L’hebdomadaire satirique, connu pour ces caricatures parfois décriées, lance un appel aux dons pour pouvoir poursuivre ses activités. Une solution de derniers recours, selon l’équipe du journal.
“Charlie est en danger !”. L’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo lance un cri d’alerte. Trois ans après l’incendie de ses locaux, le journal en appelle de nouveau à ses lecteurs, et leur demande de faire un don pour permettre sa survie. “Aidez-nous”, demande l’équipe de Charlie Hebdo.
Un appel à la “solidarité entre lecteurs”
“Il n’est pas question pour nous d’augmenter le prix de vente de Charlie”, peut-on lire dans le billet de l’hebdo. Son directeur de publication, Stéphane Charbonnier, plus connu sous le nom de Charb, explique :
“Nous avons déjà augmenté le prix. Beaucoup de nos lecteurs n’ont pas forcément les moyens de payer plus cher pour lire notre journal. C’est pourquoi nous avons préféré faire appel à la solidarité entre lecteurs plutôt que de solliciter l’ensemble du lectorat.”
Ce n’est pourtant pas avec plaisir et non sans une certaine gêne qu’ils recourent à un tel processus. Laurent Léger, journaliste depuis cinq ans et demi à Charlie, concède :
“Évidemment, ce n’est pas agréable d’en arriver là. Mais on ne voit pas comment faire autrement.”
Le journal n’est d’ailleurs pas le seul à ne plus savoir “comment faire autrement”. D’autres titres, et notamment Siné Mensuel, cousin de Charlie Hebdo, ont lancé ce même genre d’appels au secours. L’association “Presse et pluralisme” centralise ces dons, et permet à ce qu’ils soient défiscalisés.
“Nous avons déjà fait des économies sur tout”
Charlie Hebdo n’en est pas à sa première crise. “Ça fait longtemps qu’on perd de l’argent au numéro”, témoigne Charb. Mais la période difficile dans laquelle est entré l’hebdomadaire depuis quelques années semble perdurer, et ce malgré les efforts du journal :
“Nous avons déjà fait des économies sur tout : le papier, les impressions, et même les salaires.”
Mais les conditions de travail et la qualité du journal n’ont pas été atteints, assurent les salariés de Charlie. Luce Lapin, chroniqueuse depuis 22 ans là-bas, et également secrétaire de rédaction, confie :
“Je me fais du souci, mais cela ne m’empêche pas de travailler. On ne nous a pas fait porter le poids de ces difficultés financières.”
Laurent Léger confirme. Il parle même de locaux qui sont “mieux qu’avant car au cœur de Paris”. Charb, lui, tempère quelque peu :
“Nos nouveaux locaux sont plus petits. Et nous ne pouvons plus envoyer de journalistes à l’étranger pour faire des reportages dessinés, genre dont nous étions les précurseurs. Mais je pense que ce sont les seules conséquences de nos difficultés sur la qualité de notre travail.”
Mais l’équipe de Charlie a peur que cela ne puisse pas durer. Ils ont des projets pour redynamiser le journal : une nouvelle maquette, une version numérique… Des projets impossibles à réaliser dans l’état actuel de leurs finances. “Nous n’avons plus vraiment de marges de manœuvres, avoue Charb, si nous baissons encore les coûts, le visage et la nature de Charlie Hebdo en souffrira.”
Pas de pub, pas d’actionnaire extérieur
Dans cette “crise de la presse” que décrit Charlie Hebdo dans son billet, des journaux satiriques comme celui-ci ou Siné sont d’autant plus touchés qu’ils sont financés par leurs seuls lecteurs : les ventes et les abonnements demeurent leur seule source de revenus. Pas de pub, pas d’actionnaire extérieur, et comme seule aide publique – pour Charlie en tout cas – l’aide au postage. “Nous sommes totalement indépendants, affirme Charb, et c’est l’une des raisons pour lesquelles nos lecteurs sont attachés à Charlie.” Les contributeurs du journal acquiescent, à l’image de Luce Lapin, dont la chronique hebdomadaire est consacrée à la protection des animaux, chose assez unique dans la presse :
“Aucun autre endroit ne m’accueillerait avec cette liberté. Il n’y a jamais de censure, nous écrivons en toute liberté.”
