"Je suis allé ramasser l'uranium fondu sous le réacteur avec une raclette. La radioactivité était tellement forte qu'on ne pouvait pas rester plus de deux minutes. En ressortant, on avait pris la dose autorisée pour un an."
Daniel Robert fait partie des centaines de "nettoyeurs" mobilisés en urgence par EDF sur la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux, dans le Loir-et-Cher.
Le 17 octobre 1969, une mauvaise manipulation lors du chargement du cœur sur le réacteur n°1 entraîne la fusion de 50 kilos d'uranium. C'est l'un des plus graves accidents nucléaires jamais survenus en France. Pourtant, quarante-deux ans plus tard, l'événement reste quasi inconnu du grand public.
Le Point a mis la main sur des documents inédits et retrouvé des témoins qui, pour la première fois, racontent ce qui s'est réellement passé. La veille, le général de Gaulle était venu visiter cette toute récente centrale graphite-gaz. Un procédé abandonné depuis.
Une dizaine de jours après l'accident, des centaines de "nettoyeurs" entrent en action. Pour intervenir, il a fallu attendre que le combustible nucléaire refroidisse. Serge Roullier, 69 ans, se souvient."J'étais chef d'équipe. Je veillais sur les gars pour qu'ils ne mettent pas leur vie en danger. On leur passait une corde autour de la taille. Au bout de deux minutes, on tirait trois fois dessus pour qu'ils ressortent. Ça crachait fort, là-haut..." Pour pénétrer dans le bâtiment du réacteur, les nettoyeurs doivent se hisser dans l'enceinte, par un trou d'homme percé dans une plaque d'acier de 30 centimètres. Daniel Robert est l'un des rares à être monté deux fois."On raclait l'uranium fondu avec des outils que l'on avait bricolés. On était éclairés par un projecteur. C'était d'autant plus dur que l'on travaillait avec un masque et trois combinaisons de protection enfilées les unes sur les autres alors qu'il faisait 40 °C. La sueur qui ruisselait le long du corps remplissait nos bottes en plastique ! On mettait les déchets radioactifs dans des petites poubelles en plomb qu'il fallait ensuite redescendre." Pour travailler le plus vite possible, chacun s'est entraîné sur une maquette grandeur nature construite pour l'occasion."Cela ne demandait pas de compétences particulières, mais il fallait être rapide. On avait pour rôle soit de gratter l'uranium, soit de le ramasser."
Comme si le sort s'acharnait sur la centrale de Saint-Laurent, onze ans plus tard, le 13 mars 1980, à 17 h 40, les alarmes se déclenchent. Une nouvelle fusion se produit, cette fois sur le réacteur n°2. Un morceau de taule vient d'obstruer une partie du circuit de refroidissement. La température fait un bond, ce qui provoque la fusion de plus de 20 kilos d'uranium et entraîne l'arrêt d'urgence du réacteur.
Omerta. D'après la liste confidentielle établie à l'époque par EDF, ce sont plus de 500 personnes qui sont intervenues pour nettoyer et remettre en état de marche le réacteur. Des salariés de l'entreprise, mais aussi beaucoup de sous-traitants. Même si la quantité de combustible est moins importante qu'en 1969, l'accident est plus grave parce que l'uranium qui a séjourné dans le réacteur près de deux ans est beaucoup plus radioactif.
Pour faire écran aux radiations, des tonnes de plomb doivent être transportées dans le bâtiment réacteur."C'était des sacs de 20 kilos remplis de billes, précise Janick Goussay,qui est intervenu avec son père. On faisait une chaîne humaine pour les déposer là où ça crachait le plus. Il ne fallait pas rester plus de vingt minutes." Il faudra vingt-neuf mois pour nettoyer et réparer l'installation. Le bâtiment réacteur restera longtemps contaminé par les poussières d'uranium qui se sont dispersées à l'intérieur. Les 352 sous-traitants, chaudronniers, soudeurs ou mécaniciens, recrutés pour remettre en état le réacteur, se retrouveront particulièrement exposés à la radioactivité. Trente ans plus tard, que sont devenus ces centaines de nettoyeurs et de sous-traitants ? Ont-ils fait l'objet d'un suivi médical particulier ? Interrogé par Le Point, EDF n'a pas souhaité répondre. Combien d'entre eux ont développé des cancers liés aux radiations ? Mystère. A l'époque, les doses autorisées pour les travailleurs du nucléaire étaient deux fois et demie plus élevées qu'aujourd'hui.
