C'est en 2000 qu'est publié à titre posthume " le Voyage définitif" de l'anthropologue Carlos Castanéda. Il y raconte comment l'espèce humaine vit sous le joug d'entités prédatrices désincarnées qui l'empêchent d'atteindre la plénitude de ses moyens. Il raconte également comment les débusquer et s'en protéger.
Voici un des passages les plus révélateurs du livre.En fin d'article, comme promis, j'exposerais une méthode simple pour mettre en évidence ce parasitisme.
Extrait du "voyage définitif " de Carlos Castaneda :
L'obscurité s'était installée très rapidement, et le feuillage des arbres qui, un instant plus tôt, était d'un vert éclatant, paraissait à présent beaucoup plus sombre et dense. Don Juan me dit que si je regardais avec une grande attention la couleur foncée du feuillage, sans focaliser mes yeux et avec une sorte de regard en coin, je verrais une ombre fugitive traverser mon champ de vision.
" C'est le meilleur moment de la journée pour faire ce que je te demande. Il va te falloir un moment pour trouver en toi le degré d'attention nécessaire. Ne t'arrête pas avant d'avoir entrevu cette ombre noire. "
Je vis effectivement se profiler une étrange ombre noire sur le feuillage des arbres, une ombre qui partait et revenait, puis diverses ombres évanescentes se déplaçant de droite à gauche, de gauche à droite, ou s'élevant très haut en l'air. On aurait dit de gros poissons noirs, de gigantesques espadons volants. J'étais complètement absorbé par cette vision qui finit par m'effrayer. Il faisait désormais trop sombre pour voir le feuillage, mais je distinguais toujours ces ombres noires fugitives.
" Qu'est-ce que c'est, don Juan ? Je vois des ombres noires s'agiter partout.
- C'est l'univers à l'état naturel, me répondit-il, l'univers incommensurable, non linéaire, délivré du joug de notre syntaxe. Les sorciers mexicains d'autrefois furent les premiers à voir ces ombres et ils les suivirent partout. Ils les voyaient comme tu les vois, et ils les voyaient également sous forme d'énergie circulant dans l'univers. Et ils ont alors fait une incroyable découverte. "
Il se tut et me regarda. Ses pauses étaient toujours très étudiées et il savait me tenir en haleine.
" Qu'ont-ils découverts, don Juan ?
- Ils ont découvert que nous ne sommes pas seuls, me dit-il aussi clairement qu'il le put. Venu des profondeurs du cosmos, un prédateur est là, qui toute notre vie nous maintient sous son emprise. Les êtres humains sont prisonniers et ce prédateurs est notre seigneur et maître. Il étouffe toute velléité de protestation ou d'indépendance et nous empêche d'agir librement. "L'obscurité alentour semblait réduire ma faculté d'expression. S'il avait fait jour, j'aurais éclaté de rire, mais en pleine nuit, je me sentais comme muselé, paralysé.
" Il fait nuit noire, me dit don Juan, mais si tu regardes du coin de l'œil, tu vas continuer à voir ces ombres fugitives aller et venir autour de nous. "
Il avait raison. Je pouvais toujours les voir et leurs mouvements me donnaient le tournis. Don Juan alluma la lumière, ce qui eut pour effet de tout dissiper.
" Te voilà arrivé, grâce à tes seuls efforts, à ce qui était pour les anciens chamans le " cœur du sujet ". Je tourne autour du pot depuis longtemps en te laissant entendre que quelque chose nous retient prisonniers. Nous sommes effectivement tous prisonniers ! C'était un fait énergétique pour les sorciers d'autrefois.
- Pourquoi ce prédateur exerce-t-il ce pouvoir sur nous comme vous le dites, don Juan ? Il doit y avoir une explication logique !
- Il y a une explication, me répondit don Juan, qui est extrêmement simple. Ils nous tiennent sous leur emprise parce que nous sommes leur source de subsistance. Ils ont besoin de nous pour se nourrir, et c'est pour cela qu'ils nous pressurent implacablement. Exactement comme nous qui élevons des poulets pour les manger, ils nous élèvent dans des " poulaillers " humains pour ne jamais manquer de nourriture. "
Je me senti secouer négativement la tête. Je ne pouvais exprimer mon violent sentiment de malaise et de révolte, et mon corps s'agitait pour le faire remonter à la surface. Je tremblais de la tête aux pieds sans pouvoir me contrôler.
