriarche Michel Cérulaire.
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Michel VI n’avait pas accédé aux demandes des militaires d’Orient qui réclamaient des promotions et avait même renvoyé leurs chefs avec des paroles peu amènes; ceux-ci décidèrent alors de se rebeller et portèrent à leur tête l’un des meilleurs généraux de l’époque, issu d’une famille qui avait été appréciée de Basile II, Isaac Comnène. L’entreprise était moins facile qu’il n’y paraissait, car si Isaac parvint, après de durs combats, à contrôler l’Asie Mineure, il lui restait à s’emparer de Constantinople, ville sans laquelle ses prétentions impériales seraient réduites à néant. Or, lors des dernières rébellions militaires, sous Basile II et sous Constantin IX Monomaque, les succès en rase campagne n’avaient conduit qu’à la mort ou à l’aveuglement des rebelles, qui avaient échoué devant la mégalopole. Cependant, en août 1057, lorsque Isaac Comnène s’approchait du Bosphore, il rencontra des émissaires du patriarche venus lui annoncer que Michel VI s’étant retiré, il n’y avait plus d’obstacle, désormais, à son propre couronnement.
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Pour saisir ce qui s’est passé, nous disposons de deux documents exceptionnels : un Éloge du patriarche et un Acte d’accusation contre le même patriarche, tous deux rédigés par le plus grand intellectuel de son temps, Michel Psellos, qui fit preuve, en cette occasion, de son opportunisme habituel.
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Si le jugement que porte Psellos sur le comportement du patriarche dépend de la nature du texte qu’il rédige, sa description de l’action de Cérulaire reste cohérente. Le patriarche qui avait, en secret, partie liée avec le rebelle Isaac Comnène, dont un des principaux lieutenants, Constantin Doukas, était son parent par alliance, invita l’empereur en place, Michel VI, à renoncer aux attributs impériaux. Apparemment il fit davantage, car en attendant la venue de Comnène, il nomma des fonctionnaires et, selon l’Acte d’accusation, incita la foule à attaquer les partisans du régime pré-cédent. Les palais des dignitaires restés fidèles à Michel VI furent pillés puis rasés [9][9] Acte d’accusation = E. Kurtz-F. Drexl, Michaelis Pselli.... Psellos porte des accusations très précises à l’encontre du patriarche : « Les maisons étaient abattues, la garde assiégée. Les uns essayaient de résister à ses efforts; d’autres se rendaient volontairement. Tout était rempli de troubles et de tumulte. La ville était soulevée comme par un cataclysme... Les uns percent les maisons et les soulèvent avec un levier, malgré les efforts et la résistance de leurs gardiens. Ceux-ci sont abattus à coups de cognée, transpercés par les épées, blessés mortellement par les haches. Ils gisent en tas : l’un la tête tranchée, un autre la poitrine percée d’outre en outre, un autre les jambes brisées... [10][10] Acte d’accusation, p. 291. » Pire scandale : au nombre des assaillants se comptaient des moines, à qui l’É glise interdisait strictement de verser le sang.
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La charge de Psellos pourra sembler virulente, mais le patriarche n’en était pas à son coup d’essai, puisqu’à plusieurs reprises, il avait suscité des manifestations violemment hostiles aux Latins et à la politique d’accommodement à leur égard de l’empereur du moment, Constantin Monomaque  [11][11] Sur les événements de juillet 1054, voir en dernier...

