06 mai 2016

Police : « Tout est mis en place pour que ça dégénère »


Entretien. Gardien de la paix au renseignement territorial, secrétaire général de la CGT police, Alexandre Langlois dénonce une volonté délibérée de « dégoûter les manifestants ». Il raconte les coulisses des violences.

Comment analysez-vous les violences policières qui ont marqué les dernières manifestations contre la loi El Khomri ?

Alexandre Langlois : Tout est mis en place pour que les manifestations dégénèrent. Côté renseignement, on constate depuis une dizaine d’années une double évolution, avec des manifestants beaucoup plus pacifiques qu’avant, mais des casseurs toujours plus violents, organisés de manière quasi paramilitaire. Certains de ces groupes sont identifiés avant qu’ils intègrent les manifestations. Mais aucune consigne n’est donnée pour les interpeller en amont.

Vous parlez d’une « volonté délibérée » que les manifestations dégénèrent. Comment cela se traduit-il pour vous, sur le terrain ?

Alexandre Langlois : Prenons l’exemple du 9 avril. En fin de journée, nous savons qu’un groupe de casseurs dangereux vient d’arriver gare du Nord pour aller perturber Nuit debout, à République. Une compagnie de CRS se trouve sur leur passage, prête à intervenir. Mais l’ordre leur est donné par la préfecture de se pousser dans une rue adjacente ! Les collègues leur signalent l’imminence de l’arrivée du groupe de casseurs. Mais ordre leur est confirmé de les laisser gagner place de la République, avec les conséquences que l’on connaît ! Par contre, quand il s’est agi d’aller protéger le domicile privé de Manuel Valls, ce soir-là, cette fois les ordres ont été clairs…

Au-delà des casseurs, comment expliquez-vous les ruptures de cortèges, l’usage systématique de gaz lacrymogènes, voire les brutalités policières gratuites ?

Alexandre Langlois : C’est important de rappeler que, dans les manifestations, tous les collègues sur le terrain n’interviennent que sur ordre. Si certaines, comme le 1er Mai, se terminent en « souricière » place de la Nation, c’est que l’ordre en a été donné. Le message qui est passé, c’est « casseurs venez, vous pourrez agir en toute impunité, et manifestants ne venez plus avec vos enfants, car c’est dangereux pour vous ». Et à la fin de la journée, les médias ne parlent que des violences, et surtout plus des raisons pour lesquelles les citoyens manifestent. Le pouvoir politique instrumentalise la police, qui sert de bouc émissaire. Cela permet au gouvernement de faire diversion.

Comment les policiers vivent-ils cette situation ?

Alexandre Langlois : Nous sommes épuisés. Les collègues souffrent d’une perte de sens de leur métier. Aujourd’hui, on leur demande du rendement statistique et d’exécuter des ordres qu’ils jugent incompréhensibles ou injustes. La police est déshumanisée. On compte un suicide en moyenne par semaine dans notre profession. À la CGT police, nous défendons l’idée d’une force publique à l’usage du peuple, celle de la déclaration des droits de l’homme de 1789, une « force pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ».

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