" Non, non, non, m'entendis-je dire. C'est absurde, don Juan ! Ce que vous dites est horrible. Cela ne peut tout simplement pas être vrai, ni pour les sorciers, ni pour des gens normaux, ni pour personne.
- Et pourquoi ? me répondit calmement don Juan. Pourquoi donc ? Parce que cela te met en fureur ?
- Oui, cela me met en fureur, répliquai-je. Ce sont des idées monstrueuses !
- Eh bien, je ne t'ai pas encore tout dit. Ecoute moi jusqu'au bout et on verra comment tu te sens. Attention, je vais t'infliger un choc ! Ton esprit va subir de terribles attaques, et tu ne pourras pas fuir, parce que tu es pris au piège ; non parce que je te retiens prisonnier, mais parce que quelque chose en toi t'empêchera de partir, même si cela te rend fou de rage. Alors, rassemble tes forces ! "
Don Juan avait raison. Je ne serais pas parti de chez lui pour un empire, et pourtant j'abominais toutes les idioties qu'il était en train de me débiter.
" Je vais faire appel à ton esprit analytique, me dit don Juan. Réfléchis un moment, et dis-moi comment tu peux expliquer la contradiction entre, d'une part, l'intelligence de l'homme sur le plan scientifique et technique et, d'autre part, la stupidité de ses systèmes de croyances ou l'incohérence de son comportement. Ce sont les prédateurs, disent les sorciers, qui nous ont imposé nos systèmes de croyance, nos idées sur le bien et le mal, nos mœurs sociales. Ce sont eux qui suscitent nos espoirs et nos attentes, nos rêves de succès ou notre peur de l'échec, eux encore qui insufflent dans notre esprit convoitise, avidité et lâcheté et qui le rendent prétentieux, routinier et égocentrique.
- Mais comment s'y prennent-ils, don Juan ? lui demandai-je, de plus en plus irrité par ses paroles. Ils nous chuchotent tout cela dans le creux de l'oreille pendant notre sommeil ?
- Non, ils ne procèdent pas aussi bêtement, me répondit don Juan en souriant. Ils sont extrêmement efficaces et organisés, et pour s'assurer de notre obéissance, de notre docilité et de notre apathie, ils ont accompli une manœuvre extraordinaire - extraordinaire, bien sûr, sur un plan stratégique, mais horrible du point de vue de ceux qui en sont victimes. Ils nous ont donné leur esprit ! Tu m'entends ? Les prédateurs ont remplacé notre esprit par le leur, qui est bizarre, incohérent, grincheux, et hanté par la peur d'être percé à jour.
" Tu n'as jamais souffert de la faim, poursuivit-il, et tu as pourtant une sorte d'angoisse à propos de la nourriture. C'est celle du prédateur qui redoute continuellement qu'on découvre son manège et lui coupe les vivres. Par le biais de l'esprit humain qui est en réalité le leur, les prédateurs nous inculquent ce qui les arrange pour améliorer leur sécurité et avoir moins peur.
- Peut-être tout cela est-il vrai, don Juan, mais si c'est le cas, il y a là quelque chose d'odieux qui me répugne et m'oblige à prendre le parti contraire. Et comment font-ils pour nous manger ? "
Don Juan me fit un large sourire. Il avait l'air de bien s'amuser. Il m'expliqua que les sorciers voyaient les nouveaux-nés et les bébés comme d'étrange boules d'énergie lumineuse, recouvertes de haut en bas d'un revêtement brillant, un peu comme si une housse en plastique enveloppait étroitement leur cocon d'énergie. C'était cette couche brillante de conscience, me dit-il, que consommaient les prédateurs. Et lorsque les êtres humains atteignaient l'âge adulte, il n'en restait qu'une étroite bande à hauteur des orteils qui permettait tout juste à l'humanité de survivre.