LE RENOUVEAU DES TROUBLES AVANT 1204
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Avec les Comnènes s’opère un vrai retour au calme, même si les Constantinopolitains ont mis longtemps à oublier l’assaut d’Alexis Comnène contre la capitale en avril 1081 et le pillage de la ville par les troupes étrangères du futur empereur, à moins que cette sauvagerie ne soit une des raisons de la tranquillité retrouvée.
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Les Comnènes entretinrent de bonnes relations avec la « reine des villes », d’abord parce qu’ils rétablirent la sécurité : pendant près d’un siècle, aucune armée ennemie ou rebelle ne campa devant les murs de la ville. Cependant la fin du XIIe siècle marque un nouveau tournant, la régence d’une impératrice d’origine latine, Marie d’Antioche, provoquant l’instabilité du pouvoir suprême. Le quart de siècle qui précède la conquête de Constantinople par les Latins connut de nombreuses journées d’agitation, la plupart dues aux rivalités des membres de la famille impériale, prétendant à un pouvoir qui semblait soudain devenu accessible. Il serait fastidieux d’énumérer tous ces événements et je n’en retiendrai que trois, caractéristiques des ressorts de l’action populaire.
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Au printemps 1182, Andronic Comnène, cousin et vieux rival de l’em-pereur Manuel mort deux ans auparavant, quitta sa province d’exil pour prendre le pouvoir. Il disposait d’une armée modeste, mais sut exploiter le sentiment anti-latin répandu dans l’opinion constantinopolitaine. Avec l’aide de ses partisans, recrutés dans la province reculée de Paphlagonie, il suscita une attaque meurtrière contre les quartiers où résidaient les marchands latins et trouva très vite le soutien d’une bonne partie de la population de la capitale, notamment des ecclésiastiques. Ironie du sort, Andronic périt à son tour en septembre 1185, victime d’une rébellion des Constantinopolitains furieux de ce qu’Andronic se fût révélé incapable d’arrêter l’armée normande qui avait réussi à prendre Thessalonique et s’apprêtait à marcher vers la capitale. Ces mouvements marquent un progrès de la xénophobie [12][12] C. M. Brand, Byzantium confronts the West (1180-1204),....
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Le 31 juillet 1201, Jean Comnène Axouch tentait de s’emparer du trône. Cet épisode n’aurait rien de bien notable en ces années où de telles entreprises se multipliaient, si le récit détaillé des événements ne nous avait été rapporté par un témoin peu préoccupé de politique, Nicolas Mésaritès, gardien de l’église impériale de la Vierge du Pharos où étaient conservées de très précieuses reliques du Christ. Le témoignage de Mésaritès est celui d’un homme qui n’a pas de recul et ne peut observer qu’une partie de l’action. Il passa la nuit à défendre le trésor de son église contre les émeutiers qui ne cherchaient qu’à s’enrichir. À cette occasion, on remarque que toutes les nationalités présentes dans cette ville cosmopolite participèrent au pillage, Occidentaux aussi bien qu’Orientaux. Au cours de l’émeute, on apprend que l’atelier monétaire du palais a été attaqué et que tous les stocks de métaux précieux furent dérobés [13][13] Nicolas Mésaritès, Die Palastrevolution des Johannes....
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Enfin vers 1200, l’empereur Alexis III Ange, à court d’argent, avait arrêté le banquier Kalomodios, qui passait pour le plus riche de son temps, et confisqué ses biens. À l’annonce de ces faits, les gens du marché s’organisèrent par métiers; ils marchèrent sur Sainte-Sophie et extorquèrent du patriarche une lettre exigeant la libération de Kalomodios, ce qui advint finalement, sans effusion de sang [14][14] I. A. Van Dieten, Nicetae Choniatae Orationes et Epistulae...
 
Des conditions propices...

