Le Moment-glasnost du Système |
(Pour bien situer le débat, nous ajoutons que cette hypothèse n’est nullement raisonnée au départ, ni construite rationnellement. Elle est née, devant l’énigme que représente l’actuelle situation crisique aux USA, d’une intuition nourrie par l’expérience d’avoir vécu l’époque de la glasnost en témoin très intéressé et professionnellement impliqué dans le commentaire de cet événement. C’est-à-dire qu’à suivre les événements à Washington D.C. et aux USA depuis deux ans, il nous est apparu brusquement [intuition] qu’ils pouvaient être embrassés et infiniment mieux éclairés par une analogie historique qui est absolument justifiée à nos yeux [similitude générale du destin de l’URSS et du destin des USA], et nous y avons été menés très rapidement par la phrase “la référence n’est plus le Système mais le désordre”.)
Cette méthodologie doit nous permettre de parvenir à mieux éclairer et à tenter de mieux comprendre le processus de rupture révolutionnaire en cours à “D.C.-la-folle” et aux USA, qui est le seul processus-crise d’importance aujourd’hui, qui nous affecte tous, qui a la potentiel d’un bouleversement général du monde. Nous partirons du constat extraordinaire que nous faisons dans plusieurs textes de ces derniers jours et que nous reprenons en tête de notre “Rétrospective” (nominalement du 06/08 au 12/08) de page d’accueil, en ouvrant sur cette phrase plusieurs fois reprise et qui devient finalement le constat fondamental qui sanctifie l’importance de l’évolution décisive qui s’est passée à Washington D.C. (et dans notre monde-Système) en 2016-2017 :
« “La référence n’est plus le Système mais le désordre”, telle est la phrase que nous employons à plusieurs reprises dans divers textes très proches (notamment deux fois le 7 août 2017 et le 7 août 2017, et le 9 août 2017) pour caractériser une évolution décisive à Washington D.C., ditto “D.C.-la-folle” décidément ; mais une évolution qui n’est propre en aucune façon à cette seule “D.C.-la-folle” mais bien à notre situation générale puisque nous sommés tous concernés par cet énorme changement de paradigme où notre référence n’est plus le tout-puissant Système mais le désordre que sa folle surpuissance a engendré... »
A partir de ce constat, voici donc l’analogie historique que nous proposons pour identifier ce phénomène extraordinaire (« La référence n’est plus le Système mais le désordre »), en le faisant correspondre à un “modèle” historique qui nous paraît inéluctable tant la chute de l’URSS en tant que système (système du soviétisme) annonce celle des USA en tant que système de l’américanisme comme développement historique en forme de double double, salué par un clin d’œil, du système du soviétisme ; ainsi, grâce au “clin d’œil”, on peut parler du “modèle” de la chute-URSS valant pour la chute-USA, – l’Histoire comme métahistoire ne se répétant pas dans ce cas ni ne balbutiant mais continuant son travail de mastication gigantesque. Par contre, bien entendu, le système de l’américanisme, par sa puissance, par sa spécificité, par son idéologisation, la sophistication de sa corruption et de sa barbarie, par son hybris et ses perversions psychologiques (voir « le duo psychologique “inculpabilité-indéfectibilité” »), dépasse bien entendu en bon élève exceptionnaliste le “modèle” (l'URSS) et sa chute est directement liée à celle du Système : signe qu’il y a effectivement continuation jusqu’au final de la Chute, et non répétition.
Cela admis, le caractère séquentiel du “modèle” doit absolument être consulté, d’où notre citation annoncée.
