17 février 2014

Napoléon : « Légende et vérité »

Pamphlet ? Ce mot sert à dire la vérité qui déplaît. De même que « faire de la politique, « la chose étant dite avec une nuance de mépris », cela signifie, trop souvent, avoir, en politique une option qui n’est pas celle des gens de bien. Il est parfaitement vrai que je n’aime pas Napoléon Bonaparte. Et j’ai dû faire, à son égard, un sérieux redressement personnel. Car j’avais été « mis en condition », sur son compte, comme tous les Français de ma génération, et des générations antérieures. Élevé des écoles laïques, d’un bout à l’autre de mes études (et je suppose que c’eût été pire si j’avais été soumis à l’enseignement confessionnel), j’ai été dressé dans le culte de « L’Empereur ».

Il m’a fallu lutter contre moi-même pour comprendre enfin de quoi j’avais été victime. Goût du « dénigrement » ? Le bruit cherché par le moyen du scandale ? Je sais bien, je sais trop, que l’étiquette d’iconoclaste m’a été collée sur le dos ; à cause de deux ouvrages, l’un sur Vigny, l’autre sur Benjamin Constant. J’avais trouvé par hasard —authentiquement par hasard — des documents inattendus des notes de police rédigées par Vigny, d’une part, à l’intention du préfet de la Charente (et le récit, au surplus, de l’arrestation, par ses soins, d’un soldat, en 1856) un billet, d’autre part, de Benjamin Constant au ministre de la police —encore ! Au lendemain du coup d’État de Fructidor, pour lui signaler un prêtre et réclamer qu’on « l’éloignât » un prêtre qui fut, en effet, si bien éloigné » qu’on l’envoya mourir en Guyane.

J’ai publié ces documents parce qu’il n’était pas question de les passer sous silence et qu’ils jetaient de précieuses clartés sur deux personnages célèbres. Mais je me suis si peu spécialisé dans la manière hostile que les trois quarts de mes travaux ont été consacrés à des « défenses et illustrations » de Jean-Jacques Rousseau, de Lamartine, de Flaubert, de Hugo, de Zola, de Jaurès, etc...

Oui, une passion en moi. Celle de me rendre compte, de bien regarder, de bien savoir, de bien comprendre. L’horreur de m’en laisser conter ; tout faire pour refuser, comme disait Hugo, que l’on me « monte sur la cervelle ». Et, croyez-moi, j’ai beaucoup plus de joie à découvrir que tel (Zola, par exemple) que l’on m’avait décrit hideux, était en réalité admirable, beaucoup plus de joie que je n’éprouve de plaisir à l’opération inverse. Pas gai, de reconnaître immonde ce que l’on a cru noble. Mais la vérité avant tout.

Je n’avais pas choisi d’étudier Bonaparte. Cette enquête m’a été demandée. Je l’ai entreprise et je l’ai menée de mon mieux, m’apercevant, en cours de route, que mes observations rejoignaient celles de certains hommes peu négligeables, comme Lamartine et comme Michelet. Et je viens, cette année, de constater que quelqu’un d’autre aussi, dont je savais peu de choses, Tolstoï, avait eu les mêmes sentiments que moi. Réflexe du Slave devant l’homme de Borodino, l’agresseur de son pays ? Non, car il suffit de bien lire La Guerre et la Paix pour voir que les sévérités de Tolstoï n’épargnent aucun conquérant ; et il y a dans son livre, sur les mobiles des généraux (des généraux russes comme des autres) un paragraphe trop peu connu, et qui en dit long. Simplement, Tolstoï avait compris —ouvrez son Journal, 1857, le récit de sa visite aux Invalides —, il avait compris, après s’être informé, ce qu’était, au vrai, l’homme proposé à l’admiration de l’univers dans son sarcophage de porphyre rouge ; et il l’écrit en toutes lettres un « bandit » ; terme dont la traduction littérale, en anglo-américain d’aujourd’hui, est gangster.

Je souhaiterais apporter quelques clartés sur les comportements et l’identité intérieure de l’aventurier Corse devenu, par des chemins qu’il faut connaître et grâce à des concours indispensables et bien calculés, le maître absolu de la France durant les quinze années qui aboutirent à laisser ce pays exsangue, ruiné, et réduit à des limites plus étroites même qu’en 1792.

Voyons un peu, d’abord, d’où sortait l’individu, et ce qu’il fit, au juste, jusqu’à sa vingt-quatrième année (1793). Les Bonaparte — ils prononçaient leur nom « Bouonaparté » — sont des Italiens installés en Corse depuis le XVII° siècle, le premier étant, semble-t-il, le commis d’une banque génoise auprès de Sa succursale d’Ajaccio, et commençons par observer qu’ils sont bien loin, très loin, d’être « ces Bourbons de l’île » en qui l’empereur les métamorphosera, dans une de ses galéjades, innombrables, de Sainte-Hélène. Car Buonaparté, qui sera le père de Napoléon est un personnage peu sûr, intrigant, débrouillard, escroc sur les bords. Epoux d’une fille de quatorze ans, il a une vilaine histoire, l’année suivante, à Rome — qu’était-il allé y faire ?— avec une jeune personne qu’il a engrossée, puis abandonnée, se repliant en hâte sur Ajaccio, muni de cinquante écus qu’il a empruntés et qu’il oublie de rendre. En 1768, Louis XV achète la Corse aux Génois, ce qui met en fureur la plupart des autochtones. On s’accommodait déjà fort mal de la domination génoise, pourtant relâchée ; La domination française se révèle autrement lourde, et ces occupants ont un dialecte inintelligible. Résistance. Insurrection. Le chef des rebelles se nomme Paoli. Carlo Buonaparté s’est mis fougueusement à son service.

Paoli, en 1769, subit une lourde défaite, et doit s’expatrier. Carlo Buonaparté, aussitôt, change de camp, passe du côté des vainqueurs, collabore avec eux, et ferme en souriant les yeux sur la liaison affichée de sa très jeune femme, Letizia, avec le gouverneur français Marbeuf — un homme de plaisir que Paoli traitait de « pacha luxurieux ». Il est vrai que Paoli manquait, paraît-il, de moyens. Napoléon racontera lui-même, gaillard, que sa mère (cette « femme de Plutarque », selon M. Louis Madelin riait beaucoup de Paoli, dans sa jeunesse : galant, certes, Paoli, disait-elle, mais incapable.

Suite...

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