CROISSANCE DES VILLES
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L’Empire byzantin est souvent associé à l’idée d’une civilisation urbaine, comme l’État romain, dont il est l’héritier, ou l’Empire musulman, son contemporain, en partie formé des anciennes provinces les plus urbanisées de l’Empire (Syrie, Palestine, Égypte). En réalité, comme l’ont bien relevé des observateurs arabes, l’Empire, durant les premiers siècles du Moyen Âge est un État formé de villages et de kastra, forteresses de superficie restreinte et peu peuplées. Il faut attendre deux siècles pour que les premiers effets du retournement de conjoncture, daté du milieu du VIIIe siècle, qui vit la dernière épidémie de peste, se fassent sentir [15][15] À propos de la nouvelle appréciation, positive, sur... et que Constantinople retrouve progressivement un niveau de population qui la conduira à compter à nouveau plusieurs centaines de milliers d’habitants [16][16] Les historiens ne s’accordent pas sur le nombre des.... Remarquons que les empereurs veillèrent à ce que cet accroissement ne conduisît pas à des émeutes de la faim, et se soucièrent constamment que l’approvisionnement en blé fût suffisant [17][17] Il y eut peu d’exceptions à cette règle. Sous Nicéphore.... Il est difficile d’évaluer la population des autres villes de l’Empire, mais Antioche, sans avoir retrouvé son importance du temps de l’Antiquité, pourrait bien être redevenue la seconde ville de l’Empire, peuplée de Grecs, de Syriaques, d’Arabes et d’Arméniens. Ce n’est donc point un hasard si cette ville connut à plusieurs reprises des émeutes de même nature que celles de la capitale [18][18] Cf. à titre d’exemple le récit de Bryennios (Nicephori...

DÉMILITARISATION
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La capitale byzantine avait été fortement défendue tant que les Arabes et les Bulgares étaient susceptibles de mettre le siège devant la ville ou, à tout le moins, de menacer les provinces qui la nourrissaient, Thrace et Bithynie. De forts contingents étaient stationnés, mais assez rarement dans la ville, car les empereurs évitaient les fortes concentrations de soldats, logés trop près du palais et dont l’hébergement risquait aussi d’entraîner des troubles avec les habitants; ces garnisons étaient donc le plus souvent établies dans les provinces qu’on vient de nommer. Si l’empereur avait à craindre des coups d’État militaires, en revanche il ne risquait rien du côté de la population de Constantinople [19][19] Sur cette question, voir en dernier lieu, J. Haldon,....
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À partir du Xe siècle, la menace extérieure diminua au point que les armées furent progressivement concentrées aux frontières, si bien qu’en 1047, lorsque Constantin Monomaque fut confronté à la rébellion de Léon Tornikios, qui s’appuyait en partie sur des vétérans démobilisés de l’armée d’Occident, il ne put réunir que les maigres effectifs de la garde palatine, les gardes privées des sénateurs résidant en ville et la milice issue des corps de métiers, qui se contentait normalement de garder les murailles. Tout ce monde se fit bousculer par les soldats de Tornikios et vint trouver refuge derrière les murs en attendant que l’armée d’Orient restée fidèle à l’empereur fût revenue du Caucase, où elle faisait campagne, pour disperser les rebelles [20][20] Sur ces événements, cf. J. Lefort, « Rhétorique et.... L’installation des Seldjoukides en Asie Mineure n’a pas modifié cette situation, à l’exception des brefs moments où l’empereur achevait les préparatifs d’une campagne.
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Les forces installées en permanence dans la capitale, composées notamment des fameux Varanges réputés pour leur fidélité absolue à l’empereur en place, suffisaient, en principe, à défendre le palais impérial et ses abords, mais ne pouvaient s’opposer à une manifestation de grande ampleur. Si l’émeute qui conduisit au renversement de Michel V fut si sanglante – elle aurait provoqué la mort de plusieurs milliers de personnes – c’est que séjournait par hasard à Constantinople une troupe de retour de Bulgarie qui rentrait dans ses quartiers des Arméniaques et parce qu’une partie de la garde avait rejoint les émeutiers [21][21] G. G. Litavrin, Sovety i rasskazy Kekavmena (Cecaumeni...