« Le Moment-glasnost du Système »
« Si l’on veut une analogie de situation (et non d’évènements), nous dirions que nous sommes arrivé au “moment-glasnost” du Système, en référence à la fameuse campagne lancée par Gorbatchev dès l’automne 1985. Contrairement à une opinion souvent répandue, et d’ailleurs par l’acteur de la chose lui-même (Gorbatchev), selon laquelle c’est la perestroïka (nouvelle politique économique) qui fut l’acte fondamental de sa période dite-réformiste (1985-1991) aboutissant à l’implosion de l’URSS et du fait communiste, c’est selon notre appréciation et notre expérience vécue la glasnost qui en fut l’acte révolutionnaire et fit de cette “période réformiste” une période rupturielle, eschatologique et catastrophique au sens métahistorique. Elle pulvérisa les dernières structures psychologiques d’un régime déjà tombé dans le désordre de la corruption et de l’irresponsabilité. La glasnost commença d’ailleurs très vite, quelques semaines après la prise du pouvoir par Gorbatchev, et à pleine vitesse dès l’automne 1985, presque sans que Gorbatchev l’ait voulu ainsi, par pure dynamique antiSystème... (Voir notre texte du 12 mai 2008, reprenant un article de PhG datant de mars 1986 : dès cette époque du début 1986, les échos de la glasnost parvenaient quasiment “en temps réel” en Occident...)
» La glasnost peut être définie comme une “libération de la parole” avec une action essentiellement sur la psychologie, et c’est bien à cette situation que nous faisons référence pour l’actuelle période où “... le désordre a remplacé le Système comme référence”. Nous disons bien “libération de la parole” et non expression d’une soi-disant Vérité retrouvée, c’est-à-dire la parole échappant à la police du puritanisme-marxiste, comme la parole tend aujourd’hui à échapper de plus en plus à la police du “puritanisme-sociétal” des progressistes-sociétaux du fait même du débat furieux qui permet aux adversaires de ce puritanisme, sommés de s’expliquer et qui s’expliquent en contre-attaquant de plus en plus radicalement, de s’exprimer dans des termes qui deviennent de plus en plus sacrilèges et destructeurs de ce puritanisme-sociétal.
» C’est bien à cette époque de la glasnost-Gorbatchev que nous faisons référence pour notre propre époque où la presseSystème est si complètement dans le simulacre qu’elle finit par produire elle-même la critique et le ridicule de ses affirmations en le suscitant chez ses adversaires ; où le gouvernement de cette énorme puissance (“D .C.-la-folle”) est devenu un tourbillon de folie où plus personne ne sait qui est qui et qui fait quoi ; où le président gouverne comme l’on joue à la roulette, en s’exprimant dans des termes qui défient le puritanisme-sociétal ; où le Congrès vote des lois surréalistes sans la moindre conscience de leurs effets et de leurs conséquences ; où la parole-Système n’a plus de référence ; où enfin chacun et tout le monde, dans ce désordre, peut se retrouver antiSystème du jour au lendemain, pour un moment ou pour un instant, puis recommençant quelques temps plus tard.
» Notre intuition est qu’une telle situation psychologique attaque la surpuissance du Système d’une façon dévastatrice comme la glasnost attaqua psychologiquement le “système” en URSS jusqu’à sa dissolution complète sous le coup des vérités-de-situation qui ne cessaient de surgir d’elle-même avec assez de puissance de tous côtés du fait même de la confrontation entre ceux qui étaient alors les équivalents de l’antiSystème versus le Système. La façon et le sujet entre les deux époques sont différents : la confusion et le désordre qui s’introduisent sont similaires...