Après une pose suffisamment longue pour me permettre de récupérer, je demandai à don Juan : " Mais puisqu'ils voient les prédateurs, pourquoi les sorciers mexicains, anciens ou actuels, ne font-ils rien ?
- On ne peut strictement rien faire, me dit tristement don Juan d'une voix grave, hormis se discipliner au point qu'ils ne puissent nous toucher. Et comment demander à nos semblables d'affronter les rigueurs d'une telle discipline ? Ils réagiraient en riant et se moquant de nous, et les plus agressifs d'entre eux s'énerveraient et nous tabasseraient. Ce n'est pas qu'ils ne nous croiraient pas ! Il y a au tréfond de chaque être humain une connaissance ancestrale, viscérale, de l'existence des prédateurs. "
Mon esprit analytique jouait au yo-yo. Tout ce que me racontait don Juan était grotesque, absurde, et en même temps me semblait raisonnable, très simple. Toutes les contradictions humaines s'expliquaient. Mais comment prendre tout cela au sérieux ? Don Juan me poussait sur le trajet d'une avalanche qui m'emporterait à jamais.
(…) Don Juan continua à enfoncer le clou toujours plus profondément. " Les sorciers mexicains d'autrefois voyaient le prédateur. Ils l'ont appelé planeur parce qu'il jaillit de l'espace. Il n'est pas beau à voir. C'est une grande ombre, d'un noir impénétrable, qui fonce vers le sol et se pose lourdement. Ces sorciers ne savaient pas exactement quand il avait fait son apparition sur terre. Dans leur idée, l'homme avait sans doute été à une époque un être complet doué d'une conscience prodigieuse lui permettant d'accomplir d'incroyables prouesses - tous ces exploits que nous retrouvons aujourd'hui dans nos légendes mythologiques. Ces facultés semblaient par la suite avoir disparu pour donner l'être humain actuel, un être diminué, comme abruti par des sédatifs. "
J'aurai dû me mettre en colère, le traiter de paranoïaque, mais je ne sais trop pourquoi, ce genre d'indignation toujours latente chez moi m'avait quitté. Quelque chose en moi avait même dépassé ce stade où je me disais : " Et si c'était vrai ? " Face à don Juan qui me parlait cette nuit là, je sentais au plus profond de mon être que tout ce qu'il me disait était vrai, mais en même temps, avec une force égale, que tout ce qu'il me disait était complètement absurde.
" Que voulez-vous dire, don Juan ? " lui demandai-je faiblement.
" Ce que je veux dire, c'est que nous avons affaire à forte partie. C'est un prédateur très malin et bien organisé, qui procède méthodiquement pour nous neutraliser et nous empêcher d'être la créature magique que nous étions destinés à être. Nous ne sommes plus désormais qu'une source de ravitaillement et n'avons d'autres rêves que ceux d'un animal que l'on élève pour sa viande : des rêves banals, conventionnels et imbéciles. "
(…) " Ce prédateur, me dit don Juan, est évidemment un être inorganique. Mais il n'est pas pour nous complètement invisible comme le sont les autres. Je suis sûr que les enfants le voient, et devant l'horreur que leur inspire cette vision, ils préfèrent ne plus y penser. Et même s'ils cherchaient à mieux le voir, tout le monde autour d'eux les en dissuaderait. "
Description de ce qu'est un être inorganique, page 231 dudit livre : " Les vieux chamans ont découvert que l'ensemble de l'univers est constitué de deux forces jumelles opposées, mais complémentaires. Ainsi notre monde a un jumeau, un monde opposé et complémentaire peuplé par des êtres doués de conscience, mais dénués d'organisme, auxquels ils avaient donné le nom d'êtres inorganiques. (…) L'ensemble de l'univers regorge de toutes sortes de mondes où la conscience peut être organique ou inorganique. "
" La seule alternative qui reste à l'humanité, continua don Juan, est la discipline. Seule la discipline a un effet disuasif. Mais je n'entends pas par ce terme une affreuse routine où l'on saute du lit tous les jours à cinq heures du matin pour s'asperger d'eau glacée ! Pour un sorcier, la discipline est la faculté d'affronter sereinement les difficultés imprévues. Il la considère comme un art : l'art de faire face à l'infini sans broncher, non pour faire étalage de sa force, mais pour lui témoigner son admiration et son respect.
