08 février 2018

Pologne : le Président promulgue la "loi sur la Shoah"


Palestiniens internés dans des camps de travail le 12 juillet 1948. (Photo: Salman Abu Sitta, Palestine Land Society)

Le président Andrzej Duda a promulgué mardi la loi sur la Shoah destinée à défendre la Pologne contre ceux qui lui attribuent les crimes nazis, mais qui a provoqué des tensions avec Israël, les Etats-Unis et l'Ukraine. La loi prévoit trois ans de prison pour les personnes, y compris les étrangers, qui accusent "contrairement aux faits" la nation ou l'Etat polonais de participation aux crimes de l'Allemagne nazie.

Pour préserver l'image de la Pologne à l'étranger, les conservateurs ont voulu en priorité bannir l'expression "camps de la mort polonais", utilisée parfois par les médias ou les hommes politiques étrangers pour désigner les installations des nazis allemands en Pologne occupée.

Censure des survivants de la Shoah?

Les dirigeants israéliens et des organisations juives internationales y voient une tentative - que Varsovie dément - de nier la participation de certains Polonais au génocide des Juifs, voire d'empêcher les survivants de la Shoah de raconter leur expérience.

Andrzej Duda a demandé au Tribunal constitutionnel de vérifier sa conformité avec la loi fondamentale en ce qui concerne la liberté d'expression et la précision - qu'il trouve imparfaite - du passage imposant des peines de prison aux auteurs d'accusations.

Il faut que toute personne "ayant lu la loi, soit en mesure d'identifier les comportements entraînant une responsabilité pénale et ceux qui ne l'entraînent pas", a dit Andrzej Duda, réagissant implicitement aux critiques, notamment israéliennes, selon lesquelles l'imprécision de la loi ouvrirait la voie aux poursuites contre toute personne évoquant un crime commis par des Polonais.

"J'ai décidé de signer la loi et de saisir par la suite le Tribunal constitutionnel", a déclaré Andrzej Duda à la télévision. Cette solution "préserve les intérêts de la Pologne, notre dignité et la vérité historique" et en même temps "tient compte de la sensibilité (...) surtout de ceux qui ont survécu et qui, tant qu'ils peuvent, doivent raconter au monde leurs souvenirs de ce passé et leur expérience", a-t-il assuré.

Après des propos très vifs du Premier ministre Benjamin Netanyahu fin janvier, lequel avait affirmé que "nous ne tolérerons pas qu'on déforme la vérité et réécrive l'Histoire ou qu'on nie l'Holocauste", la réaction du ministère israélien des Affaires étrangères à la décision de Andrzej Duda, a paru modérée, voire conciliante.

"Nous espérons que dans le délai imparti avant que le Tribunal n'achève ses délibérations, nous parviendrons à nous mettre d'accord sur les changements et les corrections", indique-t-il mardi dans un communiqué.

De son côté, le mémorial de la Shoah à Jérusalem, Yad Vashem, a rappelé dans un communiqué avoir "mis en garde les autorités polonaises à plusieurs reprises contre les erreurs dans la formulation de la loi", erreurs qui "pourraient fausser la vérité historique".

Tillerson dit la "déception" des Etats-Unis

Les Etats-Unis ont exprimé mardi leur "déception" après la signature du texte qui "nuit à la liberté d'expression et au débat académique".

"Nous comprenons que cette loi va être soumise au Tribunal constitutionnel polonais", mais "les Etats-Unis sont déçus par la signature de la loi par le président polonais", a déclaré le secrétaire d'Etat américain Rex Tillerson dans un communiqué.

Avant la signature de cette loi, le département d'Etat américain avait mis en garde Varsovie, estimant qu'elle risquait d'avoir des "répercussions" sur "les intérêts et relations stratégiques de la Pologne, y compris avec les Etats-Unis et Israël".