» Ainsi importe-t-il plus que jamais de savoir qui est antiSystème à tel ou tel moment où l’on en est de telle ou telle crise et, le plus difficile en vérité, à veiller à rester soi-même antiSystème dans cette même “telle ou telle crise”. Il s’agit d’entretenir une tension, de la renforcer, de la tendre toujours plus comme l’on fait de la corde d’un arcavant de décocher sa flèche. Il s’agit de ne plus laisser un seul instant de répit au Système, à son puritanisme-sociétal, à sa police du puritanisme qui se trouve plongée dans l’affolement puisque, pour eux tous également, “la référence n’est plus le Système mais le désordre”. »
« Échos de l’intérieur »
Ici, on ajoutera un extrait d’un autre texte, cité dans l’extrait ci-dessus (qu'on nous pardonne cette complexité labyrinthique), datant du printemps 1986, et pour nous il s’agit bien des premières manifestations de la glasnost. Il s’agit d’une citation de la personne interviewée, et qui est présentée de la sorte (au début de 1986) : « Helena Satchkova a passé deux mois à Moscou, octobre et novembre derniers. Elle vit en Belgique depuis sept ans, où elle a épousé un Belge rencontré lors d’une visite qu’il faisait en Union Soviétique. Couple jeune, travaillant dans le théâtre, tous les deux acteurs. Avant de quitter l’URSS, elle avait eu une vie mitigée, à cause de circonstances familiales plus que sociales ou politiques. Son père fait partie de l’Académie de Médecine, un homme de la nomenklatura. Elle retourne souvent en Russie, revoit sa mère, ses amis. Quand elle parle de l’URSS, des Russes, elle dit “nous”. » (Article publié dans Europe-Défense de mars-avril 1986.)
Satchkova rapporte ses souvenirs de son récent séjour à Moscou, notamment alors qu’avait lieu le premier sommet Gorbatchev-Reagan de Genève, en novembre 1985... Ainsi Satchkova fut-elle stupéfaite : « Ce qui était stupéfiant, c’est sa conférence de presse avec les journalistes étrangers, qu’on a vue en plus en direct à Moscou… Il a un petit accent du sud, d’Ukraine, il fait des fautes dues à ce genre d’accent. Dans cette conférence de presse, on l’a vu, entendu au naturel, sans retouches, mal tourner ses phrases, ce qui est absolument stupéfiant ! C’est la première fois, on l’a entendu dire “Mon Dieu”, et on n’a rien sucré ! Les rues étaient vides, les gens ont suivi cela ; d’habitude, on ne suit jamais ce que disent nos chefs du Parti, toujours les mêmes phrases, avec des ismes et tout, retouché, arrangé ; ici, tout le monde écoutait, on a tout arrêté, on ne mangeait plus, on était devant nos postes. Pour la première fois, on avait l’impression d’être traités en êtres humains, du fait qu’on entendait quelque chose en direct. »
Par cette citation, nous voulons simplement suggérer que la glasnost commença en URSS par la “libération de la parole” du dirigeant du système du soviétisme lui-même, et à notre sens sans qu’il ait eu conscience de la chose. Nous le répétons souvent : Gorbatchev lui-même donne rétrospectivement trop peu d’importance à la glasnost et beaucoup trop à la perestroïka, – signe qu’il a été influencé par l’économisme de l’ultralibéralisme qui a envahi le monde comme une peste dès 1991. Mais notre appréciation fondée sur notre témoignage et notre perception, et déjà bien rendue dans le texte cité, est que l’activité quotidienne de Gorbatchev au pouvoir fut continuellement alimentée par la nécessité inconsciente de montrer lui-même, y compris par l’exemple de ses propres démarches, l’importance extraordinaire qu’il attribuait et donnait instinctivement à la glasnost. La psychologie collective, par le biais d’une transformation massive des psychologies individuelles enfin rassemblées, en fut absolument bouleversée.
“Libération de la parole”, Made In USA
La remarque que cette évocation nous suggère est bien de rappeler que nous avons eu constamment à l’esprit durant la campagne des présidentielles de 2016 le jugement que le principal apport de Trump, et que ce qui était le plus apprécié chez lui par ses électeurs, c’était effectivement ce que ces gens ressentaient comme “la libération de la parole” dans le chef d’un candidat à la présidence. Il ne s’agit pas de verser ici dans la polémique vulgaire, complètement obsolète, absolument déformée par des psychologies pathologiquement obsédées par l’idéologisation, de savoir si Trump disait ou non des vérités, s’il était fasciste ou populiste, ou pas du tout, toutes ces sornettes qui ont fait l’essentiel du débat à son propos.
