22 janvier 2015

Avant que la nuit ne tombe... Relire Soljenitsyne

Avec l'attentat du 7 Janvier 2015, des forces occultes ont réalisé un coup de maître inégalé dans l'Histoire. Sous couvert de défendre la liberté d'expression, celle ci sera au contraire combattue comme jamais auparavant. Déjà, les censeurs se sont dotés d'un arsenal législatif orwellien. Un simple tweet ou une plaisanterie douteuse peut vous valoir la prison pour apologie du terrorisme et il est question d'assimiler la critique, jusqu'ici légitime, de l'entité sioniste à de l'antisémitisme.

Bref, aussi paradoxal que cela puisse paraître, sous prétexte de défendre la liberté d'expression et de lutter contre le fléau du terrorisme, l'Etat se propose de terroriser ceux qui expriment une opinion différente de la pensée unique !

On reconnaît là l'inversion des valeurs typique des puissances infernales. Nous sommes en train d'aller à rebours de toutes les valeurs libertaires prônées jusqu'à présent et déjà s'esquissent les contours d'un système totalitaire où la liberté de pensée sera purement et simplement supprimée.

Ce n'est pas la première fois que l'on assiste à une telle situation. Les anciennes générations ont encore en mémoire ces fléaux que furent le Stalinisme, les exactions des Kmers Rouges et le travail de la sinistre Stasi de l'ex-RDA. Ils savent que ce genre de système est propice à des forces qui constituerons un véritable étouffoir de la vie et de l'âme de ceux qui y habitent.

Les plus jeunes n'ont évidement aucune idée de l'enfer que peut représenter un régime totalitaire et même s'il est vrai que la plupart d'entre eux sont fondamentalement incapables de raisonner par eux mêmes, il n'en demeure pas moins qu'il faut avertir et instruire ceux qui peuvent l'être encore.

Pour se prémunir du totalitarisme de la pensée unique, il n'existe pas de meilleur remède que de lire ou de relire "l’archipel du Goulag " d'Alexandre Soljenitsyne. En révélant au monde l'horreur du Goulag, n'est ce pas ce livre qui a réalisé l'exploit incroyable de miner les fondations de l'URSS ?

Pour celui qui veut se faire une idée de l'univers surréaliste qu'est la vie dans un système totalitaire, tout y est ! Si par exemple, vous voulez savoir quelle serait votre premiére réaction au moment de votre arrestation par des agents de la police politique, sachez que comme des millions d'autres, vous bégayerez benoitement un "pourquoi moi ? Je n'ai rien fait " et vous vous laisserez emmener sans aucune résistance.

Vous saurez ce que c'est que de vivre dans la peur, de ne pouvoir faire confiance à personne, d'être confronté à des individus qui n'ont rien d'humains ainsi qu'à la racaille qui viendra vous dépouiller du peu que vous avez.

Pour toutes ces raisons, " l’archipel du Goulag" est souvent considéré comme le plus important ouvrage du XX éme siècle. C'est en tout cas, le meilleur antidote qui existe contre l'aveuglement des régimes totalitaires.

Puissent les quelques lignes qui vont suivre vous donner l'envie de le lire.

ALEXANDRE SOLJÉNITSYNE
(1918-2008)

Présentation de l’archipel du Goulag

À la fin de l'été 1973, le KGB arrête à Leningrad une certaine Elizabeth Voronskaïa, occupée à taper sur sa machine à écrire le manuscrit de «l'Archipel», que Soljenitsyne a écrit dans des conditions rocambolesques, à partir de 227 témoignages de rescapés des camps russes. Après cinq jours d'un interrogatoire éprouvant, Voronskaïa, rentrée chez elle, se pend. Soljenitsyne n'a plus le choix: il ordonne la publication du livre à l'Ouest. Il précise dans un avant-propos glaçant :

Le cœur contraint, je me suis abstenu des années durant de faire imprimer ce livre pourtant achevé. Le devoir envers ceux qui étaient encore en vie l'emportait sur celui envers les morts. Mais aujourd'hui que, de toute façon, la sécurité d'Etat s'est emparée de l'ouvrage, il ne me reste plus rien d'autre qu'à le publier sans délai.