AFFAIBLISSEMENT DU POUVOIR IMPÉRIAL
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La chronologie des principaux troubles coïncide assez précisément avec la fin de la lignée impériale des Macédoniens, lorsqu’il devint clair qu’après la mort des filles de Constantin VIII, une nouvelle dynastie s’établirait, conduite par celui des aristocrates les plus en vue qui saurait s’imposer. Cettesituation entraîna de nombreuses rébellions militaires, dont celle, que nous avons évoquée, d’Isaac Comnène. La victoire définitive des Comnènes ramena le calme pour un siècle. En 1180, la mort de Manuel Comnène conduisit à nouvel épisode de luttes dynastiques, avec l’usurpation sanglante d’Andronic Comnène, puis l’arrivée au pouvoir, de manière inopinée, d’Isaac Ange. Le succès inattendu de ce dernier inspira de nombreux aristocrates, mais ce fut Alexis, son frère, qui réussit à le détrôner en 1195. Tout cela ne grandit point aux yeux de leurs sujets des empereurs de hasard.

Les meneurs et les enjeux
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Les récits des journées qui marquèrent la capitale aux XIe et XIIe siècles offrent peu d’informations sur les meneurs et les participants, car les chroniqueurs qui rapportent les événements, Michel Psellos, Michel Attaleiatès, Jean Skylitzès, Jean Zônaras ou Nicétas Chôniatès sont tous de hauts fonctionnaires, proches du palais. Ils voient dans la foule en mouvement d’abord la populace (ochlos) ou une bande de brigands (lochos lèstrikos) [22][22] Lorsque la foule rétablit en 1042 les impératrices..., mais ils notent fréquemment que la foule vient de l’agora, c’est-à-dire des boutiques, et qu’elle est organisée kata systèmata ou kata phratrias, donc selon les corps de métiers. L’empereur Isaac Comnène, un militaire, sut récompenser ceux qui avaient œuvré à son accession au trône et honora de dignités convenables les gens du peuple (dèmotikon) [23][23] Michel Attaleiatès, ?I??????, éd. I. Bekker, Bonn,.... Son successeur, Constantin Doukas, réunit, lors de son avènement, « les corps de métiers » (sômateia) de la capitale et leur adressa des paroles pleines de douceur. Puis il distribua les honneurs dont les bénéficiaires furent en grand nombre les gens de l’agora et du sénat [24][24] Idem, p. 70-71.. Nicéphore Botaneiatès, autre général qui, en 1078, connut le même bonheur, rétribua les gens de métiers (banausoi) par milliers [25][25] Idem, p. 275. au point de déséquilibrer le budget de l’État.
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Nous connaissons assez bien les corps de métiers, grâce au Livre de l’éparque, rédigé sous Léon VI, mais qui reste en vigueur durant les siècles suivants. Certains métiers, ceux qui touchent à la soie ou qui concernent le maniement de l’argent (changeurs et orfèvres), comptaient parmi leurs membres des gens fort riches, plus que des fonctionnaires de rang moyen. Ils avaient normalement leur entrée au Palais où ils étaient chargés de la décoration lors de certaines fêtes et où ils participaient aux cérémonies de la cour, notamment lors de la réception des ambassades. Ce groupe n’était pas homogène, car la richesse des professions en rapport avec les produits de luxe était sans commune mesure avec la médiocrité de vie d’un épicier ou d’un boulanger [26][26] Un Cérulaire du Xe siècle pouvait disposer d’un capital....
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Quel est le poids politique de ce groupe [27][27] Sur le rôle des guildes, cf. M. Angold, The Byzantine... ? Il est craint des empereurs, puisque ceux du XIe siècle, gardant en mémoire le sort malheureux de Michel V, l’introduisirent au sénat. Mais la capacité militaire des gens de métiers est limitée. Confrontés à des troupes professionnelles, ils cèdent assez vite à la panique. La réussite de certains mouvements populaires est due au soutien qu’ils ont obtenu chez ceux qui savent manier les armes, soldats de la garde ralliés lors de la chute de Michel V, et, lors de la démission contrainte de Michel VI, les hommes de main des aristocrates et fonctionnaires qui dirigeaient les opérations. Les gens de métier n’imaginent pas de placer un des leurs sur le trône. S’il faut une preuve, il suffira de rappeler qu’en abattant Michel V, ils ont éliminé le seul empereur dont le père était un artisan, ce qui avait valu au fils le surnom de Calfat. Ils ont donc toujours joué le rôle d’auxiliaires, ce qui ne leur interdisait pas de souligner leurs revendications, notamment économiques.