(Pour pasticher une remarque d’Alain Finkielkraut parlant de mai 1968 [émission Histoire, 11 août 2017], “avec Trump, on a le fascisme facile”, et il suffit d’un tweet de travers pour voir surgir dans les commentaires énervées les hordes de SA d’un nouveau Röhm, ce qui serait assez aisé avec nos LGTBQ actuels. Bref, laissons cela, car ce n’est pas dans cette perspective que Trump présente de l’intérêt.)
Cette “libération de la parole”, résumée par le commentaire souvent entendu chez les partisans de Trump qu’“il dit ce qu’il pense” (ce qui ne signifie pas qu’il pense bien ou mal, ni qu’il pense vrai ou non), rejoint par une autre voie les premiers pas, les premières manœuvres plus ou moins élaborées qui conduisirent à la glasnost dans l’URSS de Gorbatchev. (Si l’on veut, cela rejoint la remarque de Satchova : « Dans cette conférence de presse, on l’a vu, entendu au naturel, sans retouches, mal tourner ses phrases, ce qui est absolument stupéfiant ! C’est la première fois, on l’a entendu dire “Mon Dieu”, et on n’a rien sucré ! »)
Par conséquent, voilà Trump devenu “American Gorbatchev”, avec toute sa grossièreté, ses manies et lubies, ses insultes, ses contes à dormir debout : le fait reste qu’il parla le plus souvent sans filet pendant sa campagne, sans se retenir, sans “être sucré” par les garde-chiourmes de la communication. Cela ne garantit rien du fond, ni du dessein, ni de la qualité, ni de la bienpensance, ni de l’idéologie, etc., encore une fois tous ces jugements complètement hors-sujet ; cela importe essentiellement et décisivement dans la mesure où cela agit comme une sorte de déclencheur, de détonateur... A partir de là, ses adversaires se déchaînent et adoptent eux aussi une “parole libérée”, déversant des torrents d’injures, d’insultes et, bien entendu, de grotesques constructions. Tout cela bouscule l’ordre établi et fait basculer le standard de la “conversation” habituelle à l’intérieur de l’establishment. On ne dissimule plus rien, ni la haine, ni le mépris, ni le mensonge, ni la passion en général dans tous les sens et de toutes les façons possibles. On dévoile involontairement et par conséquent avec une force stupéfiante puisque sans retenue, toute « la barbarie intérieure » (Mattei) du Système, celle qui cherche à nous contraindre infiniment.
Deep State, ainsi sois-tu
De tout cela il apparut évident, dès l’élection acquise et l’opposition à Trump entrée dans un déchaînement complet, sans plus dissimuler son intention de le faire tomber, de le renverser, de le piétiner, de le tronçonner, de le balader avec sa tête au bout d'une pique comme lors de nos belles révolutions colorées de rouge, etc., qu’un nouvel acteur de cette “tragédie-bouffe” apparaissait en plein jour, pour ce qu’il était, sans la moindre dissimulation, – lui dont le caractère fondamental, l’ontologie même est la dissimulation, – cela, hop, envolé grâce à la glasnost-USA ! Il s’agit du Deep State, ou “État profond”.
L’expression est apparue dans les années 1990 en Turquie au milieu d’affaires troubles (“Loups Gris”, Gladio local & Cie) et elle est restée assez longtemps sans éveiller d’intérêt sémantique particulier. C’est autour des années 2012-2013 qu’elle commença à être d’un emploi courant là où comptent les choses de cette sorte, – aux USA. (Peter Dale Scott, qui fut parmi les pionniers à user de ce terme, employait précédemment le terme “Deep Politics” désignant si l’on veut l’activité opérationnelle du Deep State.) On sait ce que signifie cette expression, de même que l’on sait que nous contestons qu’elle ait nécessairement et généralement une connotation négative (voir le 10 août 2015) ; par contre, il est absolument incontestable qu’elle a effectivement et nécessairement cette connotation négative aux USA, dans l’emploi qui en est fait depuis 2012-2013.
