24 août 2017

Nantes : insécurité chronique, les bus ne s’arrêtent plus n’importe où


Depuis plusieurs années, les violences se multiplient contre les agents et le matériel de la TAN. Tant et si bien que huit agents sur dix ont déjà été agressés verbalement ou physiquement depuis leur embauche, selon une enquête interne de la CFDT.

Au fil des années, lors des « incivilités », doux euphémisme pour caractériser les violences sur le réseau dans les quartiers dits « sensibles » de la TAN, celle-ci a mis en place des « déviations » provisoires mais qui sont récurrentes, ou des coupures de service en cas de problème. Nous les avons listées et situées.

« A la base, c’était une mesure provisoire, pour ne pas mettre en danger les agents sans trop impacter le service aux voyageurs. On mettait la coupure ou la déviation en place le temps que la police arrive pour sécuriser les lieux », nous explique le délégué CFDT Didier Sauvêtre. « Puis elles se sont multipliées ». Nous avons retrouvé l’une d’elles, qui fait éviter Malakoff aux chronobus C3 et C5 : elle met en place notamment quatre arrêts provisoires, non aménagés : deux au droit du pont Tabarly et deux autres au droit de la rue de Suisse, sur le boulevard de Sarrebruck. En cas de violences ou de caillassages, les bus ne rentrent pas dans le quartier enflammé. Cette déviation a notamment (encore) servi le 10 et le 12 juin dernier, alors que la police intervenait dans le quartier.

« Mais attention, il faut au moins deux caillassages pour l’activer. Un ce n’est pas suffisant, ça peut être un acte isolé. Donc après un caillassage, souvent à Haubans, on attend l’autre pour activer cette déviation », explique Didier Sauvêtre ; « on marche sur la tête. Et puis c’est tout un quartier qui est puni pour les faits de quelques délinquants ».

Il y en a d’autres. « Il y a des coupures de service à Bellevue, Souillarderie (L1 et C7), Clos Toreau (Busway), Château de Rezé (T3), au Pin Sec (ligne 11). Au terminus Clairais sur le C7 qui n’est pas desservi. Aux Dervallières – les bus du C6 n’entrent pas dans le quartier dont ils font le tour. Au Chêne des Anglais, notamment au niveau de la Coulée (C2), entre Pompidou et Galarne près de l’Hôtel de Région (C5 / ligne 26), etc… » se remémore le délégué syndical. Les annonces sur les deux comptes twitter de la TAN, l’officiel et celui tenu par un passionné depuis 2011, permettent de suivre une partie de ces déviations.

Lorsqu’il y a des tensions entre le Breil et les Dervallières, la ligne 20 est interrompue jusqu’à Beauséjour. Quand il y en a à Bellevue, le seul terminus de Jamet est maintenu, la ligne étant coupée sur le tronçon principal entre Croix Bonneau et Romanet, voire Tertre. En cas de caillassages au Pin Sec, c’est la ligne 11 qui ne dessert pas l’arrêt. Idem pour le C7 qui ne termine pas à Souillarderie dans le même cas.

« Quand ça arrive au Clos Toreau, le busway sort de son couloir, fait le tour par Saint-Jacques et reprend à Gréneraie ». Aux Dervallières, le C6 prend l’itinéraire du C3 et ne descend pas dans le quartier ; les arrêts Perron et Saint-Laurent sont zappés, comme c’était notamment le cas le 8 juillet dernier. A Château de Rezé, en cas de caillassages, la ligne est coupée entre 8 mai à l’est et Espace Diderot à l’ouest. C’est notamment arrivé le 19 juillet dernier.

Des consignes de prudence aux contrôleurs dans certains quartiers

A ces déviations récurrentes (ou coupures) s’ajoutent des consignes de prudence aux contrôleurs, notamment à Bellevue, au Breil, aux Dervallières, à Malakoff. « Elles sont orales, bien sûr, et certaines équipes n’en tiennent pas compte », précise Didier Sauvêtre. « Mais c’est surtout le soir que c’est plus tendu. Généralement les contrôleurs restent embarqués sur les véhicules et descendent plus loin ». Cependant, certaines, à l’arrêt de la place des Lauriers notamment (Bellevue), sont assez connues pour que les syndicats en fassent état – en l’occurrence il s’agissait du bulletin de la CGT-Semitan, le Traminot n°51.