- En quoi la discipline des sorciers peut-elle avoir un effet dissuasif ?
- Les sorciers disent qu'elle rend la couche brillante de conscience inconsommable pour le planeur, me dit don Juan en scrutant mon visage comme pour y déceler un signe d'incrédulité. Il est alors perplexe. Je suppose qu'il n'a jamais entendu dire qu'une couche brillante de conscience pouvait ne pas être comestible. Et cette perplexité ne lui laisse d'autre issue que de s'abstenir de poursuivre son infâme activité.
" A partir du moment où les prédateurs ne la mangent plus, notre couche brillante de conscience se développe. En simplifiant à l'extrême, on pourrait dire que, grâce à leur discipline, les sorciers éloignent les prédateurs, ce qui permet à leur couche brillante de conscience de se reformer et de retrouver progressivement sa taille normale. Les sorciers d'autrefois la comparaient à un arbre qui atteint sa hauteur et son volume si on ne le taille pas. Et à mesure que le niveau de conscience s'élève au-dessus des pieds, de nouveaux modes de perception surgissent automatiquement.
Extrait du livre de Carlos Castaneda " Le voyage définitif "
Dans ce passage, le chaman Don Juan explique à Castaneda comment apercevoir ces ombres au moment où la nuit tombe :
L'obscurité s'était installée très rapidement, et le feuillage des arbres qui, un instant plus tôt, était d'un vert éclatant, paraissait à présent beaucoup plus sombre et dense. Don Juan me dit que si je regardais avec une grande attention la couleur foncée du feuillage, sans focaliser mes yeux et avec une sorte de regard en coin, je verrais une ombre fugitive traverser mon champ de vision. Il suffit donc d'embrasser de son regard l'ensemble de la scène au lieu de le focaliser sur un point précis comme on le fait habituellement. En d'autre termes, il faut s'entraîner à utiliser sa vision périphérique pour pouvoir apercevoir sous la forme d'une ombre ou d'une silhouette fugace ce genre d'entités.
Il faut savoir que ces entités appelées "Djinns" par les musulmans ont un gros point faible, une fois qu'un humain les regarde, elles ne peuvent plus disparaître. Par conséquent, elles restent alors à sa merci et peuvent même être tuées.
Paradoxalement, ces créatures de la nuit qui se nourrissent de la peur à travers la paralysie du sommeil et les cauchemars sont aussi celles qui ont le plus à perdre au contact de l'homme. Si cela vous rappelle quelque chose, c'est normal puisque cet état de fait a été traité dans le film "Monstres et Cie".
Don Juan explique à Castaneda comment les visualiser à la tombée de la nuit car c'est selon lui le meilleur moment de la journée pour les observer. Cette méthode constitue donc une première approche. Mais, on peut encore faire mieux en observant directement et en pleine journée un phénomène assez similaire.
Voici comment procéder :
Par un après midi ensoleillé entre 15 et 17 heures, asseyez vous dans un endroit avec des passants (parc, jardin, place publique, etc...) et essayez d'en avoir une vue d'ensemble telle que celle ci :
Comme expliqué auparavant, il ne faut pas concentrer son regard sur un point précis de la scène mais essayer de l'appréhender dans son ensemble.
Si vous suivez les instructions à la lettre, vous pourrez alors distinguer une sorte de cône d'ombre flotter juste au dessus de la tête de chaque personne.
Cette ombre translucide qui semble constituée de vapeurs de fumée n'est autre que la part d'esprit démoniaque que ces Djinns ont implanté dans le corps de chaque humain.
Cette observation est donc conforme aux explication que le shaman a prodigué à Castaneda : ces entités ont donc bel et bien légué leur esprit aux humains afin de mieux les influencer.
Autrement dit, chaque être humain peut se transformer en un vecteur actif à la solde de ces entités. Là encore, cet état de fait a été exploité au cinéma à travers cette œuvre déviante qu'est la saga Matrix dont le seul but est d'enseigner au public que ce n'est qu'en acceptant sa part d'ombre que l'homme pourra se libérer de ce vampirisme énergétique.
