16 février 2014

Ecornage des vaches

J'ai eu autrefois un petit troupeau de « blondes d'Aquitaine » : 17 vaches réputées assez sauvages (je dirais plutôt qu'elles n'étaient pas tout à fait « brisées » par la domestication). A ma grande stupeur, elles étaient capables de sauter par-dessus des clôtures de 1m50 de haut, et cela malgré leur masse et leur poids respectable. Plutôt farouches au départ, elles n'avaient certes pas la placidité soumise qu'on attribues aux bovins domestiques : elles ne se laissaient pas manipuler par n'importe qui ni n'importe comment, mais elles acceptèrent d'être apprivoisées par un ami zoologiste qui les traitait avec amour et respect et leur parlait doucement : elles accoururent bientôt avec enthousiasme en entendant sa voix, se pressant autour de lui pour être caressées. Et c'était un émerveillement pour moi de voir ce petit homme âgé, et plutôt frêle, entouré par 17 descendantes des redoutables aurochs de la préhistoire...

Toutes portaient de grandes cornes pointues – et intactes, en dépit des conseils alarmistes des éleveurs de bétail alentour. Malgré les contacts journaliers, les traitements vétérinaires perturbants, et même les quelques césariennes qui furent nécessaires, aucun de nous ne fut jamais blessé ou même menacé d'un coup de cornes Si l'on était calme et gentil avec ces braves grosses bêtes, on n'avait vraiment rien à craindre d'elles. Mes blondes étaient soit indifférentes, soit amicales, selon l'humain qui les approchait – mais jamais elles ne se montrèrent agressives.

Comment ne pas repenser à mes vaches heureuses, lorsque j'apprends que même en Suisse ( pays que je considère comme l'un des endroits vraiment civilisés du monde) on se livre à l'horrible pratique qui consiste à scier, ou à brûler ou cautériser les cornes des bovins pour « éviter des accidents » …

On se demande vraiment comment, au long des siècles passés nos ancêtres ont pu survivre aux coups de cornes de leurs vaches ? Avaient-ils la peau plus dure que nous ou savaient-ils mieux s'y prendre pour mener leurs bêtes sans problèmes ? Moins mécanisés que les nôtres, les paysans d'autrefois avaient avec leurs animaux, moutons, chèvres, bœufs ou chevaux des contacts affectifs, ou, au moins, de compréhension mutuelle ( et – ne rêvons pas – tout paysan savait qu'une vache brutalisée si peu que ce soit, ne donne pas de lait ! ) Les bonnes manières faisait donc partie des règles d'élevages !

Ce qui a vraiment changé, ce sont nos rapports au risque

La société actuelle semble hantée par une peur névrotique du moindre bobo, alors que nos anciens acceptaient les risques inhérents à toute existence rapprochée avec quelque animal que ce soit : c'est le prix naturel à payer pour leur asservissement et leur exploitation. N'en déplaise à nos contemporains, les risques, grands ou petits, font partie de toute activité, il n'y a pas de vie sans risques. C'est pourtant à l'abolition des risques que rêvent nos sociétés craintives. La " trouille " moderne du bobo, qui fait de nos contemporains des inaptes au combat pour la vie, peut faire rire devant les excès de préventions diverses qu'elle provoque. Mais lorsque de pauvre animaux doivent payer en atroces souffrances l'addition de cette « peur de tout » qui se généralise, je n'ai plus envie de me moquer, plus envie de rire, mais bien de partir en guerre.

Si nous étions la créature admirable que nous croyons être, ce serait à nous de nous adapter aux caractéristiques et aux besoins des animaux domestiques, et non à eux qui n'ont pas demandé à être parqués dans des « étables », à être « punis », castrés, marqués, mutilés, séparés de leur petits à notre guise, et finalement sacrifiés.

Dans le numéro 92 du journal Franz Weber, l'auteur de l'article « Reines déchues » a clairement témoigné de la torture que subissent les vaches écornées et les conséquences longues et douloureuses que l'horrible pratique entraîne pour les pauvres bêtes, tant au physique qu'au mental. Je n'y reviendrai donc pas, car là-dessus, tout à été dit. Mais je voudrais revenir sur les perturbations profondes, les stress, dépressions (voire folie) et troubles psychiques ou comportementaux causés par toute mutilation d'un être vivant, que l'ablation d'un élément de sa structure, (élaboré pour lui par mère nature au cours d'une longue évolution) déséquilibre inévitablement.