Plus encore, l’expression a acquis aux USA, en très peu de temps, une dimension mythique sinon mystique, quasiment diabolique et suprahumaine (ou infrahumaine, type-Mordor) que n’a jamais vraiment connue, par exemple, l’expression de “Complexe Militaro-Industriel”. (*) Sans doute est-ce dû à l’assemblage d’un mot (“État”) et d’un qualificatif (“profond”) à la fois si puissants, si vagues et si insaisissables. En même temps, on observera que la pression des événements crisiques, de plus en plus écrasante dans cette période, notamment avec les suites de la crise de 2008 et les crises syrienne et ukrainienne, nécessitait en quelque sorte une espèce de Diabolus Ex Machina qui serait décrit par une symbolique et une expression écrite aussi puissantes.
Deep State en pleine lumière
Quoi qu’il en soit, le Deep State constitue l’acteur central, le manipulateur permanent, le maître du complot et du simulacre, la puissance tellurique, tout cela à la fois ordonnant l’animation de la puissance crisique du Système, la politiqueSystème, etc., essentiellement aux USA. Mais, dans la narrative du Système, il devait rester un “non-vu à-peine-dit”, une présence irrésistible mais pourtant dissimulée, une ombre noire qui ordonnait la destruction du monde avec une méthode et une précision admirables, comme presque sans se salir les mains, quasiment sans intervenir...
Ce qui s’est passé essentiellement à partir de 2016, et particulièrement après la victoire de Trump, c’est un basculement complet, un éclair de lumière fulgurant. Seule la haine portée à son paroxysme, comme l’étonnant personnage (ce Trump) a pu déchaîner contre lui, peut expliquer l’étrange phénomène : sa propre “libération de la parole” (celle de Trump) a obligé les autres à la “libération de la parole”, notamment de ses adversaires et éventuellement des critiques de ses adversaires qui ne sont pas nécessairement partisans de Trump, au nom du Deep State et à propos du Deep State, l'impliquanr ainsi dans l'infamie boueuse de sa sacralité piétinée. Il s’avéra en effet impossible d’accepter l’impensable (l’élection de Trump) et de faire selon l’ordonnancement habituel : une acceptation résignée de la chose avec la certitude que Trump rentrerait dans le rang ordonné par le Deep State.
Depuis neuf mois, nous vivons au rythme de cette étrange glasnost à l’américaine, opérationnalisée avec une violence et un tintamarre extraordinaires. On ne parle que de “coup”, (silencieux, rampant, par destitution, par incantation, par assassinat virtuel, etc.) et la présence vigilante ou comploteuse, c’est selon, du Deep State est partout signalée et commentée. Un ex-directeur de la CIA vient dire en public et sous les applaudissements de l’establishment (nom chic, de moins en moins usité, pour la section mondaine du Deep State) que les officiers du gouvernement devront, si Trump fait ceci ou cela, refuser d’obéir au commandant-en-chef démocratiquement élu, sinon le balancer, éventuellement manu militari. Brennan parle au nom du Deep State, comme le WaPo et le NYT, comme Sa Majesté BHO, comme Michal Moore, comme la ribambelle-Clinton, comme les Soros’ boys de Black Live Matters, comme Robert de Niro et Meryl Streep... Que du beau linge.