Dans un document interne à la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux que Le Point s'est procuré, on découvre que, en 1980, 71 personnes ont été traitées à l'infirmerie pour contamination, contre 7 seulement en 1979. Parmi les endroits du corps les plus touchés, la tête, les mains et le cou. Joël Rauch travaillait à la radioprotection au moment de l'accident."Je contrôlais la radioactivité des types qui sortaient de la zone chaude. Je faisais une vingtaine de relevés sur chaque personne. Mais, au lieu de retranscrire la dose la plus élevée, comme j'aurais dû le faire, la direction m'imposait de faire une moyenne. Au final, ça revenait à minorer le niveau de contamination."
L'accident a-t-il menacé les riverains de la centrale ? Officiellement, non. Sauf qu'avant d'intervenir dans le bâtiment réacteur il a fallu "vidanger", c'est-à-dire relarguer dans l'atmosphère les 200 tonnes de gaz carbonique qu'il contenait et qui avaient été contaminées par l'uranium en fusion. Sept mois après l'accident, la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux a dépassé son quota annuel de rejets radioactifs. Comme le montre un document récupéré par Le Point, son directeur demande alors une autorisation exceptionnelle pour des rejets supplémentaires. Un feu vert aussitôt accordé par le directeur du Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI), Pierre Pellerin, qui symbolisera en 1986 aux yeux des Français le mensonge sur le nuage de Tchernobyl."Peu de temps après l'accident, le professeur Pellerin est venu voir les élus dont je faisais partie pour leur expliquer que tout ça n'était pas grave, raconte Michel Eimer, ancien conseiller général de Loir-et-Cher, aujourd'hui vice-président de la commission locale d'informations sur le nucléaire.Le réacteur a pourtant été arrêté pendant trois ans et demi et l'accident a été porté au niveau 4 de l'échelle internationale des événements nucléaires ; c'est à ce jour le plus grave jamais répertorié en France."
Un épisode très longtemps demeuré secret.Le Point est en mesure d'affirmer que, pour nettoyer l'uranium fondu dans les réacteurs 1 et 2 de Saint-Laurent, EDF mobilisera 411 de ses employés. C'est l'une des dernières fois qu'EDF exposera en nombre ses propres salariés aux radiations et aux risques de contamination. Aujourd'hui, la quasi-totalité des interventions en "zone chaude" sont sous-traitées
Le 17 octobre 1969, une mauvaise manipulation lors du chargement du cœur sur le réacteur n°1 entraîne la fusion de 50 kilos d'uranium. C'est l'un des plus graves accidents nucléaires jamais survenus en France. Pourtant, quarante-deux ans plus tard, l'événement reste quasi inconnu du grand public.
Le Point a mis la main sur des documents inédits et retrouvé des témoins qui, pour la première fois, racontent ce qui s'est réellement passé. La veille, le général de Gaulle était venu visiter cette toute récente centrale graphite-gaz. Un procédé abandonné depuis.
Une dizaine de jours après l'accident, des centaines de "nettoyeurs" entrent en action. Pour intervenir, il a fallu attendre que le combustible nucléaire refroidisse. Serge Roullier, 69 ans, se souvient."J'étais chef d'équipe. Je veillais sur les gars pour qu'ils ne mettent pas leur vie en danger. On leur passait une corde autour de la taille. Au bout de deux minutes, on tirait trois fois dessus pour qu'ils ressortent. Ça crachait fort, là-haut..." Pour pénétrer dans le bâtiment du réacteur, les nettoyeurs doivent se hisser dans l'enceinte, par un trou d'homme percé dans une plaque d'acier de 30 centimètres. Daniel Robert est l'un des rares à être monté deux fois."On raclait l'uranium fondu avec des outils que l'on avait bricolés. On était éclairés par un projecteur. C'était d'autant plus dur que l'on travaillait avec un masque et trois combinaisons de protection enfilées les unes sur les autres alors qu'il faisait 40 °C. La sueur qui ruisselait le long du corps remplissait nos bottes en plastique ! On mettait les déchets radioactifs dans des petites poubelles en plomb qu'il fallait ensuite redescendre." Pour travailler le plus vite possible, chacun s'est entraîné sur une maquette grandeur nature construite pour l'occasion."Cela ne demandait pas de compétences particulières, mais il fallait être rapide. On avait pour rôle soit de gratter l'uranium, soit de le ramasser."