Un analyste spécialisé dans les questions de sécurité, Grzegorz Kostrzewa-Zorbas, a déclaré au quotidien Gazeta Wyborcza que les tensions risquaient potentiellement d'affecter la négociation en cours d'un contrat de plusieurs milliards de dollars portant sur l'acquisition par la Pologne du système de missiles anti-missiles Patriot.

"Nier l'Holocauste"

"La Pologne a terriblement compliqué ses relations avec ses partenaires clés, les Etats-Unis, Israël et l'Ukraine, alors que déjà les relations au plan européen sont au plus bas. La situation est vraiment mauvaise", a déclaré Stanislaw Mocek, politologue de l'Académie polonaise des Sciences.

"Le président ne pouvait pas faire autrement s'il veut être réélu. (...) Envoyer la loi au Tribunal constitutionnel n'a aucune signification, c'est une institution de façade", a-t-il conclu.

L'opposition a condamné la décision de Andrzej Duda. Selon Slawomir Neumann, un des ténors de la Plateforme civique (PO, centriste), elle "ne fera qu'approfondir la crise diplomatique et envenimer les relations internationales de la Pologne avec son partenaire le plus important pour sa sécurité, les Etats-Unis".

Source



Histoire peu connue des camps de concentration et de travail d’Israël – 1948/1955

Une grande partie des circonstances sinistres et sombres de la purification ethnique sioniste des Palestiniens à la fin des années 1940 a progressivement été exposée au cours du temps. Un aspect – rarement étudié ou discuté en profondeur – est l’internement de milliers de civils palestiniens dans au moins 22 camps de concentration et de travail, dirigés par les sionistes, qui ont existé de 1948 à 1955. On en sait un peu plus maintenant sur les contours de ce crime historique, grâce à la recherche exhaustive menée par le grand historien palestinien Salman Abu Sitta et du membre du centre palestinien de ressources BADIL, Terry Rempel.

Voici les faits

L’étude – qui va être publiée dans le prochain numéro de Journal of Palestine Studies – s’appuie sur près de 500 pages de rapports du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), rédigés pendant la guerre de 1948, qui ont été déclassifiés, mis à la disposition du public en 1996, et découverts par hasard par un des auteurs en 1999.

En outre, les auteurs ont recueilli les témoignages de 22 anciens détenus palestiniens de ces camps civils, à travers des entretiens qu’ils ont eux-mêmes conduits en 2002, ou documentés par d’autres à d’autres moments.

Avec ces sources d’information, les auteurs, comme ils disent, ont reconstitué une histoire plus claire de la façon dont Israël a capturé et emprisonné « des milliers de civils palestiniens comme travailleurs forcés » et les a exploités « pour soutenir son économie en temps de guerre. »

Fouiller les crimes

« Je suis tombé sur ce morceau d’histoire dans les années 1990 alors que je collectais du matériel et des documents sur les Palestiniens, » a dit Abu Sitta à Al-Akhbar. « Plus vous creusez, plus vous découvrez que des crimes ont eu lieu qui ne sont pas rapportés et qui ne sont pas connus. »

A l’époque, Abu Sitta alla passer une semaine à Genève pour consulter les archives du CICR qui venaient d’être ouvertes. Selon lui, les archives ont été mises à la disposition du public après des accusations selon lesquelles le CICR aurait pris le parti des Nazis pendant la Seconde Guerre Mondiale. C’était une occasion qu’il ne pouvait pas manquer, montrer ce que le CICR avait enregistré des événements qui ont eu lieu en Palestine en 1948. C’est là qu’il est tombé sur des dossiers où il était question de cinq camps de concentration dirigés par les Israéliens.

Il a alors décidé de chercher des témoins ou d’anciens détenus et d’interviewer des Palestiniens en Palestine occupée, en Syrie et en Jordanie.

« Ils ont tous décrit la même histoire, et leur véritable expérience dans ces camps, » a-t-il dit.

