Ce sont les pauvres et ceux qui ne sont pas motivés qui servent dans la guerre ukrainienne et qui sont sacrifiés par des chefs ineptes, alors que les fils des politiciens pro-guerre qui ont des relations, et ceux des oligarques, échappent aisément au service militaire.
Ceux qui n’ont pas payé les pots de vin.
Andrey Manchuk est membre de l’association politique de gauche ukrainienne Borotba. Il vit en exil en Crimée.
À l’automne dernier, son livre qui porte un regard critique sur le mouvement Euromaidan en Ukraine a été publié en Russie.
Cet article a été originellement publié sur le site Liva.com. Il a été traduit par D. Kolesnik pour le site étatsunien CounterPunch.
Récemment, une base de donnée électronique est apparue sur la toile, présentant des photo-documents de militaires ukrainiens tués lors de la guerre à l’Est de l’Ukraine. Les documents sont des passeports, des cartes d’identités militaires, des permis de conduire, des dossiers personnels et des cartes de crédit. Certains documents sont à moitié brûlés alors que d’autres sont impeccables, comme si rien n’était arrivé à leur propriétaires.
Les documents ont été trouvés sur les cadavres des leurs propriétaires, dans différentes zones de la la région du Donbass à l’Est de l’Ukraine, près des villes de Saurovka et Illovaisk, près des ville de Donetsk, Lugansk et Gorlovka. Les documents ont été publiés sur une suggestion des équipes de recherches, afin que les familles de ceux qui ont été tués puissent finalement savoir ce qui est arrivé à ceux qu’ils aiment.
Il se trouve que la majorité d’entre eux étaient toujours considérés comme disparus. Ils n’avait pas non plus été inclus dans les statistiques des pertes subies par l’armée ukrainienne.
La base de données doit être mise à jour parce que tous les papiers des soldats décédés n’ont pas été collectés et scannés avant publication.
Selon les passeports publiés, on trouve sur la liste des gens originaires de plusieurs régions de l’Ukraine, dont Khmelnysky, Cherkasy, Sumy, Poltava, Kherson, Chernihiv, Rivne et la région de Kiev. Mais par une coïncidence étonnante, un des aspects partagés par la majorité des personnes enregistrées sur le site internet est qu’ils sont originaires de la région de Zhytomir.
Ce sont en particulier des conscrits et des soldats sous contrats de Novograd-Volynsk et du district de Chudniv de la région de Zhytomir. C’est là que vivent mes parents.
Les soldats décédés appartenaient à la 30e Brigade mécanisée des forces armées ukrainiennes, qui en août, ont été envoyés par leurs chefs dans une mission folle et suicidaire.
On a ordonné à la brigade de tenter une percée qui pouvait conduire à la prise des villes de Lugansk et Donetsk au moment de la fête de l’Indépendance de l’Ukraine, le 24 août. Si cette percée avait réussi, elle aurait grandement élevé la stature des dirigeants militaires et des politiciens qui l’on ordonnée et approuvée.
Les soldats de la brigade ont été encerclés dans la ville de Latugino et près du village de Metalist. Selon les chiffres officiels, 36 soldats de l’unité ont été portés disparus et je sais que leurs amis auraient préféré les savoir prisonniers. Mais il apparaît maintenant que leur sort a été beaucoup plus tragique.
La région de Zhytomir est une des zones les plus pauvres d’un des pays les plus pauvres en Europe. Son industrie et son agriculture ont été tellement détruits durant les années 1990 qu’il n’y a aujourd’hui pratiquement aucune chance de trouver un emploi et de gagner de l’argent.
Les gens y vivent de l’agriculture de subsistance, en coupant les forêts locales de façon préjudiciable, ou bien ils travaillent pour des clopinettes pour des seigneurs agricoles locaux. Un salaire mensuel de 100 à 200 dollars est considéré là-bas comme une bonne rémunération. Les jeunes se détruisent la santé dans l’alcool, et l’émigration pour trouver du travail est depuis longtemps une nécessité dans toute la région.