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La redistribution des immenses trésors accumulés dans la capitale [28][28] Rappelons l’émerveillement des croisés occidentaux... constituait l’un des enjeux évidents de la plupart des émeutes. Piller les palais des aristocrates les plus riches, c’était emporter les biens meubles, le numéraire, les bijoux, les soieries, qui formaient le trésor normal des grandes familles [29][29] Le gros de la fortune des aristocrates, du moins ceux... et, dans la mesure où ces fortunes étaient principalement constituées par les revenus des fonctions exercées sur ordre du souverain et par les dignités octroyées par les empereurs, autrement dit provenaient des impôts perçus sur la population, la récupération de ces richesses était considérée comme un juste retour des choses. Lors de la révolution de 1042, qui fut légitimée par son succès même, Michel Attaleiatès rapporte que « d’autres [émeutiers] assiégeant les demeures des parents de l’empereur et des puissants du jour, les démolissaient sur le champ et dissipaient des richesses accumulées grâce à d’innombrables injustices et aux gémissements des pauvres. On n’épargna même pas les églises et les monastères qu’ils avaient somptueusement et richement construits; ces édifices aussi furent pillés, et, tels des lieux maudits, ils furent profanés et dépouillés. [30][30] Michel Attaleiatès, p. 15. » Ensuite le « destructeur emportait sans exception ce qu’il avait brisé ou abattu et le mettait en vente, sans chicaner sur le prix. [31][31] Michel Psellos, Chronographie, éd. Renauld, Paris,... » L’ardeur au pillage des émeutiers de 1182 relève du même désir d’enrichissement, avec d’autant meilleure conscience que les victimes étaient « étrangères » et qu’en même temps étaient éliminés ceux qui apparaissaient comme des concurrents favorisés par les empereurs précé-dents.
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L’agitation est souvent liée à la question fiscale, c’est-à-dire évidemment à l’alourdissement des impôts [32][32] Des révoltes provinciales ont éclaté en raison de prélèvements.... Il est caractéristique que lors du renversement de Michel V, révolte qui n’avait pas ce motif pour première raison mais se produisit à une époque où les empereurs s’efforçaient d’améliorer l’efficacité du fisc, il se trouva des émeutiers pour détruire les registres fiscaux qu’ils découvrirent dans le palais du nobélissime Constantin, l’oncle du souverain. « Ils brisèrent les portes du palais, y pénétrèrent, s’emparèrent de l’or qui était déposé dans les bureaux et de tout ce qu’ils y trouvèrent, déchirèrent aussi les registres de l’impôt, puis cherchèrent à s’emparer de l’empereur. » C’est pourquoi en juillet 1201, l’atelier monétaire fut une des premières cibles car s’y trouvaient normalement stockées les monnaies d’or ou d’argent nouvellement frappées et les réserves métalliques destinées à cet usage, réserves qui provenaient pour l’essentiel des impôts prélevés antérieurement.
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C’est avec les difficultés financières que rencontrent les empereurs à la fin du XIIe siècle, que la corrélation entre les émeutes et les demandes fiscales devient la plus nette. Ainsi, lorsqu’en 1196 l’empereur Alexis Ange réunit les sénateurs, les hauts fonctionnaires et des représentants des corps de métiers pour proposer un nouvel impôt destiné à apaiser l’empereur d’Allemagne, Henri VI, qui exigeait cette aide pour préparer une croisade, impôt connu pour cette raison sous le nom d’alémanikon, il rencontra une forte résistance, qui témoigne de l’affaiblissement du pouvoir impérial, contraint de négocier des arrangements financiers avec les contribuables. Des voix s’élevèrent qui critiquèrent la façon dont l’empereur gaspillait l’argent public [33][33] Nicétas Chôniatès, p. 478.. L’empereur, pour éviter l’émeute, dut renoncer et se contenta de dépouiller de leurs ornements d’or et d’argent les tombes de ses prédécesseurs.
37