Une question qui l’a immédiatement frappé fut pourquoi il y avait si peu de références sur ces camps dans l’histoire, en particulier quand il est devenu plus clair, au fur et à mesure de ses recherches, que ces camps avaient bien existé, et qu’il y en avait eu plus de cinq.

« Beaucoup d’anciens détenus palestiniens ont vu le concept d’Israël comme un ennemi vicieux, alors ils ont pensé que leur expérience de travail dans ces camps de concentration n’était rien en comparaison de l’autre plus grande tragédie de la Nakba. La Nakba a tout éclipsé, » a expliqué Abu Sitta.

« Cependant, quand j’ai creusé dans la période 1948-1955, j’ai trouvé davantage de références comme Mohammed Nimr al-Khatib, qui était imam à Haïfa, qui avait transcrit des entretiens avec quelqu’un de la famille al-Yahya qui était dans un des camps. J’ai pu retrouver la trace de cet homme jusqu’en Californie et j’ai pu discuter avec lui en 2002, » a-t-il ajouté.

Abu Sitta a lentement mais sûrement découvert d’autres références, dont des informations venant d’une Juive nommée Janoud, une seule thèse de maîtrise à l’Univesité hébraïque sur le sujet, et les récits personnels de l’économiste Yusif Sayigh, qui ont contribué à étoffer davantage l’ampleur et la nature de ces camps.

Après plus d’une décennie, Abu Sitta et son co-auteur Rempel peuvent enfin présenter leurs constatations au public.

Du fardeau à l’opportunité: les camps de concentration et de travail

La mise en place de camps de concentration et de travail a eu lieu après la déclaration unilatérale de l’Etat d’Israël en mai 1948.

Avant cet événement, le nombre de captifs palestiniens entre les mainssionistes étaient assez faible, car, comme le déclare l’étude, « les dirigeantssionistes ont rapidement conclu que l’expulsion forcée de la population civile était la seule façon de créer un Etat juif en Palestine avec une majorité juive suffisamment importante pour qu’il soit ‘viable’. » En d’autres termes, pour les stratèges sionistes, les prisonniers étaient un fardeau, dans les phases initiales de l’épuration ethnique.

Ces calculs ont changé avec la déclaration de l’Etat d’Israël et l’implication des armées d’Egypte, de Syrie, d’Iraq et de Transjordanie, après que l’essentiel du nettoyage ethnique ait eu lieu. A partir de ce moment, « les forces israéliennes ont commencé à faire des prisonniers, tant des soldats arabes réguliers (pour un éventuel échange), et – de manière sélective – des civils palestiniens non combattants en bonne santé. »

Le premier camp fut celui de Ijlil, à environ 13km au nord-est de Jaffa, sur le site du village palestinien détruit Ijlil al-Qibiliyya, vidé de ses habitants début avril. Ijlil était essentiellement constitué de tentes abritant des centaines et des centaines de prisonniers, classés comme prisonniers de guerre par les Israéliens, encerclées de fils de fer barbelés, de miradors et d’une porte avec des gardiens.

Au fur et à mesure des conquêtes israéliennes, et de l’augmentation consécutive du nombre de prisonniers, trois autres camps ont été créés. Ce sont les quatre camps « officiels » que les Israéliens ont reconnu et que le CICR a activement visités.

L’étude note :

« Les quatre camps étaient soit sur ou adjacents à des installations militaires mises en place par les Britanniques pendant le Mandat. Elles avaient été utilisées pendant la Seconde Guerre Mondiale pour l’internement de prisonniers de guerre allemands, italiens et autres. Deux des camps – Atlit, créé en juillet à environ 20km au sud de Haïfa, et Sarafand al-Amar, au centre de la Palestine – avaient déjà été utilisés dans les années 1930 et 1940 pour la détention d’immigrants juifs illégaux. »

Atlit était le deuxième plus grand camp après Ijlil ; il pouvait contenir jusqu’à 2.900 prisonniers, tandis que Sarafand avait une capacité maximale de 1.800 prisonniers, et Tel Letwinksy, près de Tel Aviv, de plus de 1.000.

