29 août 2014

De la pathologie de la domination...


Comme disait l'autre, les Etasuniens sont des gens vraiment formidables, pour peu que l'on puisse faire abstraction des morceaux de cervelles d'enfants qui pendouillent à leur parka. Et si eux-mêmes y arrivent parfaitement, c'est que leur ascension en tant qu'hyper-puissance mondiale s'est accompagnée d'une descente dans une pathologie à mesure. Pathologie de la domination mêlant messianisme, exceptionnalisme (version américanisée de l'élitisme israélien), ivresse de puissance et, surtout, inculpabilité. Une pathologie protéiforme terrifiante lorsqu'elle ronge l'âme d'un Empire disposant d'une capacité technologique et d'une puissance de feu inégalés dans l'Histoire de l'humanité, le tout dissimulé sous les paillettes hollywoodiennes et le vernis d'une machine de propagande qui le font passer pour vertueux. Décryptage.

Violence permanente

Au risque de nous répéter - risque parfaitement assumé car il est pour nous cri par l'écrit - , il faut dire et redire encore que les Etats-Unis ont été parmi les principaux pourvoyeurs d'atrocités à travers le monde depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, que ce soit directement ou par supplétifs interposés. Vietnam, Cambodge, Panama, Nicaragua, Salvador, Guatemala, Chili, Pérou, Iran, Somalie, RDC et Serbie sont quelques-uns des pays qui ont eu à affronter dans un passé récent la machine de guerre US, ou ses commandos d'assassins et autres spécialistes du coup d'état.

Ces vingt dernières années, les seuls massacres de masse commis sur la planète l'ont été par l'Empire. Sa projection de violence, au besoin à l'aide de sa milice globalisée qu'est l'OTAN, n'a fait que gagner en intensité avec les tueries à grande échelle et l'emploi méthodique de la torture (Irak / so called War on Terror) ; les guerres d'occupation (Afghanistan) ; les regime change ou tentative de (Libye / Syrie / Ukraine) ; les campagnes systématisées d'assassinats extrajudiciaires (Yémen-Pakistan) ; les boucheries à grande échelle et les épurations ethniques par supplétifs interposés (Liban 2006 / Palestine 2002-2006-2008-2012-2014).

Tout cela sous couvert de lutte contre le communisme, puis contre le terrorisme ou, encore, en vertu de fumeux concepts d'inspiration droit-de-l'hommistes comme le «devoir de protéger», pour rendre vertueuses des guerres d'hégémonie ou pour le pétrole.
Cet océan de barbarie, de violence à grande échelle et d'assassinats plus ou moins ciblés - auquel il faut encore ajouter l'établissement d'un goulag électronique globalisé par la NSA et ses clones - , n'entament pourtant en rien l'image que l'Empire assassin-espion a de lui-même, ou que ses admirateurs ont de lui. C'est-à-dire d'une vertueuse nation de défenseurs de la liberté, de la démocratie et des droits de l'homme.
A cela deux raisons principales : une pathologie de la domination qui empêche toute culpabilité ou introspection au sein de l'Empire, et bien sûr une formidable machine de propagande dont le grand œuvre est une inversion quasi complète de la réalité avec réécriture en temps réel de l'Histoire.