Une première partie du texte paraît à Paris, en russe, chez YMCA-Press. C'est immédiatement une déflagration planétaire. Mais qui a vraiment pu la lire ? Habituée à des tirages confidentiels, la petite maison d'édition vend d'emblée 50 000 exemplaires du tome 1, dont une bonne partie à des Français qui ne lisent pas le russe, mais se targuent de posséder l'objet du moment.

La traduction française ne sortira qu'en juin 1974. Le scandale ne l'attendra pas : dès janvier, les intellectuels et les politiques se lancent dans la baston. Soljenitsyne est qualifié par le Parti et la presse communiste de «pourriture», «fasciste», «moujik rétrograde», «vieux singe», «traître», «répugnant reptile». Dans un long communiqué, Marchais dénonce une «campagne antisoviétique» destinée à dissimuler les excellentes récoltes de blé en URSS (222 millions de tonnes en 1973, sachez-le).

A Moscou, Brejnev ne sait pas quoi faire. Le monde entier regarde. Soljenitsyne a reçu le prix Nobel en 1970. On ne peut pas se contenter de l'estourbir à la nuit tombée. Le Politburo se réunit sept fois avant de l'exiler. L'écrivain part pour Zurich. «L'Humanité» titre:
 «Soljenitsyne fait du tourisme en Suisse».

Le 4 mars, un sondage de la Soffres affirme que 60% des électeurs communistes approuvent la démarche de Soljenitsyne. Les touristes amènent l'ouvrage par valises en URSS, où les douaniers demandent: «Rien à déclarer ? Pas de pornographie ? Pas de Soljenitsyne ?» L'affaire empoisonne les rapports entre le PS et le PC, réunis autour d'un programme commun qui n'y survivra pas longtemps. Le Parti entame sa dégringolade. Mitterrand louvoie, et se fend d'une déclaration aussi diplomatique que perfide: «Le plus important n'est pas ce que dit Soljenitsyne, mais qu'il puisse le dire.» «L'Obs» prend parti pour l'écrivain de manière tonitruante. Jean Daniel écrit :

Ceux qui approuvent la mesure de bannissement dont Soljenitsyne a été la victime, ceux qui s'y résignent, ceux qui estiment que le salut des Chiliens torturés, des Espagnols opprimés ou des travailleurs européens exploités passe par la réalisation d'une société où l'on peut bannir un Soljenitsyne, tous ces hommes ne sont pas des nôtres.

Les trotskistes sont gênés parce que Trotski est décrit dans le livre comme une crapule lâche et sanguinaire. Les intellos de gauche chantournent leurs soutiens à Soljenitsyne de précautions rhétoriques. Mitterrand aura encore besoin du PC, mais entre socialistes et communistes la lézarde antitotalitaire achève de se creuser. Le mot «Goulag» entre pour de bon dans le langage courant.

Quand, au mois de juin, le Seuil annonce enfin la parution d'une traduction, on raconte que Soljenitsyne est à Paris. Léon Zitrone est en direct de la rue Jacob et commente, surexcité, le passage du moindre stagiaire, comme si l’écrivain allait sortir sur le dos d’une vachette d'«Intervilles».

Quarante ans après ce psychodrame, pourquoi replonger dans les «canalisations» infernales de «l'Archipel» ? D'abord parce que le texte, seul représentant d'une catégorie littéraire manquante, est un chef-d'œuvre aussi poignant que drôle, aussi austère qu'épique. Ensuite parce que, comme le dit l'historienne Anne Applebaum, et contrairement à ce que la horde post-stalinienne a meuglé pendant des décennies, ce qui frappe, ce n'est pas qu'il y ait, dans ce livre, des erreurs factuelles, c'est qu'il y en ait si peu, sachant qu'il n'avait accès ni aux archives, ni aux documents officiels.