Comme un boxeur KO debout
En effet, c’est là le cœur de notre interprétation. La “libération de la parole” en URSS signifiait la libération par déchaînement (littéralement : “ôter ses chaînes”) des psychologies de l’emprisonnement que leur faisaient subir l’idéologie, le régime, ce simulacre complet installée par la terreur policière et transformée en une contrainte de communication par adaptation aux consignes de la modernité-postmodernité. A partir de Gorbatchev, les chaînes furent ôtées aux psychologies, et c’est l’acte essentiel qu’il nous importe de rappeler : à partir de là, le régime intouchable, indiscutable (dont tout le monde parlait tout bas, que certains détestaient, dont d’autres abusaient, etc., mais que personne ne mettait ni en cause ni sur la défensive), ce régime était soudain devenu acteur et sujet du discours public, de la rumeur, de la contestation, de la réaction, etc... Le reste, ce sont les avatars divers de la politique et l’on ne peut juger de la vertu de la glasnost en fonction de ce qui suivit ; dès lors qu’il y avait glasnost, le système (du soviétisme) devait périr, et après l’on verrait bien... (Et, les choses considérées trente ans plus tard en Russie, cela aurait pu être bien pire.)
Dans le cas des USA, ce que nous prétendons observer, c’est l’entrée dans l’arène comme acteur public, affiché, même pour sa défense ou son appel à l’aide, du système de l’américanisme, du Système lui-même, du Deep State enfin, dans sa sémantique symbolique, sacralisée et absolument explosive. On ne peut plus soutenir aujourd’hui les contes de fée qui ont constamment enjolivé l’histoire et la situation des USA : ce pays, sur la puissance duquel se repose le Système, est déchiré, désarticulé, quasiment démantibulé et groggy comme un boxeur KO debout...
Cela signifie que le facteur sacré, essentiel, de toute la machinerie qui nous emprisonne, a été frappé de plein fouet par le sacrilège et qu’en retour cette machinerie est conduite à desserrer son étreinte. Notre interprétation est qu’il s’agit bien d’une glasnost, certes dans des conditions très différentes de ce qui se passa en URSS, mais avec à notre sens une intensité du déchaînement psychologique qui va dans le même sens induit par la “libération de la parole” de la période de la glasnost. Il est donc très possible sinon probable que les USA en paye la note d'une façon ou d'une autre, mais sévère exactement comme l’URSS, par une forme de démembrement, d’une déconstruction chère aux postmodernes.
Bien entendu, il n’est pas question de prendre parti, ni même de porter un jugement sur les uns ou sur les autres, sur l’un ou sur l’autre. (Nous le faisons à suffisance dans d’autres occasions.) Il n’est ici question que de tenter d’identifier et d’analyser ce qui nous paraît être un processus essentiel en cours aux USA, dont personne n’a conscience, où personne n’a joué de rôle directeur, dont personne bien entendu n’appréhende les conséquences (y compris le rôle central du détonateur qu’est Trump, par ailleurs personnage complètement incohérent et chaotique, situé complètement en-dessous d’un Gorbatchev comme valeur humaine et politique).
C’est un jugement totalement métahistorique, qui s’autorise à se poser lui-même en raison de la puissance des événements et de la communication, de la contraction du Temps et de l’accélération de l’Histoire. Nous-mêmes ne pouvons ni ne voulons évidemment rien dire de plus, ni sur les perspectives, ni sur les effets, ni sur les conséquences, à la fois sur les psychologies et sur les événements. Simplement, il nous semble que les divers éléments soi-disant “objectifs” disponibles, aussi bien la durée du phénomène hors des normes-Système et le dévoilement sacrilège du Deep State, autorisent de telles hypothèses dont le sens est nécessairement catastrophique.
Note
(*) D’une façon générale, la dimension symbolique, voire mystique du CMI, celle qu’on retrouve dans le Deep State, a été peu ou pas relevée. Néanmoins, certains auteurs ont bien vu le symbolisme furieux et catastrophique qui s’attachait au bâtiment dit du Pentagone, qui symbolise le Complexe Militaro-Industriel comme le centre d’une gigantesque toile d’araignée. Ce fut notamment le cas de James Carroll dans son livre “The House of War”.
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