Certain villages ont été complètement dépeuplés ou n’existent qu’avec des conditions de logement très mauvaises. Certaines personnes vivent sans électricité, chauffent leur logis en brûlant du bois et utilisent des films polyéthylène en guise de vitre. Et il n’envoient pas leurs enfants à l’école.
Pour de nombreuses personnes résidant dans la région, le service militaire permettait une certaine mobilité sociale. En temps de paix, les soldats pouvaient au moins gagner un petit salaire et se garantir nourriture et uniformes. Les militaires de carrière de Zhytomir ont commencé à mourir bien avant la guerre civile en Ukraine. Ruslan Androschuk, vingt-deux ans, a été tué en Irak. Avant cela, il avait travaillé dans une usine à Novograd-Volynsk. Il avait ensuite rejoint l’armée afin de gagner de l’argent pour son mariage.
La région de Zhytomir a été totalement impliquée dans la conscription militaire du gouvernement de Kiev au printemps et à l’été. Les habitants, qui ne savaient rien, ont été appelés pour une assemblée et ont été trompés.
Les employés du bureau d’enrôlement militaire leur ont dit qu’ils n’étaient appelés que pour quelques jours de formation. Ils ont été emmenés sur le terrain d’entraînement , terrain qui s’est révélé être la ligne de front de la guerre récemment déclarée par le gouvernement de Kiev et qui s’étend, la prétendue Opération Anti-Terroriste au Donbass.
La rumeur s’est vite répandue dans toute la région. Rapidement, les gens ont commencés à déserter l’armée ou ont refusé de se présenter lorsqu’ils étaient appelés. Ne voulant ni tuer ni mourir, les hommes ont commencés à se cacher dans les bois, tout comme nombre de leurs ancêtres l’avaient fait durant l’occupation allemande nazie de 1941-1944.
Tout cela se passait au moment où les nationalistes ukrainiens hurlaient de façon hystérique sur les réseaux sociaux au sujet d’une guerre sainte menée pour la nation et l’État, ou parlaient pompeusement du choix européen de l’Ukraine.
Début mai, le commandement militaire reconnaissait officiellement des défections massives parmi les résidents de la région de Zhytomir et demandait que soient punis les gens qui, comme le temps l’a montré, essayaient de protéger leurs vies d’un massacre insensé : « Au moment où la destinée de l’Ukraine se décidait, ces militaires quittaient volontairement les zones où étaient situées leurs unités, montrant ainsi leur indifférence à la situation de l’État. Dans le but de montrer à la population leurs agissement honteux, nous avons demandé de publier les noms de ces personnes dans la presse locale et régionale, pour informer les autorités sur le terrain », rapportait la chaîne de télévision Ukrainienne TSN.
Ensuite, en août, lorsque la 30e Brigade motorisée a été encerclée au Donbass, les épouses et les mères des soldats ont commencé une manifestation désespérée à proximité du point de contrôle à Novograd-Volynsk, affirmant que leurs fils et époux avaient été envoyés à la mort. Mais personne à Kiev ne leur a prêté attention.
En passant en revue les documents des militaires décédés, on peut dégager un portrait social des soldats de l’armée ukrainienne. Ce sont des gens ordinaires qui ont été tués sur le sol du Donbass. Les soldats et les jeunes officiers étaient majoritairement des paysans.
Selon les informations fournies par les questionnaires, nombre d’entre eux avaient reçu une formation professionnelle. Deux soldats, fils de travailleurs émigrés, avaient écrit que leurs pères travaillaient à l’étranger sur des chantiers, très certainement en Biélorussie ou en Russie. A côté d’un cadavre, on a trouvé des icônes religieuses orthodoxes et la carte d’identité d’un conducteur de tracteurs.
Une lettre émouvante d’une grand mère, envoyée de son village à la brigade de Novograd-Volynsk , raconte qu’elle élevait son petit fils avec soin, qu’il ne buvait que les jours fériés, qu’il avait une petite amie et qu’il travaillait comme conducteur de tracteur.