Enfin parce que Soljenitsyne, dans une intuition géniale, décrit le Goulag comme un pays, pays dont la terrifiante Russie contemporaine est l'héritière, et que «l'Archipel» montre ce que soixante ans de barbarie font à un peuple. Citons-en le passage le plus prophétique :

Nous devons condamner publiquement l'idée même que des hommes puissent exercer pareille violence sur d'autres hommes. En taisant le vice, en l'enfouissant dans notre corps pour qu'il ne ressorte pas à l'extérieur, nous le semons. [ ...] C'est pour cela que les jeunes d'aujourd'hui sont «indifférents». Ils se pénètrent de l'idée que les actes ignobles ne sont jamais châtiés sur cette terre, mais sont toujours, au contraire, source de prospérité. Oh, comme ce pays sera inhospitalier, oh, comme il sera effrayant !

David Caviglioli


http://bibliobs.nouvelobs.com/documents/20140606.OBS9769/quarante-ans-apres-l-incroyable-histoire-de-l-archipel-du-goulag.html


Extraits :

Son arrestation est évoquée page 21 :

«Mon arrestation fut sûrement du type le plus facile… Elle ne m’a ni arrachée aux étreintes de mes proches, ni coupé de notre chère vie domestique. Par un de ces précaires mois de février d’Europe, elle m’a extrait de cette pointe avancée, au bord de la Baltique, où l’on ne savait trop qui, des Allemands ou de nous, était encerclé par l’autre, elle m’a seulement fait perdre le groupe d’artillerie où j’avais mes habitudes et privé du spectacle des trois derniers mois de guerre.

Le commandant de brigade m’avait convoqué à son PC. Il me demanda, je ne sais plus pourquoi faire, mon pistolet, je le lui remis, sans soupçonner la moindre perfidie ; soudain, de la suite d’officiers qui, tendue, immobile, se tenait dans un coin, se détachèrent rapidement deux agents du contre-espionnage qui traversèrent en quelques bonds la pièce et du même geste de leurs quatre mains, m’agrippèrent par l’étoile de ma chapka, par mes épaulettes, par mon ceinturon et par ma sacoche, et s’écrièrent d’un ton dramatique : « Vous êtes arrêté !! Brûlé, transpercé de la tête aux pieds, je ne trouvai rien de plus intelligent à dire :

« Moi ? Pourquoi ?? !… » D’habitude cette question reste sans réponse, mais là, chose étonnante, j’en eus une ! La chose mérite mention, tant elle jure avec nos us et coutumes. Les agents du Smerch (contre espionnage militaire) avaient tout juste fini de me plumer, ils m’avaient confisqué, en même temps que ma sacoche, les réflexions politiques que j’avais couchées sur le papier ; accablés de sentir les vitres trembler sous l’effet des explosions des obus allemands, ils se dépêchaient déjà de me pousser vers la porte, quand soudain, retentit un appel adressé à moi d’une voix ferme…. «Soljenitsyne, revenez !» En un demi-tour, je m’arrachais aux bras des Smerch… en direction du commandant… Je le connaissais peu, il n’avait jamais condescendu à avoir de simples conversations avec moi… il demanda : « N’avez-vous pas un ami au premier front d’Ukraine ? »… » Fin de citation

Page 22 : C’est Alexandre Soljenitsyne qui a conduit ses bourreaux à travers la ville en taxi : « Ce fus donc moi qui nous conduisis, eux et moi, jusque dans cette prison et, en signe de reconnaissance, on m’enferma immédiatement non en cellule, mais au cachot… »

Les arrêtés partaient des mois, sans que les proches n’aient de nouvelles d’eux… Tous les ressortissants du pays étaient pris en otage, en vue d’assumer des tâches gratuitement, pour l’Etat. Le nombre d‘arrestation correspondait aux besoins en main d’œuvre d’un grand chantier, notamment celui grand canal par exemple…

Personne en Ex-URSS ne connaissait ne serait-ce que de nom, l’Archipel du Goulag, pas même les agents de trains, d’avions ou autre. Cet endroit est composé d’un ensemble d’îles où « Goulag » est simplement le sigle de l’Administration générale des camps d’internement.

