Le chemin menant au sommet de Minsk ce mardi a commencé à être pavé de bonnes intentions lorsque la chancelière allemande Angela Merkel, à son retour d’une courte visite à Kiev samedi, a dit ceci à la chaîne de télévision publique ARD : « Il faut trouver une solution à la crise en Ukraine sans nuire à la Russie. »
Elle a ensuite renchéri : « Il doit y avoir un dialogue. Il ne peut y avoir qu’une solution politique. Il n’y aura pas de solution militaire à ce conflit. »
Mme Merkel a parlé de « décentralisation » de l’Ukraine, d’accord définitif sur les prix du gaz, de commerce Ukraine-Russie et même laissé entendre que l’Ukraine était libre de joindre l’Union eurasiatique chère à la Russie (l’UE ne s’en servirait jamais comme prétexte à un « conflit majeur »). Le temps des sanctions est révolu, l’heure est maintenant aux propositions sensées.
Elle ne pouvait être plus explicite [1] : « Nous [l’Allemagne] voulons aussi avoir de bonnes relations commerciales avec la Russie. Nous voulons des relations raisonnables avec la Russie. Nous dépendons l’un de l’autre et il y a tellement d’autres conflits dans le monde pour lesquels nous devrions mettre nos efforts en commun. J’espère donc que nous pouvons faire des progrès. »
L’interprétation rapide de ces propos est qu’il n’y aura pas de Nulandistan (d’après le nom de la néo-conservatrice Victoria « que l’UE aille se faire f… » Nuland) télécommandé par Washington et entièrement financé par l’UE. Dans la réalité, lorsque l’Allemagne se prononce, l’UE se rallie.
Sur le plan géopolitique, c’est aussi un revers majeur pour Washington et sa stratégie obsessive d’endiguement et d’encerclement de la Russie, parallèlement à son « pivot vers l’Asie » (l’endiguement et l’encerclement de la Chine).
« C’est l’économie, espèce d’idiot ! »
L’économie de l’Ukraine, maintenant sous la coupe du capitalisme du désastre, est un désastre justement. Elle n’est pas en récession, elle est en dépression profonde. Tous les fonds du FMI disponibles servent à payer les factures en souffrance et à huiler une machine militaire qui grince (et perd). Kiev livre bataille à rien de moins que le cœur industriel de l’Ukraine. À tout cela s’ajoutent les conditions rattachées à « l’ajustement structurel » du FMI qui saignent à blanc les Ukrainiens.
Taxes et coupes budgétaires sont à la hausse. La devise nationale, l’hryvnia, a plongé de 40 % depuis le début de 2014. Le système bancaire est une farce. L’idée lancée que l’UE va payer les factures astronomiques de l’Ukraine n’est qu’un mythe. L’Allemagne (qui dirige l’UE) veut un accord, et vite.
La raison en est bien simple. La croissance de l’Allemagne n’est que de 1,5 % en 2014. Pourquoi ? Parce que l’imposition hystérique de sanctions sous la pression de Washington nuit au commerce allemand. Mme Merkel a finalement compris le message ou, du moins, semble l’avoir capté.
La première étape menant à un accord durable concerne l’énergie. Ce vendredi, les responsables de l’énergie de la Russie et de l’UE tiennent une réunion importante à Moscou. Puis la semaine prochaine, ce sera au tour des responsables de la Russie, de l’UE et de l’Ukraine. Le commissaire européen à l’Énergie, Günther Oettinger, qui était présent à Minsk [2], souhaite un accord intérimaire pour s’assurer que le gaz russe continue d’être acheminé vers l’Europe en passant par l’Ukraine en hiver. Le général Hiver, c’est bien connu, gagne chaque guerre [3].
En somme, nous avons ici l’UE – et non la Russie – qui dit au président ukrainien Petro Porochenko d’abandonner sa « stratégie » (perdante) de nettoyage ethnique à petit feu dans l’est de l’Ukraine.
