"L'ensemble des capacités et des ressources humaines et technologiques, militaires et civils, contribue à dissuader des adversaires potentiels de s'en prendre à la sécurité de la France" Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, 2008.
La dissuasion consiste à empêcher un adversaire d’entreprendre une action indésirable en lui démontrant la futilité de son entreprise et/ou en le menaçant de représailles supérieures aux gains qu’ils pourraient espérer en agissant. Toute stratégie de dissuasion repose à la fois sur des éléments matériels visibles multipliés par l’affichage d’une détermination à les employer le cas échéant. Bien entendu, il existe de multiples moyens et manières de mettre en œuvre une stratégie de dissuasion. Or, par une étrange dérive, ce terme est désormais monopolisé en France par les « nucléaristes ». Vous pouvez chercher dans les documents officiels produits depuis quelques années, vous n’y trouverez plus le terme de « dissuasion » qu’associé, collé même, à « nucléaire ».
La raison qui est invoquée hors de ce milieu est simple. La fonction stratégique « dissuasion » est depuis les années 1960 le socle de notre politique de défense. Tout ce qui en relève est intouchable dans le cadre d’une pression permanente sur les budgets. Se l’accaparer à l’associant aux forces nucléaires, et en expliquant que leur environnement immédiat non-nucléaire est indispensable à leur protection et à leur bon fonctionnement, est un excellent moyen de sanctuariser des ressources budgétaires rares. Inversement, en parvenant à exclure l’idée que cette fonction stratégique puisse être assurée par des forces conventionnelles, on affaiblit celles-ci sur le champ de bataille des finances.
Peut-être est-ce de la paranoïa corporatiste, toujours est-il que cette manœuvre, soutenue très probablement par le monde nucléaire civil, si elle n'existe pas a quand même parfaitement réussie. La dissuasion nucléaire c'est la paie.
Le problème c’est que la « dissuasion conventionnelle » ça existe quand même. Michel Debré expliquait en janvier 1972 dans la Revue Défense nationale que dissuader de s’en prendre au territoire national ne pouvait être crédible si on ne protégeait pas également et avec des moyens conventionnels tout ce qui nous touchait hors de nos frontières. On peut d’ailleurs se demander au passage qu’elle est la mission principale des forces de souveraineté dans les DROM-COM, sinon de dissuader. Avec quelques soldats au sol et parfois une frégate au large, la France empêche le Vanuatu de venir planter son drapeau sur l’île Mattew, au sud-est de la Nouvelle-Calédonie. On pourra évoquer une « présence », voire une mission de « prévention » pour éviter de parler de dissuasion mais c’est bien de cela dont il s’agit. Si le Vanuatu ne le revendiquait pas, il n’y aurait aucun besoin de « présence » sur cet ilot désertique. On empêche, donc on dissuade.
Quelques années après le Ministre d’Etat Debré, le général Méry, chef d’état-major des armées, expliquait que le haut du spectre dissuasif contribuait aussi à l’intervention des forces du bas du spectre. Cette intervention peut prendre des forces diverses, y compris la dissuasion, sinon, il faudra expliquer, par exemple, ce que faisait la force Manta (puis Epervier) en 1983 au Tchad, en empêchant les forces libyennes et leurs alliés de s’engager au sud du 15e (puis 16e) parallèle, fixé comme « ligne rouge ».
Après, encore une fois, cela ne peut pas fonctionner. A la même époque, le déploiement d’une division multinationale à Beyrouth et de puissantes forces aéronavales à proximité n’a pas empêché de se faire attaquer violemment puis de se replier piteusement. Trente ans plus tard, quand Laurent Fabius annonçait avec vigueur que l’emploi d’armes chimiques par le régime d’Assad ferait l’objet d’une riposte massive et immédiate, il tentait bien une manœuvre de dissuasion et n’envisageait évidemment pas l’emploi d’armes nucléaires. Il démontrait surtout qu’il est risqué de définir une ligne rouge et d’attendre que ce soit les autres qui la fassent respecter. La détermination sans moyens, et notamment sans moyens indépendants, n’est qu’agitation.
On peut alors argumenter que ces dé-ballonnements et d’autres, quelle que soit l’appréciation que l’on puisse porter sur les événements qui y ont conduit, ne contribuent pas à renforcer la composante « détermination politique » indispensable à tout opération de dissuasion. Pour préserver la dissuasion « haut de spectre », celle où il est question des intérêts vitaux de la France, on a peut être alors considéré qu’il fallait la dissocier de ces opérations réelles où les décideurs peuvent étaler leurs faiblesses, comme si ce n’était pas les mêmes décideurs qui seraient également à la manœuvre dans ces situations extrêmes. Quand on ne peut pas changer les choses, on change les mots.
Tout cela est quand même grave pour notre politique de défense mais peut-être surtout pour la réflexion stratégique, déjà bien contrainte par le souci de bon élève de s’aligner sur les doctrines de l’OTAN. Quand on commence à exclure l’emploi de certains termes, l'expression voire la pensée de certaines idées on se trouve bien dans un processus de dogmatisation et le dogme c’est ce qui précède souvent la mauvaise surprise. La dissuasion est un spectre mais ne doit pas devenir un fantôme.