Avec parfois les risques de déplaire – on se souvient de caricatures de Mahomet, contre lesquelles des associations avaient porté plainte, pour finalement être déboutées par les tribunaux. Ou d’autres plus contestées comme celles sur Boko Haram et le parallèle douteux avec les allocations familiales ou sur le Coran lors des tueries en Egypte.
Même si Charb concède que le journal s’en sortirait mieux financièrement s’il acceptait de la publicité ou l’aide d’actionnaires, il n’est pour le moment pas question d’y recourir. Il précise : ”Je ne dis pas qu’on ne peut pas être indépendants lorsque l’on est financé de cette manière, mais symboliquement ça nous embêterait beaucoup.” Ironie du sort, ajoute le directeur de publication, “à vente égale et si l’on se reporte au seul lectorat, Charlie se porte mieux que de nombreux journaux.” Une situation “paradoxale” selon Charb :
“Nous qui dénonçons le capitalisme, nous sommes l’une des seules publications à fonctionner par la seule loi de l’offre et de la demande du lectorat.”
“Une perte pour la liberté d’expression”
Voir un journal comme Charlie Hebdo menacé, c’est un risque pour ses contributeurs. Corinne Rey, alias Coco, dessinatrice depuis 2009 pour l’hebdo, s’inquiète :
“C’est le risque de perdre une part de notre liberté d’expression, de notre droit de rire et de critiquer, notre privilège en France de pouvoir exprimer nos idées via la presse et notamment le dessin.”
Plus que ça, Charb s’inquiète pour la démocratie, et pour la perte d’une part du “patrimoine national”. “Je ne dis pas que nous sommes un monument national, précise-t-il, mais nous sommes un peu le dernier vestige d’une presse indépendante.” Avec, on peut citer, Le Canard Enchaîné, qui même s’il se porte bien, a vu ses ventes baisser, ou Siné Mensuel, qui fait également appel à la générosité de ses lecteurs pour survivre.
Charb en est conscient : aucun journal n’est immortel. Mais voir disparaître les journaux satiriques s’avérerait irréversible :
“Nous ne renaîtrons pas de nos cendres. Personne ne reprendra le risque de relancer un journal comme Charlie, sous cette forme. Ça ne rapporte rien.”
Camille Jourdan
Le 07/11/2014 à 12h03
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“Charlie est en danger !”. L’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo lance un cri d’alerte. Trois ans après l’incendie de ses locaux, le journal en appelle de nouveau à ses lecteurs, et leur demande de faire un don pour permettre sa survie. “Aidez-nous”, demande l’équipe de Charlie Hebdo.
Un appel à la “solidarité entre lecteurs”
“Il n’est pas question pour nous d’augmenter le prix de vente de Charlie”, peut-on lire dans le billet de l’hebdo. Son directeur de publication, Stéphane Charbonnier, plus connu sous le nom de Charb, explique :
“Nous avons déjà augmenté le prix. Beaucoup de nos lecteurs n’ont pas forcément les moyens de payer plus cher pour lire notre journal. C’est pourquoi nous avons préféré faire appel à la solidarité entre lecteurs plutôt que de solliciter l’ensemble du lectorat.”
Ce n’est pourtant pas avec plaisir et non sans une certaine gêne qu’ils recourent à un tel processus. Laurent Léger, journaliste depuis cinq ans et demi à Charlie, concède :
“Évidemment, ce n’est pas agréable d’en arriver là. Mais on ne voit pas comment faire autrement.”
Le journal n’est d’ailleurs pas le seul à ne plus savoir “comment faire autrement”. D’autres titres, et notamment Siné Mensuel, cousin de Charlie Hebdo, ont lancé ce même genre d’appels au secours. L’association “Presse et pluralisme” centralise ces dons, et permet à ce qu’ils soient défiscalisés.
“Nous avons déjà fait des économies sur tout”
Charlie Hebdo n’en est pas à sa première crise. “Ça fait longtemps qu’on perd de l’argent au numéro”, témoigne Charb. Mais la période difficile dans laquelle est entré l’hebdomadaire depuis quelques années semble perdurer, et ce malgré les efforts du journal :
“Nous avons déjà fait des économies sur tout : le papier, les impressions, et même les salaires.”