De la pathologie de la domination

Pour évoquer cette pathologie de la domination, nous allons largement piller un texte admirable de l'écrivain américain Norman Pollack.
Et tout d'abord son constat que nous partageons sans réserve lorsqu'il dit :
«Gaza symbolise où nous en sommes : l'éradication des aspirations humaines par des forces de procuration, ici Israël, là l'Ukraine, résidus fascistes de la Seconde Guerre mondiale (...). Le fait est là. Où que l'on regarde, on ne voit que les destructions et les souffrances humaines dues à ceux que nous soutenons, alors que, pendant ce temps, les USA agissent, de leur côté, pour mettre en place l'architecture militaire d'un modèle global dévoué au commerce, à la finance, et au pouvoir, avec son industrie de guerre fonctionnant à plein régime.» Pour expliquer ce que nous nommons habituellement l'inculpabilité de l'Amérique au regard de ses innombrables crimes, Pollack avance l'idée de «bulle solipsiste», c'est-à-dire l'enfermement des Etats-Unis dans une perception du monde dans laquelle il n'y a pour le sujet pensant d'autre réalité que lui-même. Une bulle «qui entoure et engaine l'Amérique, avec ses caractères respectivement associés de xénophobie et d'ethnocentrisme, la peur de l'étranger, la relation dichotomique du nous-eux fondant l'idéologie de l'Exceptionnalisme. Et ses conséquences : un autoritarisme prépondérant, structurellement enraciné dans la personnalité américaine, ayant beaucoup à voir avec la rigidité, qui unifie et intègre l'élaboration de la politique actuelle du gouvernement des USA.» Aux origines du mal, Pollack renvoie à cette version ultime du capitalisme sur les bases de laquelle l'Amérique a été fondée :
«Un capitalisme qui cherche et promeut la création d'une uniformité politico-culturelle de la personne humaine nécessaire à l'installation de la discipline sociale (1). (...) Et tout cela en continuant par ailleurs de battre le tambour de la guerre, des interventions, de la supériorité et de l'infériorité dans la hiérarchie des nations.» Ce dernier point renvoyant à la fameuse théorie de «l'exceptionnalisme américain» reprise par Obama, et qui offre d'ailleurs un inquiétant miroir au concept délirant de Peuple élu israélien.

Pollack a encore raison lorsqu'il dénonce le fait que la récente polémique opposant Obama à Clinton s'est exercée «dans un bocal hermétiquement fermé». Tous deux n'étant que des fauteurs de guerre, les deux visages d'une même tête pilotée par le complexe militaro-industriel étasuniens (2).

Et Pollack en vient ensuite à sa sentence :
«Irak, Afghanistan, Ukraine, Gaza, tout exhibe une arrogance systématique, qui fournit une couverture utile à ce que je considère être une carence morale, imperméable à la souffrance humaine, jouissant de l'auto-indulgence de la nation. (...) Froideur et rigidité, nous sommes au-delà de ça [la culpabilité face à nos crimes], protégés culturellement, institutionnellement, et politiquement de toute introspection (du retour sur soi) sur les faits que nous commettons ou omettons.» «L'opinion publique dominée par un égrégore ?»

Ce constat fait, on ne peut qu'être consterné par le suivisme européen d'un tel Empire nihiliste, par cette fascination et cette croyance en l'Amérique d'Hollywood propagée par la plus formidable machine à enfumer jamais conçue. Machine qui réussit le tour de force de convertir au fantasme d'un Empire vertueux des esprits que l'on peine pourtant à soupçonner d'idiotie.

Dans un billet intitulé «L'opinion publique est dominée par un égrégore», Pascal Roussel s'interroge alors sur cette uniformité de la pensée en se demandant si «en Europe et aux États-Unis, le monde politique et les grands médias qui couvrent les questions financières ou géopolitiques ne sont pas collectivement sous l'influence malfaisante d'un égrégore - concept désignant un esprit de groupe, une entité psychique autonome ou une force produite et influencée par les désirs et émotions de plusieurs individus unis dans un but commun. Cette force vivante fonctionnerait alors comme une entité autonome - ? La position atlantiste poussant alors les autres pays à se radicaliser.»

Et, souligne-t-il, «l'Histoire a montré qu'une opinion publique dominée par un même esprit de groupe peut rapidement se retrouver confrontée à une guerre qu'elle n'a pas souhaitée.»

Où nous en sommes

Or c'est bien là où nous en sommes avec la crise ukrainienne, où l'on a vu l'alignement complet de tous nos medias sur la grande hystérie antirusse voulue par Washington. Avec, en point d'orgue, la fumeuse accusation sans preuve mais néanmoins globale contre Poutine suite au crash MH17, et dont on est à peu près sûr aujourd'hui qu'il a été abattu (pour une opération false flag ou par erreur) par l'armée ukrainienne.

