10 février 2018

Le compteur Linky ne tient pas ses promesses

Dans le chapitre qu’elle consacre dans son rapport annuel au compteur électrique intelligent en cours de déploiement, la Cour des comptes pointe un déficit d’information et un coût trop élevé pour le consommateur, et doute de sa contribution à la maîtrise de la consommation globale et à la gestion du réseau. Elle critique aussi les conditions financières généreuses accordées à Enedis.


Le parc de compteurs électriques français mérite d'être modernisé. La Cour des comptes ne remet pas en cause le déploiement actuel de quelque 39 millions de compteurs. Mais elle souligne les faiblesses de ce déploiement, réalisé pour 95% du parc par le gestionnaire de réseau de distribution, Enedis (ex ERDF).

Au 30 septembre 2017, le déploiement était conforme au calendrier prévu, avec 6,3 millions de compteurs installés. 90% du parc devrait être remplacés à fin 2021, et les 100% atteints fin 2024.

La facture globale s'élève à 5,7 milliards d'euros au total, dont 5,3 milliards d'euros pour Enedis, le solde concernant les distributeurs locaux d'électricité. Dans un premier temps, ce coût est pris en charge par le gestionnaire de réseau, d'abord sur ses fonds propres puis grâce à un prêt intragroupe. Mais à compter de 2021, il sera répercuté sur la facture du consommateur pour un coût de 130 euros par compteur, et celle-ci sera alors plus élevée que si les vieux compteurs avaient été conservés, en dépit de la maîtrise des consommations espérée grâce à Linky.

Une difficile maîtrise des consommations par les particuliers

Les objectifs poursuivis par ces nouveaux compteurs intelligents sont de diverses natures. Ils doivent permettre à Enedis de réduire certaines pertes dites « non techniques » (par exemple dans les logements inoccupés), d'automatiser et de réaliser à distance certaines opérations (relève de compteurs, modification de puissance, etc.), d'identifier plus facilement les incidents, de disposer d'une image du réseau en temps réel et de lutter contre la fraude. Pour les fournisseurs, des informations précises concernant le profil de consommation de leurs clients doivent leur permettre d'élaborer des offres commerciales et des services sur-mesure. Pour les producteurs, cela aide à dimensionner au mieux leurs moyens de production. Pour les collectivités locales, une meilleure connaissance de leur territoire doit également permettre de mieux calibrer leurs investissements. Enfin, le consommateur, sur qui reposera in fine le coût de l'opération, Linky doit réduire les erreurs de facturation et, grâce à des données de consommation plus détaillées et plus fréquentes, lui donner les moyens de mieux maîtriser leur consommation.

Mais c'est là que le bât blesse. Le gain prévu pour le consommateur a été évalué à 9,2 milliards d'euros : 5,2 milliards d'euros grâce à un accès à des offres plus concurrentielles liées à un accroissement de la concurrence entre fournisseurs ; 2,3 milliards d'euros correspondant à la valorisation de l'allégement des contraintes pesant sur lui (fin de sa présence obligatoire lors de certaines opérations), et 1,9 milliard d'euros liés aux économies de consommation, déduction faite du coût du compteur prélevé sur sa facture.

Mais les sages de la rue Cambon pointent les multiples défauts du système qui limitent l'intérêt du compteur pour ces derniers. En effet, outre qu'il ne peut en raison de contraintes techniques être posé dans des endroits difficiles d'accès, Linky ne permet aucune lecture directe autre que l'index de consommation ainsi que la puissance apparente et maximale. Des factures papier plus détaillées - et non prévues - seraient nécessaires pour que les consommateurs accèdent à une connaissance plus fine de leurs données. Des afficheurs déportés fournis par d'autres industriels - obligatoires pour les consommateurs précaires mais seulement à compter de 2018 - peuvent également fournir ces informations, qui plus est avec leur traduction en euros, la plus parlante pour le consommateur. Enedis lui-même propose un portail Internet mais l'information en euros n'y figure pas, et seuls 1,5% des consommateurs aujourd'hui concernés ont ouvert un compte.

Des réticences mal évaluées

Peu convaincus de leur propre intérêt dans Linky, certains sont en revanche inquiets, qui de son impact sanitaire, qui, de la protection de ses données personnelles, dans la mesure où le détail des consommations électriques peut révéler de nombreux détails de leur mode de vie. Sur ces deux sujets, si la Cour des comptes reconnaît que l'ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) d'une part, la CNIL d'autre part, ont rendu des rapports rassurants, dans un cas comme dans l'autre le retard avec lequel ces travaux ont été conduits, et le manque de communication qui en a résulté, reflète le peu de cas accordé à ces craintes manifestées par certains usagers. Dans ce contexte, certaines collectivités ont pris des arrêtés municipaux interdisant le déploiement des compteurs et les refus individuels fortement médiatisés se sont multipliés. Certes, à ce jour, cela n'a entravé la pose que de 0,6% des compteurs par rapport au calendrier prévu, mais Enedis se passerait sans doute de cette contre publicité.

Et ce ne sont pas les 30 minutes maximum prévues pour la pose qui peuvent suffire à rassurer un usager dubitatif.

Une opération blanche voire légèrement négative

Même la contribution attendue de Linky à l'équilibre du réseau électrique, via la capacité d'effacement - possibilité d'interrompre ponctuellement la consommation - pourrait ne pas être au rendez-vous. En effet, le délai de réaction prévu, de 6 heures, semble trop long aux yeux de certains opérateurs d'effacement qui ne feraient donc pas appel à Linky.

Certaines hypothèses de calcul de l'équilibre financier de l'opération sont également sujettes à caution, notamment la durée de vie de 20 ans prévue pour les compteurs ou encore l'évaluation des investissements en matière de système d'information.

Aussi la Cour des comptes conclut-elle que le déploiement de Linky à l'échelle nationale pourrait finalement se conclure par un solde nul, voire négatif de - 0,2 milliard d'euros.
Une rémunération maximale excessive pour Enedis

De façon générale, elle met en avant un déficit de coordination : le comité de suivi réunissant les multiples services de l'État impliqués, de la DGEC à la DGCCRF en passant par la CRE, LANSES, l'Ademe et quelques autres, ne s'est ainsi réuni qu'une seule fois entre mars 2016 et l'été 2017. La Cour suggère donc la mise en place d'un véritable pilotage du programme, prenant notamment en compte la maîtrise de la demande en énergie.

En effet, sur ce plan, « en l'état actuel des travaux, le système n'apportera pas les bénéfices annoncés ».

Enfin, les sages de la rue Cambon critiquent un dispositif financier trop généreux pour Enedis qui, s'il respecte son plan de charge, percevra en 2019 une rémunération globale équivalente à au moins 10,3% de la valeur actualisée nette des actifs, et préconise de le réviser afin de limiter la rémunération maximale dont pourrait bénéficier l'opérateur.

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