Force est de constater que l'empire de ces ombres de la nuit étend ses ramifications jusqu'à Hollywood.
Source
Voici un des passages les plus révélateurs du livre.En fin d'article, comme promis, j'exposerais une méthode simple pour mettre en évidence ce parasitisme.
Extrait du "voyage définitif " de Carlos Castaneda :
L'obscurité s'était installée très rapidement, et le feuillage des arbres qui, un instant plus tôt, était d'un vert éclatant, paraissait à présent beaucoup plus sombre et dense. Don Juan me dit que si je regardais avec une grande attention la couleur foncée du feuillage, sans focaliser mes yeux et avec une sorte de regard en coin, je verrais une ombre fugitive traverser mon champ de vision.
" C'est le meilleur moment de la journée pour faire ce que je te demande. Il va te falloir un moment pour trouver en toi le degré d'attention nécessaire. Ne t'arrête pas avant d'avoir entrevu cette ombre noire. "
Je vis effectivement se profiler une étrange ombre noire sur le feuillage des arbres, une ombre qui partait et revenait, puis diverses ombres évanescentes se déplaçant de droite à gauche, de gauche à droite, ou s'élevant très haut en l'air. On aurait dit de gros poissons noirs, de gigantesques espadons volants. J'étais complètement absorbé par cette vision qui finit par m'effrayer. Il faisait désormais trop sombre pour voir le feuillage, mais je distinguais toujours ces ombres noires fugitives.
" Qu'est-ce que c'est, don Juan ? Je vois des ombres noires s'agiter partout.
- C'est l'univers à l'état naturel, me répondit-il, l'univers incommensurable, non linéaire, délivré du joug de notre syntaxe. Les sorciers mexicains d'autrefois furent les premiers à voir ces ombres et ils les suivirent partout. Ils les voyaient comme tu les vois, et ils les voyaient également sous forme d'énergie circulant dans l'univers. Et ils ont alors fait une incroyable découverte. "
Il se tut et me regarda. Ses pauses étaient toujours très étudiées et il savait me tenir en haleine.
" Qu'ont-ils découverts, don Juan ?
- Ils ont découvert que nous ne sommes pas seuls, me dit-il aussi clairement qu'il le put. Venu des profondeurs du cosmos, un prédateur est là, qui toute notre vie nous maintient sous son emprise. Les êtres humains sont prisonniers et ce prédateurs est notre seigneur et maître. Il étouffe toute velléité de protestation ou d'indépendance et nous empêche d'agir librement. "L'obscurité alentour semblait réduire ma faculté d'expression. S'il avait fait jour, j'aurais éclaté de rire, mais en pleine nuit, je me sentais comme muselé, paralysé.
" Il fait nuit noire, me dit don Juan, mais si tu regardes du coin de l'œil, tu vas continuer à voir ces ombres fugitives aller et venir autour de nous. "
Il avait raison. Je pouvais toujours les voir et leurs mouvements me donnaient le tournis. Don Juan alluma la lumière, ce qui eut pour effet de tout dissiper.
" Te voilà arrivé, grâce à tes seuls efforts, à ce qui était pour les anciens chamans le " cœur du sujet ". Je tourne autour du pot depuis longtemps en te laissant entendre que quelque chose nous retient prisonniers. Nous sommes effectivement tous prisonniers ! C'était un fait énergétique pour les sorciers d'autrefois.
- Pourquoi ce prédateur exerce-t-il ce pouvoir sur nous comme vous le dites, don Juan ? Il doit y avoir une explication logique !
- Il y a une explication, me répondit don Juan, qui est extrêmement simple. Ils nous tiennent sous leur emprise parce que nous sommes leur source de subsistance. Ils ont besoin de nous pour se nourrir, et c'est pour cela qu'ils nous pressurent implacablement. Exactement comme nous qui élevons des poulets pour les manger, ils nous élèvent dans des " poulaillers " humains pour ne jamais manquer de nourriture. "
Je me senti secouer négativement la tête. Je ne pouvais exprimer mon violent sentiment de malaise et de révolte, et mon corps s'agitait pour le faire remonter à la surface. Je tremblais de la tête aux pieds sans pouvoir me contrôler.
