The New American Consacre un long article à ce livre pour constater que la corruption et le refus de respecter la légalité semble être « systémique » au sein de l’ONU. Loin de s’étendre sur son propre cas, Rasna Warah y met au jour de nouveaux scandales qui devraient dans des circonstances normales ébranler l’ensemble de l’institution. Il n’en est rien pourtant.
Le nouveau livre qui dénonce la corruption à l’ONU
Loin d’être seule dans sa dénonciation des pratiques de l’ONU, Rasna Warah cite de nombreux lanceurs d’alerte. Elle-même, écrivain et journaliste kenyane, a pratiqué l’ONU de près en tant que rédactrice de plusieurs publications des Nations unies de 1994 à 2009. Elle parle donc d’expérience.
Son livre évoque des lanceurs d’alerte aujourd’hui bien connus, tel Anders Kompass qui a mis au jour de nombreux cas de viols d’enfants par des « soldats de la paix » en Afrique après le refus de l’ONU d’y mettre fin.
Mais les abus sexuels, les cas de corruption ou tout simplement de gabegie sont bien plus nombreux et ne reçoivent guère de publicité. En 2015, pas moins de neuf lanceurs d’alerte auprès de l’ONU ont demandé à être reçus par le secrétaire général Ban Ki-moon pour en parler, forts de 15 ans d’expérience et de récolte de données précises.
Chacun d’entre eux a subi des attaques en représailles de la part de l’ONU, ce qui décourage du même coup d’autres témoins de la corruption, voire du crime, disent-ils, de passer à l’action.
Rasna Warah a elle-même constaté des scandales à l’ONU
Rasna Warah, elle, a commencé à constater qu’il y avait un problème lorsqu’elle a voyagé en 2009 au Bahreïn avec Anna Tibaijuka, directrice exécutive chargé de promouvoir les villes « durables » pour le compte d’UN-Habitat. Au cours de la visite, des responsables du Bahreïn avaient posé la question de savoir comment leur argent était employé. Faute de réponse satisfaisante de la part de la directrice, qui semblait prise de court, Rasna Warah a décidé d’enquêter une fois rentrée au Kenya. « J’ai découvert qu’au moins 350.000 dollars, sur un don d’un million offert par le Bahreïn à UN-Habitat, étaient introuvables. Lorsque j’ai demandé à mes supérieurs s’ils savaient où était parti l’argent, ils me sont tombés dessus comme une tonne de briques, menaçant même de ne plus me parler. » C’est alors que la jeune femme s’est rendue compte que l’argent avait été probablement utilisé pour des projets personnels, voire carrément détourné au bénéfice d’individus travaillant pour l’organisation.
Elle devait apprendre plus tard que le Premier ministre du Bahreïn avait été inscrit au palmarès d’honneur d’UN-Habitat pour ses efforts en vue de relever le niveau de vie des Bahreïnis. Donnant-donnant ?
C’est aussi à cette époque que Mme Warah a commencé à enquêter sur la manière dont sont établis les statistiques et les rapports sur l’état des villes du monde (State of the World’s Cities). Elle a pu constater des exagérations volontaires de problèmes ou encore la publication de statistiques ne correspondant à aucune étude ou recherche scientifique. Elle a constaté que certains « fabriquent des données » afin de justifier le travail de l’ONU et d’attirer des donations pour les projets de leurs argences – donations issues des deniers du contribuable.
Elle accuse notamment certains rapports d’avoir créé de toutes pièces nombre de « famines » en Somalie pour bénéficier ensuite de ce qu’elle appelle « l’effet CNN », pour récupérér du financement ou orienter les politiques et créer des programmes d’aide. « La vie de millions de personnes peut être affectée par une statistique trompeuse ou erronée », assure-t-elle.
Les représailles de l’ONU contre ceux qui dénoncent l’impunité de ses pontes
Rasna Warah s’est notamment intéressée aux statistiques sur les inégalités de revenus dans les villes, ce qu’on appelle le coefficient de Gini. Le simple fait de mener l’enquête lui a valu, dit-elle, des humiliations publiques lors de réunions de travail, la menace de ne pas voir son contrat renouvelé, et autre mesures vexatoires. Un appel au Bureau de l’éthique de l’ONU devait se solder par un constat sans suite : « Il a reconnu qu’il y a probablement eu des malversations à UN-Habitat, mais s’est dit incapable d’établir si j’avais subi des représailles », écrit-elle. C’est l’existence de ces dernières qui permet seule d’aller plus loin.
Le livre, tout comme sa préface par Beatrice Edwards, directrice d’un groupe de veille, Government Accountability Project, souligne combien l’irresponsabilité et l’immunité ont conduit l’ONU à couvrir de nombreux scandales, tandis que son système de justice interne « apparaît de plus en plus opaque et arbitraire ». Seuls 3 à 4 % des lanceurs d’alerte qui se sont adressés au Bureau de l’éthique ont obtenu la reconnaissance du fait qu’ils avaient ensuite subi des représailles, ce qui laisse craindre que cette instance supposée indépendante ne protège en réalité les hauts responsables.
Mme Warah rappelle ainsi le cas du diplomate danois qui avait mis au jour le sabotage délibéré d’une enquête de l’ONU sur les atrocités soviétiques en Hongrie. Paul Bang-Jensen avait essayé de protéger les témoins afin de leur éviter, à eux et aux leurs, torture ou assassinat. Lui-même devait être retrouvé « suicidé » peu après qu’il eut mis en garde sa femme et d’autres personnes de ne croire en aucun cas qu’il se serait suicidé.
Scandale : les agences de l’ONU profitent du malheur, quand ils ne l’inventent pas
Aujourd’hui, l’ONU a toujours des pratiques très contestables. Par exemple, rapporte l’auteur, les organisations d’aide internationale sont coutumiers du fait d’inonder les marchés de denrées gratuites au moment de la récolte, ce qui fait chuter les prix et incite les producteurs locaux à aller faire autre chose, avec, au bout du compte, une dépendance accrue par rapport aux agences financées par le contribuable occidental et aux grands groupes internationaux de distribution.
Elle assure également que la BBC a mis en place une politique précise par rapport aux enquêtes relatives à l’ONU : pas question de lancer des accusations dures, puisque cela pourrait être perçu comme étant « contraire au développement ». Mme Warah, qui se qualifie elle-même « de gauche » note que bien des médias refusent de critiquer l’ONU de peur d’être assimilés aux militants de droite qui réclament sa fermeture.
Aussi la journaliste se donne-t-elle de la peine pour expliquer qu’elle croit de toutes ses forces aux idéaux de l’ONU, qu’elle estime trahis. Sur ce plan, il est facile de la contester, mais cela ne disqualifie pas ses accusations, ni le compte rendu qu’elle fait d’une réalité dont elle est personnellement témoin.
Anne Dolhein
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