À partir de ce lundi 22 août, des syndicats d'agriculteurs appellent à occuper le siège du groupe Lactalis, à Laval. Ces derniers dénoncent la baisse des prix pratiquée par le leader du secteur, qui met en péril l'avenir des producteurs de lait français. Marie-Andrée Luherne, exploitante de 52 ans et secrétaire de la FDSEA dans le Morbihan, participe au mouvement. Elle témoigne.
Fille d’agriculteur, je produits du lait depuis 1983 prêt de Vannes, dans le Morbihan, et je participerai au blocage de Lactalis ce mardi toute la journée. Je ne pensais pas, en choisissant ce métier de passion il y a 30 ans, en arriver là où j’en suis aujourd’hui. Notre précarité – comme celle de milliers d’exploitants français – devient telle que ça ne peut plus durer.
Chaque jour, nous perdons 300 euros
Je travaille depuis plusieurs années en Groupement agricole d'exploitation en commun (Gaec), avec mon mari et deux de nos enfants. Exclusivement producteurs de lait, nous nous occupons d’une centaine de vaches et de 200 hectares de terrain pour l’alimentation des animaux. Et chaque jour, nous perdons de l’argent.
Nous livrons notre lait à Sodiaal, et non à Lactalis, mais nous subissons les mêmes effets de l’effondrement du marché. Nous sommes payés 27 centimes par litre de lait alors que son coût de production nous revient à 36 centimes. Résultat, nous savons qu’il nous manquera 300 euros en fin de journée pour rentrer dans nos frais. Je ne parle pas de bénéfices, mais simplement de notre chiffre d’affaires, pour nous permettre de payer les factures. Au total, ce sont 9.000 euros que nous perdons chaque mois.
Pour survivre, nous dépensons le moins possible, nous appelons moins le vétérinaire, nous étalons les prêts au maximum et décalons les factures, en espérant voir le bout du tunnel. C’est une gestion au jour le jour qui n’est pas tenable. C'est le monde à l'envers : nous payons pour travailler.
0,25 euros le litre de lait, un tarif suicidaire
Les prix ont commencé à baisser il y a un an et demi. L’hiver dernier, nous étions rémunérés 32 centimes par litre, ce qui restait insuffisant pour en vivre, mais tout de même un peu plus confortable. Depuis, les prix se sont écroulés.
Lactalis, lui, propose désormais 0,25 euros par litre de lait, c’est un véritable coup de massue pour toute la filière. Personne ne peut produire à ce tarif-là, c’est tout bonnement impossible.
Or Lactalis étant le leader sur le marché, nous craignons que les autres laiteries n’adoptent bientôt la même politique. Ce ne sera peut-être pas demain ni dans un mois, mais cette issue est une fatalité que nous ne pouvons envisager. C’est pourquoi le blocage du siège de l’industriel est non seulement symbolique, mais représente surtout un enjeu vital pour nous, producteurs.
Aujourd’hui, les entreprises nous donnent ce qu’elles veulent sans aucune négociation et sans prendre en compte notre prix de revient. Tout le monde n’est pas récompensé de la même manière pour la valeur de son travail.
Je travaille 60 heures par semaine
Nous avons l’impression que l’on nous mène la vie dure dans l’espoir que des agriculteurs mettent la clé sous la porte. C’est dur à vivre, dans la mesure où, dans notre situation, c’est toute la famille qui subit ces pressions et difficultés. Si l’exploitation tombe, nous perdons notre maison, notre terrain… C’est toute notre vie qui s’écroule.
Avec mon mari et nos enfants, nous nous soutenons mutuellement dans les tâches, et je travaille pourtant 60 heures par semaine. Je vous laisse imaginer la situation d’un agriculteur seul sur son exploitation…
Dans mon entourage, il y a beaucoup d’accidents et d’arrêts maladie, car les gens ont trop tiré sur la corde. Ils ne prennent pas de vacances ni de remplaçants, et doivent se séparer de leurs salariés quand ils ont la chance d’en avoir, faute de pouvoir les payer. Ici, il y a beaucoup de misère et de personnes en détresse. Quand on joue avec la vie des gens, ça lâche au bout d’un certain temps. C’est ça qui est révoltant.
L’État doit nous venir en aide
Mes enfants m’ont confié que, s’ils ne réussissaient pas à vivre de la production de lait, ils feront leur carrière ailleurs. Les entreprises ne regardent pas la réalité en face : un jour, elles n’auront plus de lait français, pourtant reconnu pour sa grande qualité car répondant à de nombreuses normes très strictes. Elles nous laissent mourir et s’en apercevront trop tard.
La concurrence avec nos voisins européens devient de plus en plus rude, dans la mesure où les règles sont différentes d’un pays à l’autre. Il est temps de les harmoniser.
Nous demandons à l’État de nous venir en aide pour mettre en place une revalorisation rapide des prix, qui tienne compte de nos coûts de production, et aux banques de jouer le jeu pour nous soutenir. Nous ne souhaitons pas faire fortune, sinon nous aurions fait un autre métier.
Les consommateurs peuvent nous aider
Mais à travers notre mobilisation, c’est également les acheteurs attachés aux petites exploitations familiales que nous voulons sensibiliser. Afin de permettre une consommation responsable, nous défendons la valorisation d’un étiquetage français, auquel Lactalis est opposé (ont-ils quelque chose à cacher ?).