Les quatre camps étaient administrés par « d’anciens officiers britanniques qui avaient fait défection dans leurs rangs quand les forces britanniques se sont retirées de Palestine à la mi-mai 1948, » et les gardiens et le personnel administratif des camps étaient d’anciens membres de l’Irgoun et du groupe Stern – deux groupes désignés comme des organisations terroristes par les Britanniques avant leur départ. En tout, les quatre camps « officiels » employaient 973 soldats.

Un cinquième camp, appelé Umm Khalid, était installé sur le site d’un autre village vidé de sa population près de la colonie sioniste de Netanya; un numéro officiel lui avait même été attribué dans les registres, mais il n’a jamais eu le statut d’ »officiel ». Il pouvait contenir 1.500 prisonniers. Contrairement aux quatre autres camps, Umm Khalid étaient « le premier camp créé exclusivement comme camp de travail » et fut « le premier des camps ‘reconnus’ à être fermé (…) à la fin de 1948. »

En complément de ces cinq camps « reconnus », il y avait au moins 17 autres « camps non reconnus » qui n’étaient pas mentionnés dans les sources officielles, mais que les auteurs ont découvert à travers de multiples témoignages de prisonniers.

« Beaucoup de [ces camps], » notent les auteurs, « [furent] apparemment improvisés ou ad hoc, consistant souvent en un poste de police, une école ou la maison du notable d’un village, » pouvant recevoir de 200 prisonniers à des dizaines.

La plupart des camps, officiels ou non, étaient situés dans les frontières de l’Etat juif proposé par les Nations Unies, « bien qu’au moins quatre [camps non officiels] – Beersheba, Julis, Bayt Daras, et Bayt Nabala – se trouvaient dans l’Etat arabe assigné par les Nations Unies, et un était à l’intérieur du « corpus separatum » de Jérusalem.

Le nombre de détenus palestiniens non combattants « dépassait largement » ceux des soldats arabes des armées régulières ou des prisonniers de guerre réels. Citant un rapport mensuel de juillet 1948 rédigé par le chef de mission du CICR Jacques de Reynier, l’étude indique que de Reynier a noté « que la situation des internés civils était ‘absolument confondue’ avec celle des prisonniers de guerre, et que les autorités juives ‘traitaient tous les Arabes entre 16 et 55 ans comme des combattants et les enfermaient comme des prisonniers de guerre’. » En outre, le CICR a découvert parmi les détenus des camps officiels que 90 des prisonniers étaient des hommes âgés, et que 77 étaient de jeunes garçons âgés de 15 ans ou moins.

L’étude met en évidence les déclarations du délégué du CICR Emile Moeri en janvier 1949 sur les détenus des camps :

« Il est douloureux de voir ces pauvres gens, en particulier les vieux, qui ont été arrachés à leurs villages et mis sans raison dans ces camps, obligés de passer l’hiver sous des tentes humides, loin de leurs familles ; ceux qui ne peuvent survivre à ces conditions meurent. Des enfants (de 10-12 ans) sont également mis dans cette situation. De même des malades, certains souffrant de tuberculose, languissent dans ces camps dans des conditions qui, encore que correctes pour des gens en bonne santé, les mèneront certainement à la mort si nous ne trouvons pas de solution à ce problème. Depuis longtemps nous avons exigé que les autorités juives libèrent ces civils malades qui ont besoin de traitements et qu’on les remettent aux bons soins de leurs familles ou à un hôpital arabe, mais nous n’avons pas reçu de réponse. »

Le rapport notait, « il n’y a pas de chiffres précis sur le nombre total de civils palestiniens détenus par Israël pendant la guerre de 1948-49″ et il semble que les estimations ne tiennent pas compte de camps « non officiels », en plus des mouvements fréquents des prisonniers entre les camps en service. Dans les quatre camps « officiels », le nombre de prisonniers palestiniens n’a jamais dépassé 5.000 selon les chiffres des dossiers israéliens.