Page 16 : L’auteur évoque le système du passeport intérieur astreignant le citoyen soviétique à obtenir l‘autorisation de la police pour élire un lieu de résidence. Les voyages sont libres, mais le voyageur est tenu de se déclarer à la milice dans les vingt quatre heures qui suivent son arrivée d’où l’impossibilité d’échapper au Guépéou NKVD (Guépéou : administration politique de l’Etat. Remplace la Tcheka (février à décembre 1922) NKVD (commissariat du peuple à l’intérieur. Abrite les Organes depuis 1934).

Il donne l’exemple d’un Letton (de Lettonie) que le NKVD était venu arrêter. Il a sauté par la fenêtre et a filé tout droit en Sibérie. Il y vivait sous son propre nom en toute liberté ! Il note, qu’il y a trois espèces de poursuites : fédérales, républicaines, provinciales, c’est-à-dire déclenchées au niveau respectivement de l‘URSS, de l’une des quatorze républiques constituant l’Union soviétique, d’une province.

Ce qu’Alexandre Soljenitsyne nomme : Histoire de nos canalisations inclus une philosophie sociale commode appelée : la prophylaxie sociale (page 44) c’est-à-dire créer la peur parmi le peuple en multipliant les arrestations d’ingénieurs, de gens instruits… de jeunes gens désirant fêter la fin de semaine….

Page 45 « En 1928 vient le moment de régler son compte à la dernière couvée de la bourgeoisie, les nepmen. Le plus souvent on les frappe d’impôts de plus en plus élevés et dont ils ne peuvent déjà plus s’acquitter. Ils refusent de payer alors ils sont arrêtés pour insolvabilité et leurs biens sont confisqués… (Quant aux artisans – coiffeurs, tailleurs et autres réparateurs de réchauds – on se contente de retirer leurs patentes… » Fin de citation.

De fait, il en découle l’impossibilité évidente d’exercer une activité professionnelle engendrant de multiples déboires !

Ensuite, ce sont des pages entières racontant l’histoire Du vaste pays qu’est l’ex-Urss :

Page 69 «En 1945, bien que la guerre avec le Japon n’eût pas duré trois semaines, on récolta un grand nombre de prisonniers japonais pour les besoins pressants des chantiers de construction de Sibérie et d’Asie centrale, et là-bas aussi, on procéda à la même opération de sélection criminels de guerre destinés au Goulag. Tout en ne connaissant pas les détails, je suis persuadé que la plupart des Japonais n’ont pas été jugé de façon légale. C’était un acte de vengeance et un moyen de retenir de la main d’œuvre pour un délai plus long…. » Fin de citation

Suit alors, une longue liste d’autres civils fait prisonnier également pour fait politique… Bulgares, Yougoslaves, les Tchèques à moindre degré, les autrichiens, les allemands…. ceux de la Manchourie, Vlassoviens, les Cosaques de Krasnov et les musulmans des unités nationales créées sous Hitler convaincus ou contraints… des citoyens russes ayant trouvé refuge dans des territoires contrôlés par les alliés, un certain nombre de Polonais, des Roumains, des Hongrois, des prêtres…

Page 76 : Dans le chapitre intitulé : Instruction, l’auteur évoque les simulacres de jugement, faute de preuves réelles… «Donnez-nous vous-même des arguments, aidez-nous à fabriquer votre affaire ! Et l’on raconte exactement la même chose du Guépéou (Administration politique de l’Etat) de Riazan en 1930 !» Fin de citation

Puis ce sont des pages entières, évoquant les modes d’intimidation des prisonniers afin d’avouer des crimes qui n’ont jamais été commis !

Page 125 : l’auteur revient sur la suite de son arrestation, dans la maison d’arrêt : La Loubianka, évoquant ses compagnons d’infortune. Il écopa de dix-sept années d’emprisonnement.


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