Des consignes semblables existent pour les arrêts de la Coulée et du Chêne des Anglais – un contrôleur nous en faisait état l’été dernier. Elles correspondent à un très gros point de deal, où les caillassages sont nombreux. Coïncidence : c’est juste sous les fenêtres de Pascal Bolo, apparatchik socialiste qui est à la fois premier adjoint de la ville de Nantes, vice-président de Nantes Métropole, élu de quartier au Chêne des Anglais – dont il peine à endiguer tous les problèmes –… et président de la SEMITAN. Mais l’intéressé ne semble se rendre compte de la délinquance et de l’économie parallèle qui gangrènent le quartier que lorsqu’il est dérangé personnellement…

A Commerce, transformée en plaque tournante de la drogue depuis plusieurs années – sans que la municipalité (PS) ne réagisse – les contrôleurs ont « pour consigne de rester groupés, de ne pas s’éparpiller ». La TAN applique depuis le 22 avril 2016 une consigne d’exploitation sous le numéro 16.252 HB / EV : chaque jour après 14h les conducteurs peuvent prendre leur pause à la cafétéria Kervégan (devant laquelle le trafic bat son plein aussi) et le week-end la gestion est assurée depuis Dalby.

« On laisse s’installer de plus en plus de zones de non-droit »

Au nom d’une politique tétanisée qui consiste à ne surtout pas faire de vagues, de plus en plus de quartiers nantais sont gangrénés par la délinquance, relève Didier Sauvêtre. « On laisse s’installer des zones de non-droit, ça devient de plus en plus intenable et finalement on ne peut pas récupérer la zone ». Pourtant, des solutions existent : « à la Souillarderie, où il y avait un gros problème de drogue et de caillassages », la station étant toute proche du quartier sensible de la Bottière qu’elle domine, établie sur un viaduc, « des grillages anti-caillassages ont été installés pour protéger les bus qui passent en-dessous, des caméras filment les lieux et il y a plus de patrouilles de police ; les problèmes ont été résorbés ».

Pendant ce temps, à Commerce, le climat devient de plus en plus intenable, entre les infractions liées à la drogue, les bagarres sur fond d’ivresse ou de dettes de jeu ou de drogue, les vols avec violence, les gestes déplacés, etc. Si les responsables politiques nantais évoquent volontiers Notre-Dame des Landes, la réalité est cruelle : il se commet plus d’infractions chaque soir place du Commerce et à ses abords qu’en un an à Notre-Dame des Landes.

« Nous demandons à Commerce la mise en place immédiate d’aménagements qui supprimeraient cette zone de non-droit : de l’éclairage, des caméras, une présence policière », explique Didier Sauvêtre. Mais « c’est peine perdue : la Métropole nous répond que la place sera rénovée en 2019, et qu’il était inutile de faire quoi que ce soit avant. Et les policiers nous affirment qu’on leur donne de plus en plus de missions avec des effectifs qui ne cessent de diminuer ».

Il doute que la rénovation de la place du Commerce ne ramène l’ordre : « place du Bouffay, il a été fait place nette. Nous avons fait le tour des commerçants, au niveau des agressions et de la délinquance, c’est pire qu’avant ». On peut faire le même constat pour les abords du Carré Feydeau, ou pour les cités « sensibles » : des milliards ont été dépensés pour ce qui se voyait alors que les causes profondes n’ont pas été traitées. « Commerce, c’est stratégique pour les trafiquants », poursuit le délégué syndical, « il y a beaucoup de passage, il leur vient beaucoup de clients. Ils ne s’en iront pas d’eux-mêmes parce que c’est flambant neuf. Pour l’instant, tant pour les nantais que pour les touristes, l’image est désastreuse. C’est une place emblématique, au cœur de notre ville. C’est un peu comme si la place de l’Étoile à Paris, ou la place Stanislas à Nancy, ou les quais de Bordeaux, étaient transformés en zone de non-droit».

Louis-Benoît Greffe
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