Tout cela nous menant donc à la possibilité d'une guerre à grande échelle que sans doute peu de peuples souhaitent vraiment in fine.
C'est l'aboutissement de deux décennies de formatage complet de la pensée dans les médias occidentaux où, là aussi, les opinions, les sensibilités, les divergences d'analyses restent confinées dans un «bocal hermétiquement clos» où domine l'alignement complet à la narrative messianique de Washington, à ses axes du mal à géométries variables, à son pseudo-devoir d'ingérence sélectif à souhait, à sa stigmatisation soudaine de méchants dictateurs qu'il est tout à coup vertueux de renverser après les avoir soutenus des décennies durant.
Il aura par exemple fallu plus de deux ans à la so called grande presse bobo-atlantiste française pour commencer à admettre les abominations commises par les djihadistes de Syrie ; et c'est seulement depuis l'avènement de l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), et de ses carnages contre les minorités, que nos héroïques médias commencent à retrouver quelques vertus à Bachar al-Assad en tant que moindre mal sur la scène locale, comme par hasard là encore sous l'impulsion de Washington.

«Qui paie commande»

La question de Pascal Roussel est donc pertinente.

Toute cette élite politico-médiatique occidentale est-elle, en quelque sorte, hypnotisée, contaminée par cet égrégore ?

Pourquoi pas.

Si l'on considère, et Dieu sait si nous avons de bonnes raisons de le faire, que le Système néolibéral américaniste représente ce qui peut se rapprocher le plus de l'avènement du Mal absolu - avec le triomphe de ses faux prophètes et son âge des ténèbres - , qu'il incarne peut-être ainsi le réveil de la Bête immonde dont les 99% sentent de plus en plus nettement le souffle brûlant sur leur nuque, alors oui, on peut admettre que cet égrégore puisse en être une émanation tangible.

Plus prosaïquement, on doit aussi considérer que les grands médias, télévisuels en particulier, obéissent à des lignes éditoriales simplement dictées par le Système puisque c'est lui qui les finance à coups de généreuses subventions et de publicité, et que comme dit l'adage, «qui paie commande».

L'effet de troupeau, la complicité ou la couardise de nos élites politico-médiatiques faisant le reste pour nous conduire, sous l'aiguillon de l'égrégore peut-être, vers l'internationale totalitaire en chantant.

Notes :

(1) C'est ce qu'observe aussi l'historien Arnold Toynbee lorsqu'il dit que «la civilisation occidentale ne vise à rien moins qu'à l'incorporation de toute l'humanité en une grande société unique, et au contrôle de tout ce que, sur terre, sur mer et dans l'air, l'humanité peut exploiter grâce à la technique occidentale moderne ».

(2) Soulignons toutefois que cette confiscation de la démocratie au profit d'un simulacre d'oppositions à l'intérieur d'un cadre strictement régulé par le Système n'est pas une spécificité américaine. Comme nous l'avons détaillé dans notre essai Pourquoi notre Hyper-Titanic va couler, «l'avènement de la société libérale interdit en effet l'alternative. Les divergences de pures formes, qui opposent ce que l'on nomme les «sensibilités politiques», se discutent à l'intérieur du statuquo qu'elle impose. C'est à cela que se réduit l'opposition. Dans une société qui prétend pourvoir de manière satisfaisante aux besoins du plus grand nombre, l'opposition n'a en effet plus aucune raison d'être, elle est même une menace pour la collectivité.»
Ainsi, lorsque certains pensent se montrer réalistes en affirmant qu'en France, par exemple, «la gauche est un sous-programme de la droite pour gruger les pauvres», ils sont à mi-chemin de la vérité dont l'équation réelle est: «Gauche et droite sont des sous-programmes du Système pour gruger tout le monde».
Pour crédibiliser la farce, le Système prend toutefois soin de favoriser le développement stérile de quelques mouvements extrémistes sur ses marges, mouvements dont la fonction est alors d'absorber le mécontentement le plus radical, de le contrôler et de le maintenir dans l'impasse politique permanente.
Quant aux personnalités ou mouvements réellement antiSystèmes qui tenteraient tout de même d'émerger, toutes les composantes agréées du Système se retrouvent alors pour faire bloc et les diffamer afin de les éjecter de l'échiquier (cf. Dieudonné, Alain Soral etc...)

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