La pression des corps de métiers ne fut pas vaine, car ils furent plus largement associés aux distributions des richesses impériales; leurs chefs reçurent des dignités, assez élevées pour offrir l’accès au sénat, et donc les rogai qui les accompagnaient, postérieurement au renversement de Michel V, coïncidence qui ne doit rien au hasard. D’importantes promotions furent en effet décidées sous les règnes de Constantin Monomaque (1042-1055) et de Constantin Doukas (1069-1067) [34][34] P. Lemerle, Cinq É tudes sur le XIe siècle byzantin,.... Les informations manquent sur le siècle des Comnènes. Il ne faut pas se laisser abuser par les récits censés montrer l’hostilité d’Alexis Ier à l’égard des marchands-sénateurs [35][35] Zônaras, éd. Bonn, III, p. 729., car le calme qui régna à Constantinople suggère que les empereurs de la dynastie surent se concilier les corps de métiers. À la fin du XIIe siècle, les empereurs conférèrent de nouveau les plus hautes dignités à des gens de métiers [36][36] Nicétas Chôniatès, p. 534. Au grand scandale de Chôniatès,....
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Les mouvements populaires, qui agitèrent la capitale, ne furent pas sans influence sur la vie politique de l’Empire. Toutefois, on remarque, sans surprise, que les émeutes ont été soit manipulées dès leur déclenchement, soit très vite récupérées par des factions qui luttaient pour le pouvoir suprême. La force principale qui apparaît le plus souvent au cœur de l’action, les corps de métiers, semble avoir quelques objectifs clairs : pas d’impôts nouveaux, pas de confiscations abusives, pas de privilèges excessifs à l’égard des étrangers. Les corps de métiers ne semblent pas avoir nourri l’ambition de participer au gouvernement de l’Empire, même si les empereurs ont manifesté à plusieurs reprises le souci de leurs intérêts en octroyant aux plus en vue d’entre les marchands des dignités qui les intégraient aux élites, en les faisant entrer, comme on l’a vu, au sénat. Or cette institution reprit de l’importance au XIe siècle, en raison de l’instabilité politique. Les empereurs ne dédaignaient pas de chercher conseil auprès de cette assemblée.
39

À l’époque médiobyzantine, l’agitation populaire s’est concentrée à Constantinople, seule mégalopole de l’Empire, en dépit d’une renaissance certaine des autres villes à partir du Xe siècle. En effet, les troubles signalés hors de la capitale, qui sont peut-être sous-estimés en raison du caractère constantinopolitain de nos sources, n’affectèrent guère qu’Antioche, cité en pleine expansion au XIe siècle, mais paraissent avoir épargné l’autre centre urbain majeur, Thessalonique, seconde ville de l’Empire au XIIe siècle. Le retour des troubles manifeste paradoxalement la bonne santé démographique de l’Empire, liée à l’essor de l’artisanat et du commerce, encore que les émeutes de la fin du XIIe siècle annoncent certains traits de l’époque des Paléologues, lorsque la population, en voie de diminution et de plus en plus attachée à l’ethnicité grecque, exprime sa crainte d’être exposée à un assaut des ennemis et reproche aux empereurs leur incapacité à défendre l’intégrité territoriale de l’Empire.

Jean-Claude Cheynet


Notes

[1]

L’étude de référence sur ce thème reste celle de Sp. Vryonis, Byzantine ? HMOKRATIA and the Guilds in the Eleventh Century, DOP XVII, 1963, p. 289-314.
[2]

Cette thèse fut proposée dès 1904 par G. Manojlovic´, puis popularisée par H. Grégoire et enfin poussée jusqu’à l’absurde par J. Jarry, Hérésies et factions dans l’Empire byzantin du Ve au VIIe siècle, Le Caire, 1968.
[3]

A. Cameron, Circus Factions. Blues and Greens at Rome and Byzantium, Oxford, 1976. On y trouve une bonne critique de toutes les théories proposées antérieures à sa propre étude.
[4]

