Il existe un grand nombre de versions de ce qui s’est réellement passé, mais je pense que l’explication la plus probable pour ce « clic » est la combinaison de deux événements :
Les États-Unis ont fait tout leur possible pour éviter de donner l’impression d’attaquer les forces russes ou iraniennes en Syrie. Avec ce genre de règles d’engagement, la liste des cibles et la trajectoire de vol des missiles étaient faciles à prédire pour les défenses aériennes syriennes.
Les défenses aériennes syriennes, maintenant intégrées aux réseaux russes C4ISR et probablement modernisées, ont donné de meilleurs résultats que ce à quoi la plupart s’attendait.
Honnêtement, je ne sais pas qui aux États-Unis devrait avoir le mérite d’avoir fait ce qu’il fallait, mais cette personne ou ces personnes méritent notre gratitude collective. Des rumeurs disent que c’était Mattis, d’autres désignent Dunford et certains même Trump (j’en doute). Encore une fois, je ne sais pas qui l’a fait, mais cette action mérite une grande ovation. Que cette triste performance (prévisible) ait été ensuite recouverte de déclarations stupides à propos d’une « frappe parfaite » et autre « tous les missiles ont atteint leur cible » est une procédure standard, un exercice basique pour sauver la face et une tentative d’apaiser les néocons toujours assoiffés de sang. La leçon la plus importante de ce dernier développement est qu’il y existe encore quelques personnes dans des positions clé aux États-Unis qui ont fait ce qui devait être fait pour éviter une escalade catastrophique en Syrie. La question est maintenant de savoir combien de temps ces « forces saines d’esprit » (faute d’une meilleure identification) vont continuer à résister aux « fous ».
Cela va sans dire, le lobby israélien et les néocons sont absolument furieux. Et pour ajouter l’insulte à l’injure, les Russes disent maintenant qu’ils veulent fournir des batteries S-300 aux Syriens (qui seraient capables de suivre et de frapper les avions israéliens pratiquement depuis leur décollage). Je dirais que les Israéliens l’ont fait eux-mêmes avec leurs propres frappes de missiles au pire moment possible, mais le fait qu’ils se le soient infligé à eux-mêmes ne le rend pas moins douloureux pour les Israéliens.
Mais le plus grand problème est que ce résultat, très positif en soi, ne résout rien. Les principales questions non résolues sont :
- Quelqu’un, en particulier le Conseil de sécurité de l’ONU et/ou la Russie peut-il opposer son « véto » aux actes de l’hégémonie anglosioniste partout sur la planète ? La position américaine officielle est un « non ! » catégorique. Le résultat en Syrie, pourtant, suggère fortement un « oui ».
- Les États-Unis sont-ils prêts à accepter le fait que l’Hégémon a échoué à renverser le gouvernement syrien et que les Syriens ont gagné la guerre ? La position américaine officielle à ce sujet a fait volte-face à plusieurs reprises, mais je dirais que le camp du « non » est beaucoup plus fort que le camp du « oui ». L’attitude américaine actuelle en Syrie suggère fortement que les États-Unis ne sont pas encore tout à fait prêts à « proclamer la victoire et à s’en aller ».
- Les (pseudos) attaques chimiques sous fausse bannière contre les Skripal et à Douma ont-elles suffi pour soumettre à nouveau l’UE post-Brexit à l’Anglosphère et les Anglosionistes ont-ils réussi à forger un front uni pour une « croisade contre la Russie » ? La majorité des gouvernements de l’UE se sont montrés prêts à cautionner n’importe quelle absurdité ou violation du droit international sous prétexte de « solidarité », mais il y a déjà quelques fêlures dans cette unité apparente.
Fondamentalement, notre planète tout entière doit choisir entre deux ordres mondiaux qui s’excluent mutuellement…
Le problème pour les Anglosionistes est que si la plupart des dirigeants occidentaux ont accepté ces termes (c’est ce que signifie « solidarité » aujourd’hui), le reste de la planète est tranquillement mais activement en train de chercher des moyens d’explorer d’autres options et certains pays relativement faibles et/ou petits (la Bolivie par exemple) sont même prêts à rejeter ouvertement ce diktat anglosioniste. Quant à la Russie et à la Chine, elles sont déjà de facto en train de créer un nouveau monde multipolaire alternatif, où l’anglosphère sera réduite à n’être qu’« une parmi beaucoup d’autres » et pas le genre de race des seigneurs planétaire que ses dirigeants s’imaginent être.