Si on se base sur la capacité de Umm Khalid et sur les estimations des « camps non officiels », le nombre total de prisonniers palestiniens pourrait se situer autour de 7.000, et peut-être beaucoup plus, indique l’étude, si on tient compte d’une note écrite dans son journal le 17 novembre 1948 par David Ben-Gourion, l’un des principaux dirigeants sionistes et premier Premier ministre d’Israël, qui mentionnait « l’existence de 9.000 prisonniers de guerre dans les camps gérés par Israël. »

En général, les conditions de vie dans les camps « officiels » étaient bien en deçà de ce qui était considéré comme convenable par le droit international de l’époque. Moeri, qui a constamment visité les camps, a rapporté que à Ijlil en novembre 1948 : « La plupart des tentes sont déchirées », que le camp n’était « pas prêt pour l’hiver, » les latrines non couvertes, et la cantine n’a pas fonctionné pendant deux semaines. Se référant à la situation apparemment en cours, il a déclaré que « les fruits sont toujours défectueux, la viande est de mauvaise qualité, [et] les légumes sont rares. »

En outre, Moeri a rapporté qu’il a lui-même vu, « ‘les blessures laissées par les violences’ de la semaine précédente, quand les gardiens ont tiré sur les prisonniers, blessant l’un d’entre eux et rouant de coups un autre. »

Comme le montre l’étude, le statut civil de la majorité des détenus était clair pour les délégués du CICR dans le pays, qui ont rapporté que les hommes capturés « n’avaient assurément jamais été dans une armée régulière. » Les détenus qui étaient des combattants, explique l’étude, étaient « systématiquement tués par balle au prétexte qu’ils avaient tenté de s’échapper. »

Les forces israéliennes semblaient toujours cibler des hommes valides, laissant derrière les femmes, les enfants et les personnes âgées – quand ils ne les massacraient pas – la politique a continué même après que les niveaux de confrontation militaire ont baissé. Dans l’ensemble, comme le montrent les dossiers israéliens et le cite l’étude, « les civils palestiniens constituaient la grande majorité (82 pour cent) des 5.950 personnes classées comme internés dans les camps de prisonniers de guerre, alors que les Palestiniens seuls (civils plus militaires) constituaient 85 pour cent. »

L’enlèvement à grande échelle et l’emprisonnement de civils palestiniens semblent correspondre aux campagnes militaires israéliennes. Par exemple, l’une des premières rafles importantes a eu lieu lors de l’Opération Danj, quand 60-70.000 Palestiniens ont été expulsés des villes centrales de Lydda et Ramleh. Dans le même temps, entre un cinquième et un quart de la population mâle de ces deux villes, qui était âgé de plus de 15 ans, a été envoyé dans les camps.

La plus grande rafle de civils a eu lieu dans des villages du centre de la Galilée, capturés pendant l’Opération Hiram, à l’automne 1948.

Un survivant palestinien, Moussa, a décrit aux auteurs ce qu’il a vu à l’époque.

« Ils nous ont pris dans tous les villages alentours : al-Bi’na, Deir al-Asad, Nahaf, al-Rama, et Eilabun. Ils ont pris 4 jeunes hommes et les ont abattus (…). Ils nous ont conduit à pied. Il faisait chaud. On n’avait pas le droit de boire. Ils nous ont emmenés à al-Maghar [village druze palestinien], puis à Nahalal [colonie juive], puis à Atlit. »

Un rapport des Nations Unies du 16 novembre 1948 corrobore le témoignage de Moussa ; il indique que 500 Palestiniens « ont été emmenés à marche forcée et en véhicule à un camp de concentration juif à Nahlal. »

Le soutien de l’économie d’Israël par les « travaux forcés »

La politique qui consiste à cibler des civils, en particulier les hommes « valides », ne fut pas un hasard, selon l’étude, qui établit que « avec des dizaines de milliers de juifs, hommes et femmes, appelés au service militaire, les internés civils palestiniens constituaient un complément important à la main d’œuvre civile juive employée en vertu de la législation d’urgence au soutien de l’économie israélienne, » que même les délégués du CICR ont noté dans leurs rapports.