Le plus fameux d’entre les cochers s’appelait Porphyrios et fut une vedette de l’hippodrome pendant plusieurs décennies, dans la première moitié du VIe siècle. Sur ce personnage, voir A. Cameron, Porphyrius the Charioteer, Oxford, 1973.
[5]

C. Zuckerman, « Le cirque, l’argent et le peuple. À propos d’une inscription du Bas-Empire », Revue des É tudes byzantines, 58,2000, p. 69-96.
[6]

Ioannis Scylitzae Synopsis Historiarum, éd. I. Thurn, CFHB V, Series Berolensis, Berlin – New York, 1973, p. 258, abrégé désormais Skylitzès.
[7]

Toute l’affaire est rapportée par les chroniqueurs (Skylitzès, p. 276).
[8]

Elle appartenait à la sixième génération de la dynastie macédonienne, au pouvoir depuis l’usurpation de Basile Ier en 867.
[9]

Acte d’accusation = E. Kurtz-F. Drexl, Michaelis Pselli scripta minora magnam partem adhuc inedita I, Milan, 1936, p. 283 ; Skylitzès, p. 499.
[10]

Acte d’accusation, p. 291.
[11]

Sur les événements de juillet 1054, voir en dernier lieu, M. Kaplan, « Le ‘‘schisme’’ de 1054. Quelques éléments de chronologie », Byzantinoslavica, LVI/1,1995, p. 147-157.
[12]

C. M. Brand, Byzantium confronts the West (1180-1204), Cambridge, Mass., 1968, p. 222-256.
[13]

Nicolas Mésaritès, Die Palastrevolution des Johannes Komnenos, éd. A. Heisenberg, Wurtzbourg, 1907, p. 25-26.
[14]

I. A. Van Dieten, Nicetae Choniatae Orationes et Epistulae (CFHB III, Series Berolinensis), Berlin – New York, 1972 (= Nicétas Chôniatès), p. 523-524.
[15]

À propos de la nouvelle appréciation, positive, sur l’économie byzantine entre 900 et 1200, cf. A. Harvey, Economic Expansion in the Byzantine Empire 900-1200, Cambridge, 1989.
[16]

Les historiens ne s’accordent pas sur le nombre des habitants, qui varie, selon leurs estimations, entre 250 000 et 400 000 (D. Jacoby, « La population de Constantinople à l’époque byzantine : un problème de démographie urbaine », Byzantion 31,1961, p. 81-109, repris dans Société et démographie à Byzance et en Romanie latine, Londres, 1975, no I). La répartition géographique de l’habitat a changé par rapport à l’Antiquité, les rives de la Corne d’Or, où sont établis les quartiers des Latins, attirant désormais une population plus nombreuse.
[17]

Il y eut peu d’exceptions à cette règle. Sous Nicéphore II Phocas, la cherté du blé, dont tira profit son frère Léon, provoqua un retournement de l’opinion publique de Constantinople qui avait acclamé Nicéphore en 963 et ne soutint pas Léon, lorsque Nicéphore fut assassiné en 969. De même l’impopularité de Michel VII (1071-1078) correspond à une crise frumentaire provoquée par l’avance rapide des Turcs en Asie Mineure.
[18]

Cf. à titre d’exemple le récit de Bryennios (Nicephori Bryennii historiarum libri quattuor, introduction, texte, traduction et notes par P. Gautier, CFHB, series Bruxellensis IX, Bruxelles, 1975, p. 205-207) sur les émeutes de 1073 ou 1074 : « Ils [les émeutiers] armèrent le peuple contre les hauts fonctionnaires et le duc [représentant de l’empereur dans la ville]. Ils bloquèrent ce dernier dans l’acropole dont ils occupèrent les accès, en tuèrent quelques-uns cependant que d’autres saccageaient les maisons des archontes et se saisissaient de leur fortune. » Les raisons de ces désordres ne sont pas faciles à établir. Il pouvait s’agir de rivalités ethniques, d’une opposition religieuse entre chalcédoniens et jacobites ou, plus vraisemblablement, d’une manifestation de la guerre civile qui opposait encore d’anciens partisans de Romain IV Diogène aux soutiens du nouveau régime de Michel VII Doucas.
[19]