" Non, non, non, m'entendis-je dire. C'est absurde, don Juan ! Ce que vous dites est horrible. Cela ne peut tout simplement pas être vrai, ni pour les sorciers, ni pour des gens normaux, ni pour personne.
- Et pourquoi ? me répondit calmement don Juan. Pourquoi donc ? Parce que cela te met en fureur ?
- Oui, cela me met en fureur, répliquai-je. Ce sont des idées monstrueuses !
- Eh bien, je ne t'ai pas encore tout dit. Ecoute moi jusqu'au bout et on verra comment tu te sens. Attention, je vais t'infliger un choc ! Ton esprit va subir de terribles attaques, et tu ne pourras pas fuir, parce que tu es pris au piège ; non parce que je te retiens prisonnier, mais parce que quelque chose en toi t'empêchera de partir, même si cela te rend fou de rage. Alors, rassemble tes forces ! "
Don Juan avait raison. Je ne serais pas parti de chez lui pour un empire, et pourtant j'abominais toutes les idioties qu'il était en train de me débiter.
" Je vais faire appel à ton esprit analytique, me dit don Juan. Réfléchis un moment, et dis-moi comment tu peux expliquer la contradiction entre, d'une part, l'intelligence de l'homme sur le plan scientifique et technique et, d'autre part, la stupidité de ses systèmes de croyances ou l'incohérence de son comportement. Ce sont les prédateurs, disent les sorciers, qui nous ont imposé nos systèmes de croyance, nos idées sur le bien et le mal, nos mœurs sociales. Ce sont eux qui suscitent nos espoirs et nos attentes, nos rêves de succès ou notre peur de l'échec, eux encore qui insufflent dans notre esprit convoitise, avidité et lâcheté et qui le rendent prétentieux, routinier et égocentrique.
- Mais comment s'y prennent-ils, don Juan ? lui demandai-je, de plus en plus irrité par ses paroles. Ils nous chuchotent tout cela dans le creux de l'oreille pendant notre sommeil ?
- Non, ils ne procèdent pas aussi bêtement, me répondit don Juan en souriant. Ils sont extrêmement efficaces et organisés, et pour s'assurer de notre obéissance, de notre docilité et de notre apathie, ils ont accompli une manœuvre extraordinaire - extraordinaire, bien sûr, sur un plan stratégique, mais horrible du point de vue de ceux qui en sont victimes. Ils nous ont donné leur esprit ! Tu m'entends ? Les prédateurs ont remplacé notre esprit par le leur, qui est bizarre, incohérent, grincheux, et hanté par la peur d'être percé à jour.
" Tu n'as jamais souffert de la faim, poursuivit-il, et tu as pourtant une sorte d'angoisse à propos de la nourriture. C'est celle du prédateur qui redoute continuellement qu'on découvre son manège et lui coupe les vivres. Par le biais de l'esprit humain qui est en réalité le leur, les prédateurs nous inculquent ce qui les arrange pour améliorer leur sécurité et avoir moins peur.
- Peut-être tout cela est-il vrai, don Juan, mais si c'est le cas, il y a là quelque chose d'odieux qui me répugne et m'oblige à prendre le parti contraire. Et comment font-ils pour nous manger ? "
Don Juan me fit un large sourire. Il avait l'air de bien s'amuser. Il m'expliqua que les sorciers voyaient les nouveaux-nés et les bébés comme d'étrange boules d'énergie lumineuse, recouvertes de haut en bas d'un revêtement brillant, un peu comme si une housse en plastique enveloppait étroitement leur cocon d'énergie. C'était cette couche brillante de conscience, me dit-il, que consommaient les prédateurs. Et lorsque les êtres humains atteignaient l'âge adulte, il n'en restait qu'une étroite bande à hauteur des orteils qui permettait tout juste à l'humanité de survivre.
Après une pose suffisamment longue pour me permettre de récupérer, je demandai à don Juan : " Mais puisqu'ils voient les prédateurs, pourquoi les sorciers mexicains, anciens ou actuels, ne font-ils rien ?