Comme si le sort s'acharnait sur la centrale de Saint-Laurent, onze ans plus tard, le 13 mars 1980, à 17 h 40, les alarmes se déclenchent. Une nouvelle fusion se produit, cette fois sur le réacteur n°2. Un morceau de taule vient d'obstruer une partie du circuit de refroidissement. La température fait un bond, ce qui provoque la fusion de plus de 20 kilos d'uranium et entraîne l'arrêt d'urgence du réacteur.
Omerta. D'après la liste confidentielle établie à l'époque par EDF, ce sont plus de 500 personnes qui sont intervenues pour nettoyer et remettre en état de marche le réacteur. Des salariés de l'entreprise, mais aussi beaucoup de sous-traitants. Même si la quantité de combustible est moins importante qu'en 1969, l'accident est plus grave parce que l'uranium qui a séjourné dans le réacteur près de deux ans est beaucoup plus radioactif.
Pour faire écran aux radiations, des tonnes de plomb doivent être transportées dans le bâtiment réacteur."C'était des sacs de 20 kilos remplis de billes, précise Janick Goussay,qui est intervenu avec son père. On faisait une chaîne humaine pour les déposer là où ça crachait le plus. Il ne fallait pas rester plus de vingt minutes." Il faudra vingt-neuf mois pour nettoyer et réparer l'installation. Le bâtiment réacteur restera longtemps contaminé par les poussières d'uranium qui se sont dispersées à l'intérieur. Les 352 sous-traitants, chaudronniers, soudeurs ou mécaniciens, recrutés pour remettre en état le réacteur, se retrouveront particulièrement exposés à la radioactivité. Trente ans plus tard, que sont devenus ces centaines de nettoyeurs et de sous-traitants ? Ont-ils fait l'objet d'un suivi médical particulier ? Interrogé par Le Point, EDF n'a pas souhaité répondre. Combien d'entre eux ont développé des cancers liés aux radiations ? Mystère. A l'époque, les doses autorisées pour les travailleurs du nucléaire étaient deux fois et demie plus élevées qu'aujourd'hui.
Dans un document interne à la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux que Le Point s'est procuré, on découvre que, en 1980, 71 personnes ont été traitées à l'infirmerie pour contamination, contre 7 seulement en 1979. Parmi les endroits du corps les plus touchés, la tête, les mains et le cou. Joël Rauch travaillait à la radioprotection au moment de l'accident."Je contrôlais la radioactivité des types qui sortaient de la zone chaude. Je faisais une vingtaine de relevés sur chaque personne. Mais, au lieu de retranscrire la dose la plus élevée, comme j'aurais dû le faire, la direction m'imposait de faire une moyenne. Au final, ça revenait à minorer le niveau de contamination."
L'accident a-t-il menacé les riverains de la centrale ? Officiellement, non. Sauf qu'avant d'intervenir dans le bâtiment réacteur il a fallu "vidanger", c'est-à-dire relarguer dans l'atmosphère les 200 tonnes de gaz carbonique qu'il contenait et qui avaient été contaminées par l'uranium en fusion. Sept mois après l'accident, la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux a dépassé son quota annuel de rejets radioactifs. Comme le montre un document récupéré par Le Point, son directeur demande alors une autorisation exceptionnelle pour des rejets supplémentaires. Un feu vert aussitôt accordé par le directeur du Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI), Pierre Pellerin, qui symbolisera en 1986 aux yeux des Français le mensonge sur le nuage de Tchernobyl."Peu de temps après l'accident, le professeur Pellerin est venu voir les élus dont je faisais partie pour leur expliquer que tout ça n'était pas grave, raconte Michel Eimer, ancien conseiller général de Loir-et-Cher, aujourd'hui vice-président de la commission locale d'informations sur le nucléaire.Le réacteur a pourtant été arrêté pendant trois ans et demi et l'accident a été porté au niveau 4 de l'échelle internationale des événements nucléaires ; c'est à ce jour le plus grave jamais répertorié en France."
Un épisode très longtemps demeuré secret.Le Point est en mesure d'affirmer que, pour nettoyer l'uranium fondu dans les réacteurs 1 et 2 de Saint-Laurent, EDF mobilisera 411 de ses employés. C'est l'une des dernières fois qu'EDF exposera en nombre ses propres salariés aux radiations et aux risques de contamination. Aujourd'hui, la quasi-totalité des interventions en "zone chaude" sont sous-traitées
Georges Charpak, prix nobel de physique :Source
" Nous sommes arrivés à la conclusion que tout ce qui concerne la sécurité ne peut pas être laissé aux seuls responsables politiques ou aux ingénieurs assurant la surveillance. "
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