La dissuasion consiste à empêcher un adversaire d’entreprendre une action indésirable en lui démontrant la futilité de son entreprise et/ou en le menaçant de représailles supérieures aux gains qu’ils pourraient espérer en agissant. Toute stratégie de dissuasion repose à la fois sur des éléments matériels visibles multipliés par l’affichage d’une détermination à les employer le cas échéant. Bien entendu, il existe de multiples moyens et manières de mettre en œuvre une stratégie de dissuasion. Or, par une étrange dérive, ce terme est désormais monopolisé en France par les « nucléaristes ». Vous pouvez chercher dans les documents officiels produits depuis quelques années, vous n’y trouverez plus le terme de « dissuasion » qu’associé, collé même, à « nucléaire ».
La raison qui est invoquée hors de ce milieu est simple. La fonction stratégique « dissuasion » est depuis les années 1960 le socle de notre politique de défense. Tout ce qui en relève est intouchable dans le cadre d’une pression permanente sur les budgets. Se l’accaparer à l’associant aux forces nucléaires, et en expliquant que leur environnement immédiat non-nucléaire est indispensable à leur protection et à leur bon fonctionnement, est un excellent moyen de sanctuariser des ressources budgétaires rares. Inversement, en parvenant à exclure l’idée que cette fonction stratégique puisse être assurée par des forces conventionnelles, on affaiblit celles-ci sur le champ de bataille des finances.
Peut-être est-ce de la paranoïa corporatiste, toujours est-il que cette manœuvre, soutenue très probablement par le monde nucléaire civil, si elle n'existe pas a quand même parfaitement réussie. La dissuasion nucléaire c'est la paie.
Le problème c’est que la « dissuasion conventionnelle » ça existe quand même. Michel Debré expliquait en janvier 1972 dans la Revue Défense nationale que dissuader de s’en prendre au territoire national ne pouvait être crédible si on ne protégeait pas également et avec des moyens conventionnels tout ce qui nous touchait hors de nos frontières. On peut d’ailleurs se demander au passage qu’elle est la mission principale des forces de souveraineté dans les DROM-COM, sinon de dissuader. Avec quelques soldats au sol et parfois une frégate au large, la France empêche le Vanuatu de venir planter son drapeau sur l’île Mattew, au sud-est de la Nouvelle-Calédonie. On pourra évoquer une « présence », voire une mission de « prévention » pour éviter de parler de dissuasion mais c’est bien de cela dont il s’agit. Si le Vanuatu ne le revendiquait pas, il n’y aurait aucun besoin de « présence » sur cet ilot désertique. On empêche, donc on dissuade.
Quelques années après le Ministre d’Etat Debré, le général Méry, chef d’état-major des armées, expliquait que le haut du spectre dissuasif contribuait aussi à l’intervention des forces du bas du spectre. Cette intervention peut prendre des forces diverses, y compris la dissuasion, sinon, il faudra expliquer, par exemple, ce que faisait la force Manta (puis Epervier) en 1983 au Tchad, en empêchant les forces libyennes et leurs alliés de s’engager au sud du 15e (puis 16e) parallèle, fixé comme « ligne rouge ».
Après, encore une fois, cela ne peut pas fonctionner. A la même époque, le déploiement d’une division multinationale à Beyrouth et de puissantes forces aéronavales à proximité n’a pas empêché de se faire attaquer violemment puis de se replier piteusement. Trente ans plus tard, quand Laurent Fabius annonçait avec vigueur que l’emploi d’armes chimiques par le régime d’Assad ferait l’objet d’une riposte massive et immédiate, il tentait bien une manœuvre de dissuasion et n’envisageait évidemment pas l’emploi d’armes nucléaires. Il démontrait surtout qu’il est risqué de définir une ligne rouge et d’attendre que ce soit les autres qui la fassent respecter. La détermination sans moyens, et notamment sans moyens indépendants, n’est qu’agitation.
On peut alors argumenter que ces dé-ballonnements et d’autres, quelle que soit l’appréciation que l’on puisse porter sur les événements qui y ont conduit, ne contribuent pas à renforcer la composante « détermination politique » indispensable à tout opération de dissuasion. Pour préserver la dissuasion « haut de spectre », celle où il est question des intérêts vitaux de la France, on a peut être alors considéré qu’il fallait la dissocier de ces opérations réelles où les décideurs peuvent étaler leurs faiblesses, comme si ce n’était pas les mêmes décideurs qui seraient également à la manœuvre dans ces situations extrêmes. Quand on ne peut pas changer les choses, on change les mots.
Tout cela est quand même grave pour notre politique de défense mais peut-être surtout pour la réflexion stratégique, déjà bien contrainte par le souci de bon élève de s’aligner sur les doctrines de l’OTAN. Quand on commence à exclure l’emploi de certains termes, l'expression voire la pensée de certaines idées on se trouve bien dans un processus de dogmatisation et le dogme c’est ce qui précède souvent la mauvaise surprise. La dissuasion est un spectre mais ne doit pas devenir un fantôme.
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