 
Les gardiens du camp de concentration de Gaza aujourd’hui.

Les prisonniers étaient obligés de faire des travaux publics et militaires, comme assécher les zones humides, travailler comme employé, collecter et transporter les biens pillés aux réfugiés, déplacer les pierres des maisons palestiniennes démolies, paver des routes, creuser des tranchées militaires, enterrer les morts, et bien plus encore.

Comme le décrit un ancien détenu palestinien nommé Habib Mohammed Ali Jarada dans l’étude, « A la pointe du fusil, ils nous obligeaient à travailler toute la journée. La nuit, nous dormions sous des tentes. En hiver, l’eau s’infiltrait sous nos couchages, fait de feuilles sèches, de cartons et de morceaux de bois. »

Un autre prisonnier à Umm Khaled, Marwan Iqab al-Yehiya, a déclaré dans un entretien avec les auteurs, « Nous devions casser et transporter des pierres toute la journée [dans une carrière]. Nous avions pour toute nourriture quotidienne une pomme de terre le matin et la moitié d’un poisson séché le soir. Ils rouaient de coups quiconque désobéissait aux ordres. » Ce travail était entrecoupé d’actes d’humiliation par les gardiens israéliens ; Yehiya parle de prisonniers « alignés et obligés de se déshabiller, comme punition pour l’évasion de deux prisonniers pendant la nuit. »

« Les adultes et les enfants [juifs] du kibboutz voisin venaient nous regarder, alignés et nus, et riaient. Pour nous, c’était terriblement dégradant, » a-t-il ajouté.

Les exactions des gardes israéliens étaient systématiques et répandues dans les camps, la cible principale étant les villageois, les fermiers et les Palestiniens de classe inférieure. C’était ainsi, dit l’étude, parce que les prisonniers ayant de l’instruction « connaissaient leurs droits et avaient suffisamment d’assurance pour discuter avec leurs ravisseurs et leur résister. »

Ce qu’il est également intéressant de noter grâce à l’étude est comment les affiliations idéologiques entre les prisonniers et leurs gardiens avait d’autres effets en terme de relations entre eux.

Elle rapporte le témoignage de Kamal Ghattas, qui avait été capturé pendant l’attaque israélienne en Galiliée :

« Nous avons eu une bagarre avec nos geôliers. 400 d’entre nous ont tenu tête à 100 soldats. Ils ont emmené des renforts. 3 de mes amis et moi ont été mis en cellule. Ils menaçaient de nous abattre. Toute la nuit, nous avons chanté l’hymne communiste. Ils nous ont transféré tous les quatre au camp Umm Khaled. Les Israéliens craignaient pour leur image en Europe. Notre contact avec notre Comité central et le Mapam [parti socialiste israélien] nous a sauvés… J’ai rencontré un officier russe et je lui ai dit qu’ils nous avaient enlevés chez nous, bien que nous soyons des non-combattants, ce qui était une infraction aux Conventions de Genève. Quand il a su que j’étais communiste, il m’a pris dans ses bras et m’a dit, ‘Camarade, j’ai deux frères dans l’Armée rouge. Longue vie à Staline, Longue vie à la Mère Russie’. »

Les Palestiniens moins chanceux étaient eux soumis à des actes de violence, dont des exécutions arbitraires et la torture, sans recours. Les exécutions étaient toujours perpétrées au prétexte de « tentatives d’évasion » réelles ou alléguées par les gardiens.