Sur cette question, voir en dernier lieu, J. Haldon, « Strategies of defense, problems of security : the garrissons of Constantinople in the middle Byzantine period », Constantinople and its Hinterland, éd. par C. Mango et G. Dagron, Aldershot, 1995, p. 143-155.
[20]

Sur ces événements, cf. J. Lefort, « Rhétorique et politique. Trois discours de Jean Mauropous en 1047 », TM, 6,1976, p. 265-303.
[21]

G. G. Litavrin, Sovety i rasskazy Kekavmena (Cecaumeni consilia et narrationes), Moscou, 1972, p. 284-286
[22]

Lorsque la foule rétablit en 1042 les impératrices porphyrogénètes aux dépens de Michel V, avec l’appui de l’É glise et des hauts fonctionnaires, elle redevient le dèmos constitué des politai (habitants de la cité-polis).
[23]

Michel Attaleiatès, ?I??????, éd. I. Bekker, Bonn, 1853, p. 60.
[24]

Idem, p. 70-71.
[25]

Idem, p. 275.
[26]

Un Cérulaire du Xe siècle pouvait disposer d’un capital de plusieurs dizaines de livres d’or (G. Moravcsik–R.J.H. Jenkins, Constantine Porphyrogenetus, De administrando imperio, éd. G. Moravcsik, traduction anglaise par R.H.J. Jenkins, Washington DC, 19672, p. 244), alors qu’un boulanger ne possédait pas nécessairement sa boutique et gagnait au mieux quelques dizaines de pièces d’or, ce qui le mettait au-dessus des salariés.
[27]

Sur le rôle des guildes, cf. M. Angold, The Byzantine Empire, 1025-1204. A political history, Londres-New York, 1972, p. 93-98.
[28]

Rappelons l’émerveillement des croisés occidentaux devant le luxe des palais impériaux et aristocratiques ainsi que le nombre et l’éclat des églises de la capitale (Villehardouin, La conquête de Constantinople I, éd. É. Faral, Paris, 1973, § 128).
[29]

Le gros de la fortune des aristocrates, du moins ceux qui résidaient dans la capitale, n’était pas constitué de biens fonciers, mais de biens meubles; cf. J.-Cl. Cheynet, « Fortune et puissance de l’aristocratie (Xe -XIIe siècle) », dans Hommes et richesses dans l’Empire byzantin VIIIe - XVe siècle, II. É d. V. Kravari, J. Lefort et C. Morrisson, Paris, 1991, p. 199-213.
[30]

Michel Attaleiatès, p. 15.
[31]

Michel Psellos, Chronographie, éd. Renauld, Paris, 19672 I, p. 105.
[32]

Des révoltes provinciales ont éclaté en raison de prélèvements fiscaux jugés excessifs. Dans un cas au moins, la protestation a pris une forme violente. Sous Constantin VIII (1025-1028), le stratège de Naupacte fut tué, et on « pilla aussi tous ses biens parce qu’il avait maltraité les gens du pays, qu’il accablait sans cesse sous le poids des impôts qu’il inventait. » (Skylitzès, p. 372).
[33]

Nicétas Chôniatès, p. 478.
[34]

P. Lemerle, Cinq É tudes sur le XIe siècle byzantin, Paris, 1977, p. 289-291.
[35]

Zônaras, éd. Bonn, III, p. 729.
[36]

Nicétas Chôniatès, p. 534. Au grand scandale de Chôniatès, l’empereur Alexis III avait fait d’un artisan un dignitaire et lui avait confié un commandement régional. Son frère Isaac II vendait déjà les dignités « comme des légumes au marché » (ibid., p. 444).

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