J’en arrive à Tati, fils d’immigré russe (grand remplacement ?) qui a filmé comme personne la disparition de l’ancienne France et l’avènement de la France androïde, mécanisée, américanisée et vitrifiée.
• Jour de fête montre l’humiliation du facteur français à vélo par les collègues bombardiers américains. Tout le village se fout de sa gueule et ses méthodes. Il est HS et court après le respect perdu de ses semblables.
• Les Vacances de Monsieur Hulot montrent une France conditionnée par les haut-parleurs (la scène des quais de gare au début est prodigieuse), la radio, les rites pseudo-cycliques des vacanciers. Un Allemand se souvient de sa récente conquête de l’hexagone et organise un pique-nique en panzers de tourisme. Ce passage est toujours ignoré.
• Mon oncle montre le caractère traumatisant du grand progrès technique à la fin des années cinquante. Tati sémioticien et sociologue filme ici les transformations conduites sous la houlette d’une bourgeoisie plus abrutie et collabo que jamais. Le film avait été très populaire en Union soviétique, m’avait dit Tati quand je l’avais rencontré (j’ai eu cette chance en 1981). Le modèle bourgeois est l’américain. On croirait lire en image les mythologies de Roland Barthes, qui est resté depuis toujours un de mes livres de chevet. Bergson aussi a bien indiqué le lien entre rire et développement technique dans un livre célèbre : « du mécanisme plaqué sur du vivant. »
• Play Time montre lui une France après le désastre du gaullisme des années soixante. De Gaulle a défiguré la France (cf. l’émission de Bériot-Péricard) comme personne, il l’a remplacée totalement. Je ne suis pas antigaulliste de principe, mais je remarque. Godard aussi, dans Deux ou trois choses que je sais d’elle, dénonce cette liquéfaction de la France d’antan dans les grands ensembles mathématiques et structuralistes qui ont effacé le pays. Car il n’y a plus de pays : il y a un drugstore, des autoroutes, un aéroport, des villes nouvelles et transparentes. On communique en franglais (car on ne discutera plus), puis on nous invite à visiter Hong Kong ou Las Vegas qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à cet hexagone de verre.
Je laisse de côté Trafic, dont le titre résume ce qu’est devenu le vieux pays : une maison de trafic (emporium), pour reprendre le mot de Jésus aux pharisiens. Le problème est que la France a fichu le camp avec ses habitants et avec ses villageois, qu’il n’est resté que l’automobiliste, le vacancier, le consommateur et le téléspectateur. La terre française est, elle, devenue un hexagone. Cherchez-y la pierre d’angle pour voir.
Sur la bagnole et le tourisme Guy Debord écrit superbement :
« Sous-produit de la circulation des marchandises, la circulation humaine considérée comme une consommation, le tourisme, se ramène fondamentalement au loisir d’aller voir ce qui est devenu banal. L’aménagement économique de la fréquentation de lieux différents est déjà par lui-même la garantie de leur équivalence. La même modernisation qui a retiré du voyage le temps, lui a aussi retiré la réalité de l’espace. »
C’est la farce hypnotique des cinquante millions de consommateurs qui peuvent être encore de « race » blanche à l’époque, mais dont je me fous totalement. Ce ne sont plus des Français. Ce sont des téléspectateurs et des consommateurs, avec à côté une poignée de mécontents et de nostalgiques vite catalogués de réacs par les flics de la pensée inique.
Filmographie
Deux ou trois choses que je sais d’elle (Godard)
Jour de fête (Tati)
Les tontons flingueurs (Audiard-Lautner)
Les vacances de Mr Hulot (Tati)
Mon oncle (Tati)
Play time (Tati)
Trafic (Tati)
Week-end (Godard)
Bibliographie
Mythologies (Roland Barthes)
Le rire (Henri Bergson)
La Société du spectacle (Guy Debord, §168)
Source
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