Maintenant, son petit fils est mort. Aucun des politiciens qui ont pris le pouvoir en Ukraine grâce aux sacrifices de ces jeunes hommes, comme ceux de la région de Zhytomir, ne porteront d’intérêt au sort de cette pauvre femme.
On nous dit souvent que nous sommes tous égaux devant la mort. Mais comme nous le voyons clairement par cette exemple, ce n’est pas le cas. Le président Porochenko, qui est directement responsable des pertes catastrophiques de l’armée ukrainienne et de la mort de civils au Donbass, pleure hypocritement les journalistes tués le 11 janvier à Paris alors qu’à Donetsk, des gens innocents continuent à mourir chaque jour.
Aujourd’hui, nous pouvons constater que les vies des gens d’Ukraine, du Nigeria, de Syrie, de Libye, d’Irak, d’Afghanistan, du Mali et d’autres pays du tiers monde n’ont pas la même valeur que celle des citoyens de l’Union Européenne.
Les élites politiques du monde, qui pleurent maintenant les caricaturistes d’un magazine français, sont parfaitement indifférents au massacre des habitants des autres régions, en dépit du fait que certain politiciens européens sont souvent directement responsables de leur sort.
Les enfants des politiciens ukrainiens et des oligarques ne gisent pas raides morts sur les terres du Donbass. Ils vivent une vie pleine de joie et d’amusements. Il n’ont pas à craindre la conscription militaire forcée. La petite-bourgeoisie provinciale peut se détendre et payer un pot de vin pour que leurs fils ne soit pas enrôlés dans l’armée. Les généraux corrompus couvrent ce business as usual.
Des chauvins nationalistes fortunés qui vivent d’un boulot tranquille dans des bureaux s’engagent parfois dans les bataillons punitifs de volontaires pour prendre leur dose d’adrénaline et pouvoir terroriser les résidents détestés du Donbass en les arrêtant au points de contrôle… à l’arrière du front [en payant, NdT].
Mais dans l’armée régulière ukrainienne, ce sont surtout les pauvres qui se battent et meurent. L’ennemi véritable est loin derrière ceux qui sont envoyés de force au massacre. Même au Donbass, les capitalistes ont depuis longtemps envoyé leurs familles dans des lieux sûrs, où ils ne seront pas victimes des bombardements de l’armée ukrainienne.
Récemment, j’ai vu dans l’église Saint Nicolas de Tallinn, la capitale de l’Estonie, les fragments de la toile intitulée la Danse macabre, peinte par le célèbre artiste médiéval allemand Bernt Notke. Le pape, l’empereur, l’impératrice, le cardinal et le roi dansent ensemble avec des squelettes au son des cornemuses jouées par des morts.
Cette histoire populaire de l’iconographie européenne représente la temporalité de la condition humaine pour des gens qui ont un arrière-plan socioculturel différent. En observant cette peinture ancienne, je me suis rappelé ces tombes toute fraîches, creusées à la hâte, que nous avons vues du côté de Savur-Mohyla [1] au Donbass.
Je me suis souvenu des maisons détruites dans les districts résidentiels de Donetsk, des déserteurs de l’armée ukrainienne se terrant comme des animaux pour échapper à la conscription militaire dans les forêts de l’Ouest de l’Ukraine et des familles pauvres portant le deuil de soldats morts pour des intérêts étrangers.
Les victimes de cette guerre viennent presque toutes des famille des classes inférieures. Non, nous ne sommes pas tous égaux devant la mort.
[1] Savur-Mohyla (la Tombe de Savur) est un point élevé stratégique dans la région de Donetsk, près de la frontière russe. Durant la Seconde Guerre mondiale, ce mont à été un lieu de combats intenses entre les Soviétiques et les forces allemandes. En 1963, l’obélisque mémorial a été inauguré au sommet de cette colline. En août 2014, il est devenu le site d’une bataille entre l’armée ukrainienne et les rebelles du Donbass. L’obélisque a été détruit et le site est plein de cadavres (nombre d’entre eux n’ont pas été enterrés) et de mines.
Traduit par Lionel, relu par jj et Diane pour le Saker Francophone
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