- On ne peut strictement rien faire, me dit tristement don Juan d'une voix grave, hormis se discipliner au point qu'ils ne puissent nous toucher. Et comment demander à nos semblables d'affronter les rigueurs d'une telle discipline ? Ils réagiraient en riant et se moquant de nous, et les plus agressifs d'entre eux s'énerveraient et nous tabasseraient. Ce n'est pas qu'ils ne nous croiraient pas ! Il y a au tréfond de chaque être humain une connaissance ancestrale, viscérale, de l'existence des prédateurs. "
Mon esprit analytique jouait au yo-yo. Tout ce que me racontait don Juan était grotesque, absurde, et en même temps me semblait raisonnable, très simple. Toutes les contradictions humaines s'expliquaient. Mais comment prendre tout cela au sérieux ? Don Juan me poussait sur le trajet d'une avalanche qui m'emporterait à jamais.
(…) Don Juan continua à enfoncer le clou toujours plus profondément. " Les sorciers mexicains d'autrefois voyaient le prédateur. Ils l'ont appelé planeur parce qu'il jaillit de l'espace. Il n'est pas beau à voir. C'est une grande ombre, d'un noir impénétrable, qui fonce vers le sol et se pose lourdement. Ces sorciers ne savaient pas exactement quand il avait fait son apparition sur terre. Dans leur idée, l'homme avait sans doute été à une époque un être complet doué d'une conscience prodigieuse lui permettant d'accomplir d'incroyables prouesses - tous ces exploits que nous retrouvons aujourd'hui dans nos légendes mythologiques. Ces facultés semblaient par la suite avoir disparu pour donner l'être humain actuel, un être diminué, comme abruti par des sédatifs. "
J'aurai dû me mettre en colère, le traiter de paranoïaque, mais je ne sais trop pourquoi, ce genre d'indignation toujours latente chez moi m'avait quitté. Quelque chose en moi avait même dépassé ce stade où je me disais : " Et si c'était vrai ? " Face à don Juan qui me parlait cette nuit là, je sentais au plus profond de mon être que tout ce qu'il me disait était vrai, mais en même temps, avec une force égale, que tout ce qu'il me disait était complètement absurde.
" Que voulez-vous dire, don Juan ? " lui demandai-je faiblement.
" Ce que je veux dire, c'est que nous avons affaire à forte partie. C'est un prédateur très malin et bien organisé, qui procède méthodiquement pour nous neutraliser et nous empêcher d'être la créature magique que nous étions destinés à être. Nous ne sommes plus désormais qu'une source de ravitaillement et n'avons d'autres rêves que ceux d'un animal que l'on élève pour sa viande : des rêves banals, conventionnels et imbéciles. "
(…) " Ce prédateur, me dit don Juan, est évidemment un être inorganique. Mais il n'est pas pour nous complètement invisible comme le sont les autres. Je suis sûr que les enfants le voient, et devant l'horreur que leur inspire cette vision, ils préfèrent ne plus y penser. Et même s'ils cherchaient à mieux le voir, tout le monde autour d'eux les en dissuaderait. "
Description de ce qu'est un être inorganique, page 231 dudit livre : " Les vieux chamans ont découvert que l'ensemble de l'univers est constitué de deux forces jumelles opposées, mais complémentaires. Ainsi notre monde a un jumeau, un monde opposé et complémentaire peuplé par des êtres doués de conscience, mais dénués d'organisme, auxquels ils avaient donné le nom d'êtres inorganiques. (…) L'ensemble de l'univers regorge de toutes sortes de mondes où la conscience peut être organique ou inorganique. "
" La seule alternative qui reste à l'humanité, continua don Juan, est la discipline. Seule la discipline a un effet disuasif. Mais je n'entends pas par ce terme une affreuse routine où l'on saute du lit tous les jours à cinq heures du matin pour s'asperger d'eau glacée ! Pour un sorcier, la discipline est la faculté d'affronter sereinement les difficultés imprévues. Il la considère comme un art : l'art de faire face à l'infini sans broncher, non pour faire étalage de sa force, mais pour lui témoigner son admiration et son respect.