Lorsqu'il s'agit d'humain, cela semble évident, mais une grande partie de l'humanité n'y pense pas en ce qui concerne les animaux.

L'organe mutilé continue à exister d'une manière fantomale.

Comment ne pas frissonner en évoquant les souffrances psychosomatiques d'un amputé ? En découvrant que l'organe mutilé continue à être ressenti, à exister d'une manière en quelque sorte fantomale, et à sembler sensible tout le reste de la vie du malheureux opéré ? Quelle frustration ! Car, s'il paraît présent, ce membre ne peut remplir aucune fonction. Imaginons ce que doit éprouver un animal qui « sent » toujours ses cornes, mais qui comprend qu'elles ne sont que rêve et vapeur intangible...

Quant à la souffrance, tout membre ou organe innervé ( et c'est le cas des cornes) est sensible à la douleur. Chacun de nous imagine avec épouvante ce que furent autrefois les amputations à vif sur les champs de bataille, ou, plus simplement, une simple extraction dentaire avant l'existence de l'anesthésie. Même à notre époque, les suites de l'arrachage d'une dent peuvent être un vrai calvaire – douleurs lancinantes dans la mâchoire, maux de tête, infections etc. malgré les antalgiques et les précautions. Alors si un ongle arraché nous « secoue », imaginez ce que doit être le sciage d'une corne !!!


Les hommes mutilent des animaux pour leur commodité.

Sans hésiter, les hommes mutilent des animaux pour leur commodité, réelle ou prétendue. Dans mon enfance, on ne dégriffait pas les chats, et jamais, dans mon Nord natal, je n'ai vue de vache écornée : ce sont là des pratiques récentes, j'oserais dire des modes – puisque la mode est au « risque zéro ».

Nous éjointons les ailes des oiseaux – de ferme ou d'ornement – par exemple, tous ces merveilleux paons qui ornent nos parcs. J'ai possédé 17 de ces fascinants oiseaux, et ma plus grande joie était de les voir, au crépuscule, s'élever dans un magnifique envol vers les sommets de nos plus hauts arbres pour y passer la nuit, comme dans la nature sauvage, à l'abri des prédateurs. Bien que non éjointés, nos paons ne se sont jamais enfuis de la propriété.

Sur certains marchés ruraux, on procédait encore, il y a quelques années, à l'ablation de la queue des chevaux de labour, dans des conditions d'une cruauté inimaginable. J'espère que cette horrible pratique est aujourd'hui interdite !

Non seulement certains propriétaires de félins les font dégriffer ( cela implique l'amputation de la phalange où la griffe est implantée – pensez à ce que vous feriez privés du bout de vos doigts et de vos orteils ! – mais il y a des maniques pour couper les moustaches de leur chat !

Nous enlevons les canines des chiens ou des singes comme nous enlèverions des feuilles à nos géraniums. Or, leurs canines, comme les cornes des vaches, celles du rhinocéros, les griffes du chat, la queue d'un cheval, leur servent à quantités de choses qui n'ont aucun rapport avec l'agressivité, et tout à voir avec leur bien-être ou même leur survie.

Privé de ses défenses, un animal est plus agressif

On ne répétera jamais assez : tout animal est un être sensible, un être qui pense, et qui a d'intense émotions. Or l'humanité les traite en objets inertes, aussi peu respectable que des cageots.

Amputé, un animal ne souffre pas seulement dans sa chair. Il peut sans que nous le remarquions, sombrer dans une profonde dépression et, tout comme un humain, être dans son âme la proie de détresse névrotiques qui font de sa vie un enfer. Les humains atteints de dépression savent ce que j'entends par là...

C'est ainsi que les vache écornées, loin d'être plus paisibles, donnent souvent des coups de tête, ou bousculent sévèrement les vachers, en vertu d'une évidence qui ne semble pas avoir frappé nos contemporains: plus un animal se sent fort et capable de se défendre, moins il est agressif – plus il est dépouillé de ses défenses, plus il a peur. Et l'on sait depuis toujours que la peur engendre l'agressivité.

Alika Lindbergh
Source : Journal de Franz Weber – n° 93
Vu ici

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