Notre vocation est de nourrir la population avec du lait de qualité, et nous y sommes attachés. Mais encore faudrait-il pour cela que l’on soit en mesure de nourrir notre propre famille.
Propos recueillis par Rozenn Le Carboulec.
Source
Fille d’agriculteur, je produits du lait depuis 1983 prêt de Vannes, dans le Morbihan, et je participerai au blocage de Lactalis ce mardi toute la journée. Je ne pensais pas, en choisissant ce métier de passion il y a 30 ans, en arriver là où j’en suis aujourd’hui. Notre précarité – comme celle de milliers d’exploitants français – devient telle que ça ne peut plus durer.
Chaque jour, nous perdons 300 euros
Je travaille depuis plusieurs années en Groupement agricole d'exploitation en commun (Gaec), avec mon mari et deux de nos enfants. Exclusivement producteurs de lait, nous nous occupons d’une centaine de vaches et de 200 hectares de terrain pour l’alimentation des animaux. Et chaque jour, nous perdons de l’argent.
Nous livrons notre lait à Sodiaal, et non à Lactalis, mais nous subissons les mêmes effets de l’effondrement du marché. Nous sommes payés 27 centimes par litre de lait alors que son coût de production nous revient à 36 centimes. Résultat, nous savons qu’il nous manquera 300 euros en fin de journée pour rentrer dans nos frais. Je ne parle pas de bénéfices, mais simplement de notre chiffre d’affaires, pour nous permettre de payer les factures. Au total, ce sont 9.000 euros que nous perdons chaque mois.
Pour survivre, nous dépensons le moins possible, nous appelons moins le vétérinaire, nous étalons les prêts au maximum et décalons les factures, en espérant voir le bout du tunnel. C’est une gestion au jour le jour qui n’est pas tenable. C'est le monde à l'envers : nous payons pour travailler.
0,25 euros le litre de lait, un tarif suicidaire
Les prix ont commencé à baisser il y a un an et demi. L’hiver dernier, nous étions rémunérés 32 centimes par litre, ce qui restait insuffisant pour en vivre, mais tout de même un peu plus confortable. Depuis, les prix se sont écroulés.
Lactalis, lui, propose désormais 0,25 euros par litre de lait, c’est un véritable coup de massue pour toute la filière. Personne ne peut produire à ce tarif-là, c’est tout bonnement impossible.
Or Lactalis étant le leader sur le marché, nous craignons que les autres laiteries n’adoptent bientôt la même politique. Ce ne sera peut-être pas demain ni dans un mois, mais cette issue est une fatalité que nous ne pouvons envisager. C’est pourquoi le blocage du siège de l’industriel est non seulement symbolique, mais représente surtout un enjeu vital pour nous, producteurs.
Aujourd’hui, les entreprises nous donnent ce qu’elles veulent sans aucune négociation et sans prendre en compte notre prix de revient. Tout le monde n’est pas récompensé de la même manière pour la valeur de son travail.
Je travaille 60 heures par semaine
Nous avons l’impression que l’on nous mène la vie dure dans l’espoir que des agriculteurs mettent la clé sous la porte. C’est dur à vivre, dans la mesure où, dans notre situation, c’est toute la famille qui subit ces pressions et difficultés. Si l’exploitation tombe, nous perdons notre maison, notre terrain… C’est toute notre vie qui s’écroule.
Avec mon mari et nos enfants, nous nous soutenons mutuellement dans les tâches, et je travaille pourtant 60 heures par semaine. Je vous laisse imaginer la situation d’un agriculteur seul sur son exploitation…
Dans mon entourage, il y a beaucoup d’accidents et d’arrêts maladie, car les gens ont trop tiré sur la corde. Ils ne prennent pas de vacances ni de remplaçants, et doivent se séparer de leurs salariés quand ils ont la chance d’en avoir, faute de pouvoir les payer. Ici, il y a beaucoup de misère et de personnes en détresse. Quand on joue avec la vie des gens, ça lâche au bout d’un certain temps. C’est ça qui est révoltant.
L’État doit nous venir en aide
Mes enfants m’ont confié que, s’ils ne réussissaient pas à vivre de la production de lait, ils feront leur carrière ailleurs. Les entreprises ne regardent pas la réalité en face : un jour, elles n’auront plus de lait français, pourtant reconnu pour sa grande qualité car répondant à de nombreuses normes très strictes. Elles nous laissent mourir et s’en apercevront trop tard.
La concurrence avec nos voisins européens devient de plus en plus rude, dans la mesure où les règles sont différentes d’un pays à l’autre. Il est temps de les harmoniser.
Nous demandons à l’État de nous venir en aide pour mettre en place une revalorisation rapide des prix, qui tienne compte de nos coûts de production, et aux banques de jouer le jeu pour nous soutenir. Nous ne souhaitons pas faire fortune, sinon nous aurions fait un autre métier.
Les consommateurs peuvent nous aider
Mais à travers notre mobilisation, c’est également les acheteurs attachés aux petites exploitations familiales que nous voulons sensibiliser. Afin de permettre une consommation responsable, nous défendons la valorisation d’un étiquetage français, auquel Lactalis est opposé (ont-ils quelque chose à cacher ?).
Notre vocation est de nourrir la population avec du lait de qualité, et nous y sommes attachés. Mais encore faudrait-il pour cela que l’on soit en mesure de nourrir notre propre famille.
Propos recueillis par Rozenn Le Carboulec.
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