- En quoi la discipline des sorciers peut-elle avoir un effet dissuasif ?
- Les sorciers disent qu'elle rend la couche brillante de conscience inconsommable pour le planeur, me dit don Juan en scrutant mon visage comme pour y déceler un signe d'incrédulité. Il est alors perplexe. Je suppose qu'il n'a jamais entendu dire qu'une couche brillante de conscience pouvait ne pas être comestible. Et cette perplexité ne lui laisse d'autre issue que de s'abstenir de poursuivre son infâme activité.
" A partir du moment où les prédateurs ne la mangent plus, notre couche brillante de conscience se développe. En simplifiant à l'extrême, on pourrait dire que, grâce à leur discipline, les sorciers éloignent les prédateurs, ce qui permet à leur couche brillante de conscience de se reformer et de retrouver progressivement sa taille normale. Les sorciers d'autrefois la comparaient à un arbre qui atteint sa hauteur et son volume si on ne le taille pas. Et à mesure que le niveau de conscience s'élève au-dessus des pieds, de nouveaux modes de perception surgissent automatiquement.
Extrait du livre de Carlos Castaneda " Le voyage définitif "
Dans ce passage, le chaman Don Juan explique à Castaneda comment apercevoir ces ombres au moment où la nuit tombe :
L'obscurité s'était installée très rapidement, et le feuillage des arbres qui, un instant plus tôt, était d'un vert éclatant, paraissait à présent beaucoup plus sombre et dense. Don Juan me dit que si je regardais avec une grande attention la couleur foncée du feuillage, sans focaliser mes yeux et avec une sorte de regard en coin, je verrais une ombre fugitive traverser mon champ de vision. Il suffit donc d'embrasser de son regard l'ensemble de la scène au lieu de le focaliser sur un point précis comme on le fait habituellement. En d'autre termes, il faut s'entraîner à utiliser sa vision périphérique pour pouvoir apercevoir sous la forme d'une ombre ou d'une silhouette fugace ce genre d'entités.
Il faut savoir que ces entités appelées "Djinns" par les musulmans ont un gros point faible, une fois qu'un humain les regarde, elles ne peuvent plus disparaître. Par conséquent, elles restent alors à sa merci et peuvent même être tuées.
Paradoxalement, ces créatures de la nuit qui se nourrissent de la peur à travers la paralysie du sommeil et les cauchemars sont aussi celles qui ont le plus à perdre au contact de l'homme. Si cela vous rappelle quelque chose, c'est normal puisque cet état de fait a été traité dans le film "Monstres et Cie".
Don Juan explique à Castaneda comment les visualiser à la tombée de la nuit car c'est selon lui le meilleur moment de la journée pour les observer. Cette méthode constitue donc une première approche. Mais, on peut encore faire mieux en observant directement et en pleine journée un phénomène assez similaire.
Voici comment procéder :
Par un après midi ensoleillé entre 15 et 17 heures, asseyez vous dans un endroit avec des passants (parc, jardin, place publique, etc...) et essayez d'en avoir une vue d'ensemble telle que celle ci :
Comme expliqué auparavant, il ne faut pas concentrer son regard sur un point précis de la scène mais essayer de l'appréhender dans son ensemble.
Si vous suivez les instructions à la lettre, vous pourrez alors distinguer une sorte de cône d'ombre flotter juste au dessus de la tête de chaque personne.
Cette ombre translucide qui semble constituée de vapeurs de fumée n'est autre que la part d'esprit démoniaque que ces Djinns ont implanté dans le corps de chaque humain.
Cette observation est donc conforme aux explication que le shaman a prodigué à Castaneda : ces entités ont donc bel et bien légué leur esprit aux humains afin de mieux les influencer.
Autrement dit, chaque être humain peut se transformer en un vecteur actif à la solde de ces entités. Là encore, cet état de fait a été exploité au cinéma à travers cette œuvre déviante qu'est la saga Matrix dont le seul but est d'enseigner au public que ce n'est qu'en acceptant sa part d'ombre que l'homme pourra se libérer de ce vampirisme énergétique.
Force est de constater que l'empire de ces ombres de la nuit étend ses ramifications jusqu'à Hollywood.
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