Moscou a toujours insisté pour dire que la crise ukrainienne est un problème politique qui nécessite une solution politique. Moscou accepterait une forme de décentralisation étant donné les intérêts, et les droits linguistiques, des habitants de Donetsk, Lougansk, Odessa et Kharkov. Moscou n’encourage pas la sécession.
M. Porochenko, par contre, est l’oligarque ukrainien type livré à la danse des oligarques. Maintenant qu’il est au sommet, il ne veut pas tomber de l’échelle. C’est toutefois envisageable s’il compte sur le « soutien » des néo-nazis du Secteur droit et de Svoboda, car avec eux il n’y aura jamais de solution politique.
L’Empire du Chaos, il va sans dire, ne veut pas de solution politique avec une Ukraine neutre liée économiquement à la fois à l’UE et à la Russie, l’intégration de l’énergie et du commerce en Eurasie étant considérée comme un anathème.
Tout est lié à l’OTAN
Parallèlement, chaque diplomate de l’UE doté de conscience – oui, il y en a ! – sait que toute cette hystérie incessante à propos de la « menace » russe [4] dans l’est de l’Europe n’est qu’un mythe nourri par Washington pour promouvoir l’OTAN. Son secrétaire-général, Anders « Fogh la Guerre » Rasmussen, sonne comme un vieux disque rayé.
C’est un secret de polichinelle à Bruxelles que les principaux joueurs de l’UE ne veulent pas de bases permanentes de l’OTAN dans l’est de l’Europe. La France, l’Italie et l’Espagne s’y opposent vivement. L’Allemagne cherche encore à ménager la chèvre et le chou pour ne pas contrarier la Russie et les États-Unis. Évidemment, les comparses de la « relation spéciale » anglo-américaine veulent absolument ces bases, avec le soutien hystérique de la Pologne et des trois pays baltes, soit l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie.
Dans un élan prévisible [5], Fogh la Guerre parle donc de « renforcements rapides », d’« installations de réception », de « prépositionnement de fournitures et d’équipement, préparation de l’infrastructure, des bases et des quartiers généraux » et d’une « présence de l’OTAN plus visible ». C’est une preuve limpide, une fois encore, que l’Empire du Chaos n’a rien à cirer de l’Ukraine. Tout ce qui compte, c’est l’expansion de l’OTAN, le point majeur dont il sera question à son sommet de la semaine prochaine qu’il tiendra au pays de Galles.
Rien ne peut dorénavant arrêter le démembrement d’actifs, la privatisation sauvage et le pillage absolu à saveur néolibérale de l’Ukraine où tous les coups sont permis. Mais pour l’Empire du Chaos, s’emparer de l’agriculture et du potentiel énergétique de l’Ukraine ne suffit pas. Il veut reprendre la Crimée (la future base de l’OTAN à Sébastopol). Il veut un système de défense antimissile déployé en Pologne et dans les pays baltes. Il serait même ravi s’il y avait un changement de régime en Russie.
Puis il y a l’affaire du vol MH17. S’il s’avère plus tôt que tard que l’Empire du Chaos a trompé l’Europe en l’amenant à imposer des sanctions contre-productives sur la base de « preuves » des plus ténues, l’opinion publique allemande obligera Mme Merkel à agir en conséquence.
L’Allemagne détenait la clé du sommet de Minsk. Voyons voir si elle détient aussi la clé du sommet du pays de Galles. Car au bout du compte, c’est l’Allemagne qui peut empêcher que la Guerre froide 2.0 ne s’échauffe un peu trop à la grandeur de l’Europe.
[1] Merkel : Ukraine can go to Eurasian Union, EU Observer, 25-08-2014
[2] Questions Left Unanswered at Putin-Poroshenko Minsk Talks, Ria Novosti, 27-08-2014
[3] Europe to depend on Russian gas for at least a decade – Fitch, Russia Today, 27-08-2014
[4] Russia Has Already Invade Ukraine : Strobe Talbott, The World Post, 18-08-2014
[5] NATO chief eyes more bases in E. Europe to confront Russia, Russia Today, 27-08-2014
Pepe Escobar
Traduit par Daniel pour vineyardsaker.fr
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