Mais les conditions de travail et la qualité du journal n’ont pas été atteints, assurent les salariés de Charlie. Luce Lapin, chroniqueuse depuis 22 ans là-bas, et également secrétaire de rédaction, confie :
“Je me fais du souci, mais cela ne m’empêche pas de travailler. On ne nous a pas fait porter le poids de ces difficultés financières.”
Laurent Léger confirme. Il parle même de locaux qui sont “mieux qu’avant car au cœur de Paris”. Charb, lui, tempère quelque peu :
“Nos nouveaux locaux sont plus petits. Et nous ne pouvons plus envoyer de journalistes à l’étranger pour faire des reportages dessinés, genre dont nous étions les précurseurs. Mais je pense que ce sont les seules conséquences de nos difficultés sur la qualité de notre travail.”
Mais l’équipe de Charlie a peur que cela ne puisse pas durer. Ils ont des projets pour redynamiser le journal : une nouvelle maquette, une version numérique… Des projets impossibles à réaliser dans l’état actuel de leurs finances. “Nous n’avons plus vraiment de marges de manœuvres, avoue Charb, si nous baissons encore les coûts, le visage et la nature de Charlie Hebdo en souffrira.”
Pas de pub, pas d’actionnaire extérieur
Dans cette “crise de la presse” que décrit Charlie Hebdo dans son billet, des journaux satiriques comme celui-ci ou Siné sont d’autant plus touchés qu’ils sont financés par leurs seuls lecteurs : les ventes et les abonnements demeurent leur seule source de revenus. Pas de pub, pas d’actionnaire extérieur, et comme seule aide publique – pour Charlie en tout cas – l’aide au postage. “Nous sommes totalement indépendants, affirme Charb, et c’est l’une des raisons pour lesquelles nos lecteurs sont attachés à Charlie.” Les contributeurs du journal acquiescent, à l’image de Luce Lapin, dont la chronique hebdomadaire est consacrée à la protection des animaux, chose assez unique dans la presse :
“Aucun autre endroit ne m’accueillerait avec cette liberté. Il n’y a jamais de censure, nous écrivons en toute liberté.”
Avec parfois les risques de déplaire – on se souvient de caricatures de Mahomet, contre lesquelles des associations avaient porté plainte, pour finalement être déboutées par les tribunaux. Ou d’autres plus contestées comme celles sur Boko Haram et le parallèle douteux avec les allocations familiales ou sur le Coran lors des tueries en Egypte.
Même si Charb concède que le journal s’en sortirait mieux financièrement s’il acceptait de la publicité ou l’aide d’actionnaires, il n’est pour le moment pas question d’y recourir. Il précise : ”Je ne dis pas qu’on ne peut pas être indépendants lorsque l’on est financé de cette manière, mais symboliquement ça nous embêterait beaucoup.” Ironie du sort, ajoute le directeur de publication, “à vente égale et si l’on se reporte au seul lectorat, Charlie se porte mieux que de nombreux journaux.” Une situation “paradoxale” selon Charb :
“Nous qui dénonçons le capitalisme, nous sommes l’une des seules publications à fonctionner par la seule loi de l’offre et de la demande du lectorat.”
“Une perte pour la liberté d’expression”
Voir un journal comme Charlie Hebdo menacé, c’est un risque pour ses contributeurs. Corinne Rey, alias Coco, dessinatrice depuis 2009 pour l’hebdo, s’inquiète :
“C’est le risque de perdre une part de notre liberté d’expression, de notre droit de rire et de critiquer, notre privilège en France de pouvoir exprimer nos idées via la presse et notamment le dessin.”
Plus que ça, Charb s’inquiète pour la démocratie, et pour la perte d’une part du “patrimoine national”. “Je ne dis pas que nous sommes un monument national, précise-t-il, mais nous sommes un peu le dernier vestige d’une presse indépendante.” Avec, on peut citer, Le Canard Enchaîné, qui même s’il se porte bien, a vu ses ventes baisser, ou Siné Mensuel, qui fait également appel à la générosité de ses lecteurs pour survivre.
Charb en est conscient : aucun journal n’est immortel. Mais voir disparaître les journaux satiriques s’avérerait irréversible :
“Nous ne renaîtrons pas de nos cendres. Personne ne reprendra le risque de relancer un journal comme Charlie, sous cette forme. Ça ne rapporte rien.”
Camille Jourdan
Le 07/11/2014 à 12h03
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