Les exécutions étaient devenues si communes qu’un ancien détenu palestinien de Tel Litwinsky, Tewfik Ahmed Juma Ghanim a raconté : « Celui qui refusait de travailler était abattu. Ils ont dit qu’il avait essayé de s’échapper. Ceux d’entre nous qui pensaient que nous allions être tués ont reculé devant les gardiens. »

Finalement, à la fin de 1949, les prisonniers palestiniens ont été progressivement libérés après de fortes pressions du CICR et d’autres organisations, mais les libérations furent limitées en ampleur et concentrées sur des cas spécifiques. Les prisonniers des armées arabes ont été libérés lors d’échanges de prisonniers, mais les prisonniers palestiniens furent expulsés de façon unilatérale de l’autre côté de la ligne d’armistice sans nourriture, ni provision ni abri, et on leur a dit de marcher, et de ne jamais revenir.

Ce ne sera qu’en 1955 que la plupart des civils palestiniens emprisonnés seront enfin libérés.
Carte des camps de travail forcé (Source: Salman Abu Sitta, Palestine Land Society)

Un crime persistant

L’importance de cette étude est à multiples facettes. Non seulement elle révèle les nombreuses violations du droit et des conventions internationales de l’époque, comme le Règlement de La Haye de 1907 et les Conventions de Genève de 1929, mais elle montre également comment les événements ont façonné le CICR à long terme.

Parce que le CICR était confronté à un acteur israélien belliqueux qui ne voulait ni écouter ni se conformer au droit international et aux conventions, le CICR lui-même a dû s’adapter à ce qu’il considérait être les moyens pratiques permettant de garantir que le minimum des droits des prisonniers civils palestiniens était respecté.

Dans le rapport final, l’étude cite de Reynier :

« [Le CICR] a protesté à de nombreuses reprises en affirmant le droit de ces civils à jouir de leur liberté, à moins qu’ils ne soient coupables et jugés par un tribunal. Mais nous avons tacitement accepté leur statut de prisonnier de guerre car de cette façon, ils bénéficient des droits que la Convention leur confère. Sinon, s’ils n’étaient pas dans les camps, ils seraient expulsés [vers un pays arabe] où, d’une manière ou d’une autre, ils mèneraient, sans ressources, la vie misérable des réfugiés. »

En fin de compte, le CICR et d’autres organisations furent tout simplement inefficaces tandis qu’Israël ignorait les condamnations en toute impunité, en plus de la couverture diplomatique des grandes puissances occidentales.

Plus important encore, l’étude met en lumière l’ampleur des crimes israéliens lors de sa naissance brutale et sanglante. Et « il reste encore beaucoup à dire », comme le déclare la dernière ligne de l’étude.

« C’est étonnant pour moi et pour beaucoup d’Européens qui ont vu mes preuves, » a dit Abu Sitta, « qu’un camp de travail forcé ait été ouvert en Palestine trois ans après qu’ils ont été fermés en Allemagne, et qu’ils aient été gérés par d’anciens prisonniers – il y avait des gardes juifs allemands. »

« Quelle mauvaise image de l’esprit humain, où l’opprimé copie un oppresseur contre des vies innocentes, » a-t-il ajouté.

L’étude montre essentiellement les fondements et les débuts de la politique israélienne envers les civils palestiniens, qui se présente sous la forme d’enlèvements, arrestations et détentions. Cette criminalité continue à ce jour. Il suffit de lire les rapports de centaines de Palestiniens arrêtés avant, pendant et après la dernière guerre d’Israël sur Gaza cet été.

« Gaza aujourd’hui est un camp de concentration, pas différent de ceux du passé, » a conclu Abu Sitta à Al-Akhbar.

Par Yazan al-Saadi | 29 septembre 2014

Yazan al-Saadi est journaliste au Al-Akhbar 

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