Il est intéressant de noter que la principale tactique choisie par l’« Occident collectif » pour répondre à ces défis a été de s’enfoncer dans le déni et de se préoccuper beaucoup plus des perceptions que des faits sur le terrain. D’où la « frappe parfaite ». C’est Carl Rove qui l’a le mieux formulé lorsqu’il a dit : « Nous sommes maintenant un empire, et lorsque nous agissons, nous créons notre propre réalité. Et pendant que vous étudiez cette réalité – judicieusement, comme vous le ferez – nous agirons à nouveau, créant d’autres réalités nouvelles, que vous pouvez étudier aussi, et c’est ainsi que les choses vont s’arranger. Nous sommes des acteurs de l’histoire… et vous, vous tous, vous serez réduits à étudier ce que nous faisons. »
Dans les années 1990, il y avait une expression populaire, mais non attribuée, qui disait : « Vous n’avez pas gagné avant que CNN ne dise que vous avez gagné. » Aujourd’hui, nous assistons à quelque choses de similaire, mais inversé : vous n’avez pas perdu jusqu’à ce que CNN dise que vous avez perdu. J’ai éprouvé un étrange sentiment de déjà vu lorsque Trump a tweeté : « Mission accomplie », répétant exactement les mêmes mots que Dobelyou avait prononcés sur son porte-avion juste avant que l’enfer ne se déchaîne vraiment en Irak (je peux imaginer comment les gens au CENTCOM, dont on dit qu’ils sont vraiment fâchés, doivent avoir grimacé en entendant ça !). J’espère que Marx avait raison lorsqu’il a dit que « l’Histoire se répète, la première fois comme tragédie, la seconde comme farce ». Le Moyen-Orient, qui souffre depuis longtemps, a sûrement vécu suffisamment de tragédies, mais je crains que ce à quoi nous avons assisté avec la dernière frappe américaine en Syrie ne soit la farce et qu’une tragédie très réelle ne se prépare.
On peut, en gros, séparer les néocons en deux types : d’abord ceux qui sont assez stupides pour croire que les dernières frappes étaient, en effet, un immense succès, et ceux qui sont juste assez intelligents pour comprendre que c’était un flop pathétique. Le premier type sera enhardi par un sentiment d’impunité totale (et les États-Unis se sont, en fait, tirés d’affaire avec cette violation grave de toutes les normes du comportement civilisé et du droit international) tandis que le second continuera à exiger une attaque plus forte. Mélangez les deux et vous aurez la recette parfaite pour une situation très dangereuse.
Et maintenant, voici la très mauvaise nouvelle : les forces terrestres américaines (l’Armée) sont pratiquement inutiles, tandis que la Marine et l’Aviation sont dans de gros, gros problèmes : la flotte de surface de l’US Navy est aujourd’hui presque dépassée à cause du missile russe Kinzhal, alors que l’US Air Force ne semble pas capable d’opérer dans un environnement comportant des missiles surface-air russes modernes. Aucune des deux ne semble en mesure de faire quoi que ce soit d’autre que de gaspiller des sommes d’argent énormes et de tuer des tas de gens, pour la plupart des civils. Comme leurs alliés israéliens et saoudiens, les forces armées américaines ne sont tout simplement pas capables d’affronter un ennemi capable de se défendre. Il n’y a plus qu’un seul segment des forces armées américaines encore capable d’accomplir sa mission : la triade nucléaire. D’où toutes les tentatives des planificateurs et stratèges américains pour trouver une doctrine non seulement pour l’usage des forces nucléaires comme moyen de dissuasion mais pour les reconcevoir comme une capacité de combat (défense antimissile, micro armes nucléaires, etc.). Pensez-y de cette façon : les seuls moyens d’agression crédibles (dans le monde réel) qui restent à l’Empire sont les armes nucléaires. Beaucoup de gens (la plupart) ne le réalisent pas (encore), mais à chaque attaque conventionnelle ratée, cette réalité deviendra de plus en plus difficile à cacher.
Les gens qui, cette fois, ont réussi à déjouer les plans néocons pour une véritable attaque dure sur la Syrie, et peut-être même sur la force d’intervention russe en Syrie, réussiront-ils la prochaine fois ? Je ne sais pas. Mais je ne peux ignorer le fait que chaque « clic » nous rapproche d’un pas du « bang ». Et cela me suggère que la seule véritable solution à cette situation extrêmement dangereuse est de trouver une manière d’ôter le doigt qui presse sur la gâchette ou, mieux, de retirer le pistolet au dingue qui nous menace tous avec.
The Saker
Cet article a été écrit pour Unz Review
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